Avertissement : ceci n’est pas un édito moralisateur pour ordonner à nos ados et nos jeunes adultes de troquer leurs séries sur Netflix pour STAT ou Indéfendable, sans quoi l’avenir de la nation québécoise est en péril.

Pendant que nos politiciens ont passé une partie de la campagne électorale à s’inquiéter pour l’avenir du français, les jeunes Québécois, eux, délaissent notre industrie culturelle.

Ils regardent les séries américaines et autres séries étrangères sur Netflix, écoutent de la musique anglo-américaine sur Spotify et sont sur TikTok et Instagram.

Vous pensez que c’est un cliché ? Deux profs du cégep de Jonquière ont sondé leurs 643 élèves du programme de médias. Comme le rapportait notre collègue Marc Cassivi, les résultats sont aussi catégoriques qu’inquiétants :

• 23 % d’entre eux regardent une série québécoise de fiction chaque semaine, contre 85 % pour les séries sur Netflix et 87 % pour le contenu sur YouTube ;

• pour 75 % d’entre eux, leur série préférée est américaine ;

• près de la moitié regardent seulement des séries et des films en anglais.

Lisez la chronique de Marc Cassivi « Véro qui ? »

Radio-Canada a fait sensiblement le même exercice cette semaine dans un cours de communications d’un cégep montréalais, pour en arriver aux mêmes conclusions sur cette « génération Netflix ».

Vous voulez un vrai danger pour la culture québécoise et la vitalité du français ? En voilà un.

Il y a un coupable si les jeunes Québécois ne consomment pas assez de culture québécoise.

Nous.

Ça fait des années qu’on laisse les nouvelles plateformes numériques comme Netflix nous inonder de contenu étranger, sans les forcer à proposer un certain seuil de contenu québécois.

Sans les forcer à financer la production de contenu québécois (Netflix a conclu une entente en 2017, mais on s’est vite rendu compte qu’Ottawa a mis la barre beaucoup trop bas). Sans les forcer à mettre le contenu québécois en valeur.

Ça fait des années qu’on coupe dans les budgets d’émissions jeunesse, le parent pauvre de la production télé. (Tout n’est pas négatif. Il y a eu d’excellentes émissions très populaires comme Le chalet et les galas Mammouth. Sans oublier le retour de Passe-Partout.)

Et après, on s’étonne que les jeunes Québécois, qui ont grandi dans l’univers numérique, préfèrent Stranger Things aux dernières séries québécoises.

N’idéalisons pas le passé : la culture américaine n’a jamais été très loin. Selon l’époque, les ados québécois se sont passionnés pour Beverly Hills 90210, Dawson’s Creek ou The O. C.. L’enfance de génération Y a été bercée par Passe-Partout, mais aussi par Astro, le petit robot et Le petit castor, deux animés japonais traduits à Radio-Canada.

Sauf qu’il y avait un équilibre. Un équilibre forcé : les jeunes Québécois regardaient beaucoup d’émissions québécoises essentiellement… parce qu’ils n’avaient pas trop le choix. On regardait ce qui « jouait » à la télé. Et la réglementation fédérale forçait les chaînes à diffuser une grande proportion de contenu canadien et québécois. Parce qu’on trouvait, comme société, que c’était important d’avoir des histoires qui nous ressemblent, créées par et pour les Québécois.

Cet équilibre, la révolution technologique, Netflix, Disney+, Spotify et YouTube l’ont fait voler en éclats.

Depuis, on tente péniblement de trouver un nouveau compromis acceptable.

Sauf que ça bloque à Ottawa.

Après des années à étudier la question, le gouvernement Trudeau a déposé un projet de loi en 2021 pour forcer les diffuseurs de contenu en ligne à financer la production de contenu canadien et à mettre le contenu canadien en valeur sur leurs plateformes. Parfait. Mais depuis le début, les conservateurs et certains experts tentent de faire dérailler ce projet de loi pourtant sensé et raisonnable. On accuse le gouvernement Trudeau de vouloir contrôler ou de censurer l’internet. C’est ridicule. On agite un faux épouvantail pour faire peur aux gens.

Après avoir été adopté par la Chambre des communes le printemps dernier, le projet de loi C-11 est maintenant à l’étude au Sénat, qui doit voter plus tard cet automne. Conseil amical au Sénat : vous devriez l’adopter le plus vite possible. On réglemente la télé depuis des décennies sans que le Canada se soit transformé en l’univers de George Orwell. Il ne faudrait surtout pas que ce projet de loi, si crucial à long terme pour la culture québécoise, meure au feuilleton une deuxième fois en raison du déclenchement d’élections fédérales. Car il y a un gouvernement minoritaire à Ottawa.

C-11 ne réglera pas à lui seul le problème de l’attachement moindre des jeunes à la culture québécoise. Il ne garantit pas que tous les ados se mettront à consommer deux fois plus de culture québécoise du jour au lendemain.

Il faudra aussi mieux financer nos émissions jeunesse (la CAQ et le PQ l’ont proposé en campagne électorale). Attirer les jeunes en diffusant quelques épisodes de séries sur les plateformes numériques qu’ils consomment.

Une série lourde au Québec dispose d’un budget de 750 000 $ par épisode. Stranger Things coûte environ 16,5 millions par épisode. The Crown, 18 millions. On ne se battra jamais à armes égales avec la culture anglo-saxonne.

Sans C-11, on n’aura peut-être plus les moyens de se battre tout court.