Sur la question du contrôle des armes à feu, quand on se compare à nos voisins américains, on se console.

Ce qui se passe au sud de la frontière est tout simplement délirant. La violence armée a pris la forme d’une épidémie. Et les drames des dernières semaines frappent tout particulièrement l’imagination.

Cinq personnes tuées au Texas par un voisin qui s’exerçait au tir dans son jardin et qui s’est mis en colère quand on lui a dit de faire moins de bruit…

Un jeune adolescent qui a reçu une balle dans la tête parce qu’il s’était trompé d’adresse dans l’État du Missouri…

Une femme de 20 ans abattue dans l’État de New York parce que le véhicule dans lequel elle se trouvait s’est avancé dans l’entrée d’une autre maison que celle où elle était attendue…

On pourrait continuer cette liste longtemps.

C’est d’autant plus délirant qu’à Washington, pendant ce temps, le Congrès américain refuse obstinément d’agir de façon conséquente.

Ici, on se console notamment parce qu’on habite un pays où une majorité d’élus fédéraux déploient des efforts sérieux pour mieux encadrer la vente et l’utilisation des armes à feu.

Le nier serait mentir. Des progrès mesurables ont été faits au cours des dernières années. Par exemple, en 2020, Justin Trudeau a interdit par décret quelque 1500 armes à feu semi-automatiques. Un pas de géant.

Puis, en mai 2022, il a présenté un projet de loi (C-21) qui resserrait de nouveau l’encadrement, notamment en rendant obligatoire le programme de rachat des armes d’assaut par Ottawa et en annonçant un « gel national » des armes de poing (qui a été instauré par règlement quelques mois plus tard).

Bref, on se console… mais pas complètement. On se désole aussi, car depuis ces avancées décisives, le dossier traverse une zone de turbulences.

À la fin de l’année dernière, le gouvernement libéral a cherché à rendre l’interdiction des armes d’assaut plus difficile à invalider en lui donnant force de loi. Il a proposé des amendements au projet de loi C-21, entre autres pour y inclure une liste élargie d’armes à feu prohibées à ajouter au Code criminel (482 modèles de plus).

Mais l’initiative a soulevé une vive controverse, notamment au sein de communautés autochtones – on a même vu le gardien du Canadien Carey Price sortir de sa réserve habituelle pour la critiquer.

Parce que le gouvernement a pris tout le monde par surprise, ne consultant personne à ce sujet. Et parce que dans sa liste, on trouvait certains modèles fréquemment utilisés par des chasseurs.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a par la suite effectué un virage à 180 degrés. Il a retiré les amendements controversés. Pfff… comme l’air qui s’échappe d’un ballon, la liste des 482 nouvelles armes interdites a disparu.

Puis, lundi dernier, de nouveaux amendements au projet de loi C-21 ont été présentés. Ils édulcorent la législation, au grand désespoir de groupes qui militent pour un meilleur contrôle des armes à feu comme PolySeSouvient. Leurs membres se disent trahis.

On peut les comprendre. Ottawa vient de proposer une nouvelle définition d’arme prohibée en spécifiant qu’elle s’appliquera uniquement aux armes d’assaut « conçues et fabriquées » après l’adoption du projet de loi.

Ça signifie que les 482 modèles qu’on jugeait naguère trop dangereux pour être vendus au Canada ne seront pas touchés par la loi. On annonce plutôt la formation d’un comité dont les membres se pencheront sur le sort de ces armes à feu.

La stratégie est claire : on est en train de pelleter le problème en avant.

D’autant plus qu’un tel comité a déjà existé et que son bilan n’était pas reluisant. Il y a quatre ans, Nathalie Provost, survivante de la fusillade à Polytechnique, l’avait quitté avec « le sentiment d’avoir été utilisée en tant que caution morale à l’inaction ».

Ce qui est également embêtant, c’est que la nouvelle définition d’arme prohibée précise qu’on va interdire les modèles conçus « à l’origine avec des chargeurs de grande capacité de six cartouches ou plus ». Or, beaucoup ont signalé que les fabricants auront beau jeu de vendre aux propriétaires d’armes à feu, par la suite, des chargeurs à capacité plus grande pour des modèles qui seront conçus « à l’origine » avec un chargeur d’un maximum de cinq cartouches.

À Ottawa, une source gouvernementale bien au fait du dossier indique toutefois que cette brèche devrait être colmatée au cours des prochains mois.

Vous vous demandez pourquoi les libéraux ont revu leurs ambitions à la baisse ? La réponse tient en trois lettres : NPD.

Le parti de Jagmeet Singh, à la suite de la controverse de l’an dernier, s’est dégonflé. Vraisemblablement par peur d’effaroucher un trop grand nombre d’électeurs. Et les libéraux persistent à vouloir à la fois l’appui du NPD et du Bloc pour ce projet de loi.

Mais les libéraux devraient davantage s’inspirer du Bloc que du NPD.

La députée Kristina Michaud a réclamé l’interdiction immédiate, par décret, de la quasi-totalité des 482 armes que le gouvernement souhaitait interdire l’an dernier. Elle estime que seules les autres, soit une poignée « d’armes d’assaut de style militaire raisonnablement utilisées pour la chasse », devraient être évaluées – rapidement – par le comité consultatif qu’on compte créer.

C’est assurément un exemple de compromis raisonnable qui permettrait de dissiper l’impression tenace que le gouvernement libéral est en train d’achever une réforme très, très importante, mais encore trop inachevée.