Pérou, Maroc, Espagne, Honduras, Équateur, Salvador, Guatemala : Ottawa a annoncé lundi une première série de vols spéciaux visant à ramener des Canadiens coincés dans des régions du monde frappées par des restrictions de voyage sévères.

En entrevue avec La Presse, lundi, le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a dit s’attendre à ce que l’opération visant à rapatrier les Canadiens dure « plusieurs semaines ».

« On n’arrêtera pas tant qu’on pourra aider des gens. On va travailler jour et nuit », a expliqué le chef de la diplomatie canadienne.

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Le ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne

Le gouvernement Trudeau continue d’encourager les Canadiens qui sont à l’étranger à rentrer au pays à l’aide de vols commerciaux. Au cours des derniers jours, des pays ont toutefois fermé leur espace aérien. Le gouvernement accorde ainsi son aide en priorité aux compagnies aériennes qui tentent d’organiser des vols dans les régions où se trouve un nombre important de Canadiens et où il y a soit un manque de services aériens, soit des restrictions locales sur les voyages.

« On va tout faire pour ramener le plus de Canadiens possible. Il n’y a pas de limite vraiment à cela. Il faut s’assurer que les ponts aériens existent », a précisé le ministre Champagne.

Le premier vol nolisé par le gouvernement du Canada est arrivé du Maroc le 21 mars. Un deuxième est arrivé lundi et un troisième est prévu plus tard cette semaine. Ottawa a aussi obtenu l’autorisation du Pérou permettant à Air Canada d’exploiter trois vols cette semaine. Un vol en partance de l’Espagne sera aussi organisé.

De son côté, Air Transat compte envoyer cette semaine deux avions vers le Honduras, un avion vers l’Équateur, un vers le Salvador et un au Guatemala. Les dates de tous ces vols restent à confirmer. Les voyageurs devront payer leurs billets.

Une opération « complexe »

Selon un communiqué diffusé lundi par Affaires mondiales Canada, les compagnies aériennes West Jet, Air Transat et Sunwing ont ramené la semaine dernière « des dizaines de milliers » de Canadiens au bercail. M. Champagne n’avait toutefois pas de statistiques plus précises.

« On est carrément en train d’écrire un livre qui n’existait pas, dit-il. Il faut comprendre que c’est une opération complexe. »

À titre d’exemple, le ministre a indiqué qu’il a dû négocier au Pérou avec les Forces armées. « Les gens ne le réalisent pas, mais dans certains pays, il y a des couvre-feux, la loi martiale a été imposée. Il faut négocier des droits de passage, des droits d’atterrissage. »

Dans le cas du Pérou, j’ai négocié les droits d’atterrissage dans le stationnement en me rendant à l’émission Tout le monde en parle ! C’est là que ça s’est réglé !

François-Philippe Champagne, ministre canadien des Affaires étrangères,

« Tout est sur la table »

Pour l’heure, le ministre Champagne continue de privilégier l’option d’utiliser les vols commerciaux. Mais si les compagnies devaient cesser leurs activités en raison de la crise, Ottawa pourrait utiliser les aéronefs de l’armée canadienne.

« Tout est sur la table. Mais l’idée, c’est que ce n’est pas l’utilisation des avions qui est complexe. C’est plutôt d’avoir le droit d’atterrir dans certains pays qui l’est, et de savoir si l’équipage devra être mis en quarantaine après un vol et s’il est possible d’amener les Canadiens à l’aéroport de façon sécuritaire. Donc, les appareils, ce n’est pas nécessairement cela qui est le plus critique. Dans certains pays, il a fallu faire des corridors humanitaires. On vit quelque chose qui est sans précédent », a-t-il illustré.

Malgré ces efforts, le ministre Champagne a tenu à réitérer qu’il y aura des Canadiens qui ne pourront pas être rapatriés « parce que les circonstances locales vont faire en sorte que ce ne sera pas possible ».

Leurs parents coincés au Cameroun

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Steve Nzali, 20 ans, Yohann Nzali, 18 ans, Eve-Audrey Nzali, 12 ans, et Manuela Nzali, 10 ans, devant leur maison de Montréal-Nord.

