Finalement, c’était du profilage racial ou pas ?

L’arrestation de Brice Dossa dans le stationnement du Marché central le 3 novembre dernier a suscité de vives réactions. Une vidéo montrant deux policiers en civil aux côtés d’un homme noir menotté a circulé sur les réseaux sociaux. Au moment où les images ont été prises, les deux policiers spécialisés dans le vol de voitures savaient déjà que l’homme était bel et bien le propriétaire du CR-V Honda blanc qui avait éveillé leurs soupçons. Malgré cela, M. Dossa était toujours menotté, les policiers ayant égaré la clé… Sur la vidéo, on pouvait entendre un des policiers tutoyer M. Dossa en lui parlant d’une façon qu’on ne peut qualifier de polie ou de respectueuse.

Cela dit, la vidéo ne montre pas tout. Que s’est-il passé avant qu’on commence à filmer ? Il serait utile de le savoir.

Peut-être que des éléments d’information viendraient réfuter la thèse du profilage racial ? Peut-être s’agissait-il plutôt d’une intervention bâclée réalisée par des policiers non seulement malchanceux d’avoir perdu la clé des menottes alors qu’ils étaient filmés, mais peut-être aussi un peu incompétents ?

Ou peut-être que cette intervention respectait point par point la marche à suivre ?

Dans tous les cas, étant donné la médiatisation de l’intervention et les réactions politiques qu’elle a suscitées — celle de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, entre autres — des explications s’imposent. Or, 10 jours ont passé et c’est silence radio du côté du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui s’est contenté de déclarations incomplètes sur Twitter.

Vrai, le service de police doit se plier aux nombreuses procédures qui s’imposent quand il y a enquête. Mais 10 jours semblent amplement suffisants pour comprendre ce qui s’est passé lors d’une simple intervention policière. On ne parle pas ici de remonter le fil d’une enquête sur le crime organisé ou sur l’importation de 1000 kg de cocaïne, mais bien de faire la lumière sur un banal soupçon d’auto volée.

Si l’enquête montre qu’on est face à une comédie d’erreurs, qu’on l’explique à la population. Même chose si on estime que l’affaire est plus sérieuse et qu’il faut une enquête plus approfondie. Peu importe les raisons à l’origine de ce dérapage, la transparence est de mise.

C’est le meilleur outil qui s’offre au SPVM s’il souhaite rebâtir le lien de confiance avec la population montréalaise. Car ce lien, disons-le, est amoché. Le rétablir sera un des défis de son futur directeur ou de sa future directrice. C’était écrit en toutes lettres dans l’offre d’emploi : améliorer le climat de confiance entre la population et le SPVM.

La détérioration de ce lien de confiance s’explique entre autres par les nombreux cas de profilage racial, un phénomène documenté par plusieurs études, dont une en particulier qui date de 2019 et qui montrait qu’à Montréal, les Noirs étaient 2,5 fois plus susceptibles d’être interpellés par la police que les Blancs.

Les résultats de cette étude ont heureusement mené à l’adoption d’une nouvelle politique d’interpellation au SPVM. Le récent jugement de la Cour supérieure qui vient restreindre l’interception aléatoire des automobilistes par la police est une mesure de plus qui encadrera le travail policier pour éviter les cas de profilage racial. Il faut s’en réjouir. Il faut du temps pour rebâtir la confiance, mais les choses progressent.

Cela dit, de l’autre côté, il y a des policiers fatigués, stressés, certains en perte de repères. On les dit de plus en plus désengagés. Et ce phénomène est lui aussi documenté par de nombreuses études.

Ce désengagement ne s’observe pas seulement au SPVM. Tous les corps policiers sont touchés, que ce soit dans le reste du Canada, aux États-Unis ou en Europe.

Une étude réalisée par l’École nationale de police du Québec et rendue publique l’an dernier a identifié les principales raisons de ce désengagement au Québec. En tête de liste : la crainte de répercussions ou de conséquences en lien avec de possibles accusations de profilage racial. Et la crainte d’être l’objet de critiques du public en lien avec la méconnaissance du métier de policier.

La méfiance de la population et le mal-être des policiers sont donc les deux côtés d’une même médaille.

Pour rapprocher ces deux points de vue qui sont loin d’être inconciliables, le SPVM a tout à gagner à venir sur la place publique expliquer son travail.

Il le fait quand ça va bien. Il laisse alors entrer les caméras pour montrer ses bons coups. Mais il doit aussi le faire quand ça va moins bien, pour expliquer ce qui a mal été. S’il veut rétablir la confiance, il n’a pas vraiment le choix. Et ça commence par nous expliquer ce qui s’est passé le 3 novembre dernier dans le stationnement du Marché central.