Les autorités sanitaires, tant au provincial qu’au fédéral, disposent de larges pouvoirs d’intervention pour juguler la propagation du coronavirus au sein de la population, mais leur marge de manœuvre juridique n’est pas illimitée.

Les dispositions des chartes des droits visant à préserver la liberté et la mobilité des citoyens doivent notamment être prises en compte lorsque des mesures restrictives sont imposées, relève Steven Hoffman, spécialiste des questions de droit et de santé publique rattaché à l’Université York.

« Les mesures gouvernementales doivent être pensées de manière à minimiser leur impact sur les droits individuels et être proportionnelles au risque » qu’elles visent à contrer, souligne-t-il.

La mise en quarantaine d’une ville ou d’une région complète, comme on l’a vu en Chine, en Corée du Sud et en Italie au cours des dernières semaines, ne serait pas légale au Canada et pratiquement impossible à mettre en œuvre, juge M. Hoffman.

En cas de contestation judiciaire, le gouvernement aurait du mal à faire la démonstration du caractère proportionné de cette mesure, notamment parce qu’un tel isolement fait augmenter le risque de contamination pour les gens se trouvant dans le périmètre visé, dit-il.

Il serait aussi difficile, sur le plan juridique, de justifier où se termine la zone de quarantaine puisque des cas seraient susceptibles de survenir de part et d’autre de la délimitation, relève le spécialiste.

La mise en œuvre de la quarantaine serait par ailleurs très difficile sur le plan pratique puisque le Canada, dit M. Hoffman, ne dispose pas des forces de sécurité requises pour imposer de telles restrictions sur un territoire important.

Mesures d’urgence

Colleen Flood, qui dirige le Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa, pense que les autorités devraient être en mesure de faire la démonstration de la « nécessité » sanitaire d’une quarantaine d’envergure pour pouvoir aller de l’avant.

S’il n’y a pas d’indication d’une transmission à grande échelle du virus, ils ne pourraient pas le faire. Ils ne peuvent pas simplement dire : “On veut être très prudents, alors on ferme Toronto.”

Colleen Flood

Mme Flood estime cependant qu’un juge qui ferait face à une contestation judiciaire de la part d’un citoyen insatisfait dans le cadre d’une crise comme celle du coronavirus serait susceptible de se montrer très sensible aux arguments du gouvernement.

Ottawa, souligne l’analyste, pourrait évoquer les dispositions de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre en place une telle quarantaine.

Un autre texte fédéral, la Loi sur la mise en quarantaine, donne par ailleurs le droit au gouvernement fédéral de placer des individus contaminés ou susceptibles de l’être en isolement forcé à leur arrivée au pays pour lutter contre des maladies infectieuses.

Les provinces, selon Mme Flood, sont en première ligne en matière de crise sanitaire et disposent, à l’instar du gouvernement fédéral, de pouvoirs importants pour imposer des restrictions à la population.

En Ontario, les lois en vigueur suggèrent qu’il serait possible pour le gouvernement local de décider une quarantaine à grande échelle, selon la spécialiste de l’Université d’Ottawa.

La Presse a demandé à plusieurs reprises au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec de préciser si un tel scénario serait possible dans la province sans obtenir de réponse claire.

Le premier ministre François Legault a indiqué samedi qu’un nouveau décret déclarant l’état d’urgence sanitaire dans la province qui vient d’être adopté permettrait en théorie de limiter les allers et venues sur une partie du territoire touché par une forte éclosion de coronavirus. « Ça serait possible de le faire, mais on n’est pas rendus là », a dit le premier ministre.

Le directeur de la Santé publique de la province, le Dr Horracio Arruda, avait indiqué jeudi que « tout est possible » en réponse à un journaliste qui lui demandait si l’île de Montréal pourrait ultimement être placée en quarantaine.

« On s’inspire de ce qui se faire ailleurs mais on n’est pas la Chine, on n’est pas la Corée du Sud », a-t-il relevé en évoquant deux des pays les plus touchés par le coronavirus.