Pour tuer un chien, dites qu’il a la rage. Pour congédier une femme, des cheveux blancs pourraient suffire.

Le congédiement de Lisa LaFlamme, chef d’antenne du réseau CTV News et journaliste à l’impressionnant parcours, a provoqué une onde de choc à travers le pays.

Que reproche-t-on à cette journaliste bardée de prix qui anime le bulletin de nouvelles le plus regardé au Canada depuis 10 ans ? On ne connaît pas toutes les raisons — Bell Media, la société mère, mène une enquête interne –, mais il semble que les cheveux gris de Mme LaFlamme dérangeaient son supérieur. « Qui a approuvé la décision que Lisa laisse ses cheveux gris ? », aurait demandé le vice-président de CTV News, Michael Melling, des propos rapportés par le Globe and Mail jeudi dernier.

Le cas de Mme LaFlamme est loin d’être unique. L’apparence compte pour beaucoup à l’écran, où les femmes âgées sont sous-représentées et où les pressions pour paraître jeune se font encore sentir en 2022.

Encore récemment, en 2019, cinq journalistes de la chaîne de télé New York One, des femmes âgées de 40 à 61 ans à l’époque, déposaient une plainte officielle contre leur employeur pour discrimination liée à l’âge. Et preuve que le sujet est dans l’air du temps, l’âgisme est un des thèmes au cœur de la populaire série The Morning Show mettant en vedette Jennifer Aniston dans le rôle d’une animatrice d’expérience qui se bat pour conserver sa place.

La discrimination à l’endroit des gens vieillissants ne s’observe pas seulement dans l’univers de la télévision. L’âgisme serait « la forme de discrimination la plus tolérée et répandue au Canada », selon le chercheur Dany Baillargeon de la Chaire sur le vieillissement de l’Université de Sherbrooke.

C’est étudié et documenté.

Et les gouvernements prennent le problème au sérieux. Le Forum fédéral, provincial et territorial des ministres responsables des aînés vient de lancer une vaste consultation à travers le pays. Objectif : prendre le pouls de la population âgée et trouver des solutions pour contrer les conséquences néfastes de l’âgisme.

Consultez la page du Forum fédéral, provincial et territorial des ministres responsables des aînés

Selon une étude citée en marge de cette consultation nationale, près des deux tiers (63 %) des personnes âgées sondées disent avoir été traitées injustement à cause de leur âge. À la source de cette discrimination : les jeunes, les professionnels de la santé, les politiques gouvernementales et les employeurs.

Il est vrai que le monde du travail est particulièrement cruel pour les gens vieillissants, et encore plus pour les femmes. Selon une étude citée dans le Journal of Political Economy en 2019, les employeurs rappellent moins les travailleurs âgés qui déposent leur curriculum vitæ. Et après analyse de 40 000 demandes d’emploi, les auteurs de l’étude en sont venus à la conclusion que la discrimination fondée sur l’âge dans l’embauche visait beaucoup plus les femmes âgées que leurs homologues masculins.

Dans le document Examen des répercussions sociales et économiques de l’âgisme, des chercheurs de l’Université d’Ottawa notent pour leur part que « les effets cumulatifs de la discrimination fondée sur l’âge, le sexe et l’ethnicité placent les femmes âgées et les minorités visibles en tête de liste des personnes qui subissent l’âgisme en milieu de travail ». C’est déprimant.

Ça l’est encore plus quand on apprend que dès la quarantaine, une femme commence à perdre de sa valeur sur le marché de l’emploi. Une étude réalisée par Ellie Berger, professeure associée de sociologie et d’anthropologie à l’Université de Nipissing, en Ontario, confirme que les femmes vivent l’âgisme plus tôt et plus fortement que les hommes.

D’autres données confirment qu’après une mise à pied, les femmes de 50 ans et plus mettent plus de temps que n’importe quel autre groupe d’âge à se trouver un nouvel emploi. De manière générale, elles sont plus susceptibles d’être jugées sur leur apparence physique, sans compter qu’on les trouve plus rigides et « difficiles ».

Ces attitudes discriminatoires ont des conséquences concrètes chez les victimes d’âgisme : réduction de la longévité, pauvreté, insécurité financière, impact sur la santé et l’estime de soi. Au final, la dévalorisation que ressent la personne victime d’âgisme la pousse plus rapidement vers la retraite.

Le pire, c’est que la pénurie de main-d’œuvre n’y change rien. Des employeurs bornés préfèrent se priver de ressources plutôt que d’embaucher un travailleur de plus de 50 ans. Quel gaspillage ! On compte environ 1,2 million de Québécois âgés de 55 à 65 ans. Comment peut-on se permettre de lever le nez sur toutes ces personnes d’expérience ? C’est à n’y rien comprendre.

D’autant plus que l’augmentation du nombre de travailleurs plus âgés aurait des répercussions positives sur l’économie canadienne et même sur le produit intérieur brut, selon une étude du Conseil consultatif en matière de croissance économique publiée en 2017.

En d’autres mots, l’âgisme nous coûte cher, personnellement et collectivement.

Et contrairement aux autres formes de discrimination, personne n’est à l’abri. On y goûtera tous un jour. Et plutôt tôt que tard si on est une femme.

Faudra-t-il un #metoo de l’âgisme pour crever l’abcès ?