Dimanche, Stevens Héroux a envoyé un message sur Twitter : « Mon fils est employé d’entretien et travaille depuis neuf jours d’arrache-pied en urgence. Il le fait pour notre bien à tous. Malgré mes craintes pour lui, je suis fier comme jamais. »

J’ai eu le frisson en lisant le message de M. Héroux.

Parce que depuis quelques jours, c’est frappant, alors que la pandémie menace de contaminer notre petit coin du globe, alors que le Québec s’apprête à mettre sa vie sur « pause » : on découvre à quel point tout le monde est important.

Ma mère m’a toujours enseigné à dire « s’il vous plaît » et « merci », c’est imbriqué profondément en moi. Elle me chicanait quand, enfant, j’oubliais ces mots précieux. Mais je me surprends ces jours-ci à dire plus que « merci » aux emballeurs de l’épicerie et aux caissières : c’est un merci qui vient du cœur, merci d’être là, sans ce monde-là, nous ne serions pas à « pause », nous serions à « stop ».

J’échange ces jours-ci des messages avec le camionneur Sylvain Pesant et j’éprouve une profonde gratitude envers lui. Il transporte des biomatériaux aux États-Unis, pour qu’ils y soient incinérés. Ses amis du camionnage trimballent toutes sortes de produits qui nous sont d’une urgente nécessité ces jours-ci, des objets qui apparaissent comme par magie sur nos tablettes. Soudainement, en ces temps de pandémie, on se surprend à découvrir que ces produits-là sont transportés par des gens qui font quelque chose d’essentiel.

Il y a une constellation d’étoiles essentielles qui œuvrent partout, en ces heures périlleuses où le Québec se met sur pause, du jamais-vu pour un mal jamais vécu.

Une dame qui travaille dans un CHSLD m’a envoyé un courriel à 7 h 04 hier pour me raconter comment toute l’équipe se mobilise pour éviter une infection chez « leurs » vieux. Je la cite : « Notre travail est présentement très stimulant, essentiel. Je sais pourquoi je me lève chaque matin et je vais travailler comme si je partais en mission. On veut maintenir leur qualité de vie, les rassurer, les accompagner alors que les familles n’ont plus accès à notre site. »

J’ai eu le frisson en lisant ces lignes-là, hier matin, encore sous la couette.

Ça m’a fait penser à ce que le Dr Vincent Bouchard m’a dit, dans ma chronique de dimanche, sur l’hôpital dans l’hôpital Notre-Dame que la communauté de cet établissement est en train de bâtir à toute vitesse, pour limiter les risques d’éclosion et limiter l’utilisation de précieux matériel comme les masques N95 : « Y a un problème ? On le règle. Des fois, c’est un docteur qui a la solution. Des fois, c’est notre gars d’hygiène-salubrité. Des fois, c’est Isaac. J’insiste : c’est pas une affaire de docteurs. »

J’ai voulu parler à Stevens Héroux. C’était quelques heures avant que le premier ministre Legault n’annonce qu’à minuit, mardi soir, Québec mettait toutes les entreprises non essentielles sur « pause ». Je voulais qu’il me parle de son gars qui fait un boulot essentiel, je voulais mettre un nom sur ce fils et je voulais savoir pourquoi M. Héroux avait décidé d’envoyer ce message à l’univers…

M. Héroux était au volant quand je l’ai trouvé.

« Mon fils est entré dans le système de santé il y a deux ans, m’a dit Stevens Héroux. L’école, ça n’a jamais été facile pour lui, et au cégep, il a lâché. J’étais très fier de lui : il s’est trouvé ce job-là lui-même, vous savez… »

Ce job, c’est préposé à l’entretien. Et le garçon s’appelle Xavier Héroux. Il a 21 ans.

« Il fait l’entretien où, votre fils ?

— À l’hôpital Pierre-Boucher. Et dans deux CHSLD.

— Et pourquoi vous avez envoyé ce tweet, M. Héroux ? »

Stevens Héroux a commencé à m’expliquer que sa famille et lui possèdent un immeuble ; ses parents, Normand et Marie-France, y habitent, de même que son frère Sébastien et son fils Xavier, avec sa blonde Alexanne…

PHOTO FOURNIE

Xavier Héroux et sa copine, Alexanne

Stevens Héroux, au bout du fil : « Xavier s’occupe beaucoup de mon père et de ma mère, et… et… »

Et là, Stevens Héroux a eu l’air d’avoir un chat dans la gorge, ou peut-être était-ce une poussière dans l’œil, allez savoir, toujours est-il qu’il m’a dit qu’il allait se ranger sur le bas-côté de la route pour continuer la conversation.

Une seconde a passé, puis deux, puis trois, j’ai entendu le son d’un clignotant…

La voix de M. Héroux est revenue au bout du fil, il a chassé le chat qu’il avait dans la gorge, la poussière qu’il avait dans l’œil, puis il a repris : 

« … Scusez, donc, il s’occupe beaucoup de mes parents, il s’inquiète beaucoup pour eux. Et là, là, eh bien… C’est moi qui m’inquiète pour lui. Là, je comprends les parents qui s’inquiètent pour les enfants, même quand ces enfants sont grands. On est toujours un parent, vous savez. Et là, présentement, j’ai cette inquiétude : Xavier est quand même proche de ça… Et il tient à faire ses heures. »

« Ça » : le virus, bien sûr…

Et ce tweet ? C’est parce que le papa était fier du fils, il avait envie que tout le monde le sache, il voulait que tout le monde sache que son fils est au front.

« C’est mon gars, dit Stevens Héroux. Mais c’est pas juste mon gars, vous savez. C’est tous ceux qui font ça, tous les métiers, qui vont s’occuper de nous autres. Et qui le faisaient avant, en passant, faut pas l’oublier. »