Diane Nzali et son mari ont quitté le Québec le 12 mars pour assister à des funérailles au Cameroun. « Ce sera vite fait », pensaient-ils. Mais le coronavirus leur a joué un sale tour même s’ils croyaient avoir pris leurs précautions. Les frontières sont fermées, les avions cloués au sol, et le gouvernement du Canada ne semble rien pouvoir faire pour eux. Pendant ce temps, leurs quatre enfants sont seuls à Montréal-Nord, où la famille habite depuis 2012. Les deux plus vieux, Steve, 20 ans, et Yohann, 18 ans, s’occupent de leurs petites sœurs, Eve-Audrey, 12 ans, et Manuela, 10 ans. « Le plus dur, c’est quand ma petite me demande : “Est-ce que vous serez là cet été ?” », dit Mme Nzali, adjointe administrative au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, en entrevue sur WhatsApp. Une centaine de ressortissants canadiens, comme elle et son mari, Apollinaire Nzali, seraient coincés dans ce pays. « On avait vérifié avant de partir du Québec parce qu’il était déjà question du coronavirus, mais il n’y avait pas de restrictions. » En attendant, son mari et elle réussissent à parler à leurs enfants au téléphone tous les jours. « Ça va, on s’en sort », nous a confié Steve, l’aîné de la famille, qui fréquentait le collège de Maisonneuve avant la fermeture des écoles. « J’ai espoir qu’ils vont bientôt revenir. »

— Suzanne Colpron, La Presse

Argentine

PHOTO COURTOISIE

Stéphane Paré et Josée Alix

Ayant entendu l’appel de rentrer au bercail du gouvernement canadien, les Québécois Stéphane Paré, 72 ans, et Josée Alix, 68 ans, se sont empressés de devancer leur date de départ de Buenos Aires du 7 avril au 22 mars auprès d’Air Canada. « Une des raisons pour lesquelles on voulait partir, c’est qu’on est dans les groupes à risque. Si l’on tombe malade, on veut tomber malade chez nous », explique Mme Alix.

Après huit heures d’attente à l’aéroport dimanche, le couple s’est fait annoncer par le transporteur qu’il n’avait plus l’autorisation de survoler l’espace aérien argentin. Comme environ 200 autres passagers canadiens, ils ont dû partir, car l’aéroport fermait. Or, dans ses communications officielles, l’ambassade du Canada annonçait la fin des vols commerciaux seulement le 28 mars. « On est tous ressortis comme un troupeau, les uns sur les autres avec même pas le fameux mètre entre nous », raconte Mme Alix, 68 ans.

Ils ont pu retourner dans l’appartement qu’ils louaient jusqu’au 7 avril, mais puisqu’ils ont visité l’aéroport, le locateur de l’immeuble a conclu qu’ils devaient être en quarantaine pour 14 jours et les a prévenus qu’il appellerait la police s’ils sortaient. Depuis, ils se sentent pris en otage, et ils sont incapables de parler à l’Ambassade canadienne. « On entend des généralités de la part de M. Champagne et M. Trudeau, mais ce que l’on aimerait c’est : expliquez-nous comment vous voulez vous y prendre. Dites-nous : "on est en train de faire telle, telle, telle mesure". On demande d’être rassurés. »

Espagne

Pour Claude Banville, un Québécois coincé avec sa conjointe et un couple d'amis dans le sud de l'Espagne, chaque jour qui passe fait grimper davantage le niveau de stress. « Dimanche, nous sommes allés à l'aéroport de Malaga pour tenter d'obtenir des sièges sur le vol d'Air Transat, sans succès, dit-il. Il y avait près de 500 personnes en attente qui tentaient elles aussi d'avoir un siège. »

Les autorités espagnoles augmentent la pression pour que les étrangers retournent chez eux, note M. Banville. « Le gouvernement a ordonné la fermeture des hôtels. Si nous quittons de nouveau notre appartement pour nous rendre à l'aéroport, nous ne pourrons plus y retourner et peut-être mis en quarantaine par les autorités. On devient anxieux. C'est déprimant. On passe nos journées à chercher des vols en ligne. Que fait le gouvernement canadien? D'ici, on a l'impression que rien ne se fait. Pendant ce temps, les risques de contagion augmentent. »

— Nicolas Bérubé, La Presse