Bruno Canard est un chercheur de haut niveau du CNRS français établi à Marseille. Son équipe est spécialiste des coronavirus. En 2015, avec des collègues belges et néerlandais, il a sonné l’alarme sur les dangers des coronavirus.

Le Dr Canard, dont l’équipe a récemment décrypté le processus d’activation du virus de la COVID-19 avec l’équipe du chercheur de l’Université de Montréal Nabil Seidah s’est vidé le cœur récemment dans une lettre ouverte où il pourfend le peu de considération de son État pour la recherche fondamentale indépendante.

Le titre de la lettre de Bruno Canard dit tout : « Coronavirus : la science ne marche pas dans l’urgence ».

Extrait : « […] comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats, non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience. C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes long terme, qui peuvent avoir des débouchés thérapeutiques. »

Dans son coup de gueule, le Dr Canard déplore ce que des chercheurs de partout en Occident ont déploré au cours des dernières années, des dernières décennies : le recul de la recherche fondamentale comme priorité budgétaire.

Le chercheur raconte le sort de ces collègues à statut précaire qui vivotent de contrat en contrat. Des projets de recherche qui doivent passer par un filtre de paperasse interminable et assommant. Des budgets étatiques qui rapetissent sans cesse… Comme les équipes de recherche.

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Après tout ça, quand le virus aura été maté, quand on aura compté nos morts, nous en sortirons assurément changés. Comme nous sommes sortis changés du 11 septembre 2001, qui nous a fait accepter plein de mesures sécuritaires inimaginables la veille.

Après tout ça, il faudra bien s’interroger sur le rôle de la science, sur l’importance de la recherche fondamentale, dans nos vies…

Ai-je dit dans nos vies ? Pardon, je corrige : pour nos vies.

On le constate, tout s’accélère. Tout va vite. C’est vrai à hauteur d’humain. Et c’est vrai dans les stratosphères décisionnelles des États. Je cite Michael Sabia, quand il a quitté la présidence de la Caisse de dépôt, en parlant de la difficile coordination gouvernementale : « Le monde bouge trop vite. »

Mais la science ne bouge pas vite. Peut-être que les multitudes de chercheurs qui s’activent dans l’urgence pour trouver un remède contre la COVID-19 vont réussir un miracle et le trouver rapidement, plus rapidement que les 12 à 18 mois nécessaires d’ordinaire. Il faut l’espérer.

Peut-être que le monde d’après bougera moins vite. J’en doute, personnellement. Je crains que l’on ne revienne à nos mauvaises habitudes.

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Mais dans le monde d’après, il faudra accepter que la science, cette chose lente, est plus importante qu’on ne le pensait, avant la pandémie.

J’ai sondé là-dessus la présidente de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), Lyne Sauvageau, qui se réjouit que la science et le politique agissent actuellement de concert pour lutter contre la pandémie. Qu’espère-t-elle sur la place de la science dans nos sociétés, dans le monde post-pandémie ?

Réponse : « Pour pouvoir être utiles maintenant, de longues recherches fondamentales ont été réalisées, où on ne voyait pas toujours clairement, a priori, comment les résultats ou les nouvelles connaissances pouvaient ou allaient être utiles. Je souhaite qu’après la pandémie, l’importance de construire, dans toutes les disciplines, des connaissances dont on ne voit pas l’utilité immédiate soit mieux reconnue. »

Je surligne les mots de Mme Sauvageau, qui vont à contre-courant, dans un monde qui va trop vite, dans un monde qui valorise la vitesse et sa cousine, l’efficience : « Des connaissances dont on ne voit pas l’utilité immédiate… »

Les mots de Lyne Sauvageau font écho à ceux de Bruno Canard; Bruno Canard qui, en entrevue au Point, dit que si la recherche sur les coronavirus avait été mieux financée depuis le SRAS de 2003, on n’en serait pas là, aujourd’hui : « Au cours des 17 années qui se sont écoulées depuis le [SRAS], on aurait pu développer des médicaments, prêts à l’emploi sur les étagères, contre les coronavirus que nous connaissons. »

Pour le mot de la fin, le Dr Canard, encore, dans sa lettre ouverte : « Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le [SARS-CoV-2] avait disparu; on ignorait s’il allait revenir. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. »