Que faire face à une réalité qui dérange et qui ne sert pas vos intérêts ?

Le truc est vieux comme le monde : semez le doute.

Remettez les chiffres en question. Insinuez que quelqu’un, quelque part, les manipule dans son propre intérêt.

Surtout, ne vous cassez pas la tête pour étayer vos propos avec des preuves ou des données. L’idée ici n’est pas d’éclairer le débat, mais de faire diversion.

Cette tactique, le gouvernement Legault la maîtrise si bien qu’il pourrait l’enseigner.

Le dernier exemple en lice est celui de la vétusté des écoles.

Devant des chiffres montrant que la proportion des écoles vétustes augmente au lieu de diminuer comme l’avait promis son gouvernement, François Legault a choisi de mettre les données en doute.

Le premier ministre a insinué cette semaine que les centres de services scolaires exagèrent l’état de décrépitude de leurs bâtiments afin d’obtenir plus d’argent de Québec.

Qu’est-ce qui étaye de telles accusations ?

Absolument rien.

On a compris que François Legault veut en découdre avec les centres de services scolaires, de plus en plus confondus avec des piñatas par ce gouvernement qui les a pourtant créés.

Mais la récente sortie est d’autant plus incompréhensible que le processus d’inspection des écoles vient justement d’être revu de fond en comble par le ministère de l’Éducation, en collaboration avec le Conseil du trésor.

Un nouvel outil, appelé Maximo, a permis d’uniformiser et de systématiser les évaluations. Selon les échos que nous en avons, il est apprécié sur le terrain.

« Tous les rapports sur l’état des infrastructures scolaires que j’ai vus étaient impeccables sur tous les plans et, de plus, étaient tous conçus selon les normes et les règles ministérielles », nous écrit Jean Bernatchez, professeur spécialisé en administration et politique scolaires de l’Université du Québec à Rimouski et président du comité d’enquête sur l’éthique et la déontologie d’un centre de services scolaire.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a cru bon d’ajouter son grain de sel en opposant ces inspections rigoureuses… à son propre coup d’œil.

C’est qu’il a lui-même visité des écoles cotées C, D ou E – les pires. Et puisqu’il n’a pas reçu de morceau de plafond sur la tête, il en conclut que le classement des écoles « peut donner une impression qui n’est pas conforme à la réalité ».

Cette façon de remettre en doute un processus formel par de l’anecdote (faut-il rappeler que M. Drainville n’a aucune expertise en inspection de bâtiments ?) manque cruellement de sérieux.

Malheureusement, elle est loin d’être unique au sein de ce gouvernement.

Quand les avis d’experts sont unanimement négatifs au sujet du troisième lien, le gouvernement Legault choisit quand même de défendre le projet bec et ongles sur la base de son intuition.

Et pourquoi ne pas inventer un nouvel indice appelé « ponts par million d’habitants » pour tenter de donner un vernis de crédibilité à l’affaire ? Le ridicule ne tue pas, mais il peut conduire à de mauvaises politiques publiques.

On a vu le même réflexe à l’œuvre quand toutes les études sur le caribou forestier ont conclu que c’est la perturbation du territoire par l’industrie forestière qui cause le déclin de cette espèce vulnérable.

De telles conclusions commandent des décisions difficiles. Mais le gouvernement Legault a plutôt semé le doute. Il s’est demandé si les changements climatiques ne joueraient pas un rôle dans le déclin du caribou. Il a voulu élargir les études aux rennes de Laponie. Il a lancé une « commission indépendante » parfaitement inutile1.

Bref, il a fait diversion en ignorant les faits.

Le même modus operandi s’est manifesté pendant la pandémie, quand les chiffres ont révélé qu’environ 20 % des classes présentaient un taux de CO2 supérieur à la norme de 1000 ppm recommandée par les experts. Le gouvernement a subtilement choisi une norme de 1500 ppm afin d’embellir le portrait et de limiter les interventions nécessaires2.

Pas plus tard que cette semaine, on a vu encore le gouvernement très mal réagir à un autre dossier dans lequel les chiffres le font mal paraître.

Mardi, le budget Girard a montré qu’à peine 1500 nouveaux logements sociaux et abordables allaient être financés pour l’année à venir, bien en deçà des besoins.

Les municipalités ont exprimé leur déception et critiqué, à juste titre, le bilan peu reluisant du gouvernement à cet égard.

Or, plutôt que d’admettre ses torts, M. Legault et la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, ont tourné leurs canons vers les municipalités avec une stupéfiante arrogance3.

À plusieurs égards, la CAQ est un gouvernement d’action qui prend les choses en main. Mais cette tendance à nier certaines réalités l’empêche de tirer des constats lucides dans plusieurs dossiers et donc d’agir en fonction des meilleures connaissances.

Le réflexe devient encore plus détestable quand le gouvernement s’en prend sans fondements à la probité et à la crédibilité d’institutions publiques, comme il vient de le faire avec les centres de services scolaires. Faire preuve de leadership commande exactement l’inverse.

Pour un comptable, François Legault entretient une bien curieuse relation avec les chiffres qui ne font pas son affaire.

1. Lisez l’éditorial « Les marchands de doute contre le caribou » 2. Lisez l’article « Taux de CO2 dans les écoles : la norme de Québec moins exigeante que recommandé » 3. Lisez l’éditorial « Logement social : l’arrogance de la CAQ »