L’économie doit-elle passer avant la santé ? Ou la santé doit-elle plutôt primer sur l’économie ? Les habitants de Rouyn-Noranda sont aux prises avec ce dilemme vieux comme le monde.

En 2019, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, avait pris position résolument en faveur de la santé. Il réagissait à la publication des résultats d’une étude sur « l’imprégnation au plomb au cadmium et à l’arsenic » des enfants du quartier où se trouve la tristement célèbre fonderie Horne.

C’est le rapport qui a fait tant de bruit la semaine dernière, parce qu’on a appris qu’une de ses annexes avait été retirée à la demande du Dr Arruda.

« Notre première préoccupation au niveau du gouvernement est réellement la santé de la population », avait déclaré Benoit Charette, interviewé par le journaliste Patrice Roy.

Ce n’était pas tout à fait exact à l’époque. Ça ne l’est pas davantage aujourd’hui.

Oh, bien sûr qu’on s’en préoccupe, à Québec ! Mais on s’est aussi beaucoup soucié – comme bon nombre de résidants de Rouyn-Noranda, d’ailleurs – de la survie de la fonderie au cours des dernières années.

On n’a même pas besoin d’épiloguer sur la disparition de la fameuse annexe pour le comprendre. Il suffit de relire les recommandations du rapport.

C’est écrit noir sur blanc : « on ne peut pas conclure qu’aucun effet sur la santé n’est susceptible de se manifester », quant au risque cancérigène, « à la suite d’une exposition chronique à des concentrations d’arsenic supérieures à 3 nanogrammes par mètre cube ». Ce qui correspond à la norme québécoise.

On souligne aussi qu’une « exposition continue à des concentrations au-delà de 15 nanogrammes par mètre cube ne permettrait pas de protéger les enfants des effets neurotoxiques pouvant être induits par l’arsenic ».

Or, en 2017, on a donné le droit à la fonderie Horne d’émettre jusqu’à 33 fois plus d’arsenic que la norme québécoise. Plus exactement 100 nanogrammes par mètre cube. Et dans les 10 années précédentes, elle pouvait aller jusqu’à 200 nanogrammes par mètre cube.

On a littéralement accordé à cette usine un permis de polluer. Et elle n’est pas la seule, au Québec, à bénéficier de ce qu’on appelle généralement une « attestation d’assainissement ».

Au total, 89 autres pollueurs ont droit à ce traitement préférentiel. Le ministère de l’Environnement a fourni la liste à La Presse. On y trouve par exemple des usines de Rio Tinto Alcan à Saguenay, de nombreuses mines et un plus grand nombre encore d’établissements dans le secteur des pâtes et papiers à l’échelle de la province.

L’idée derrière cette mécanique n’est pas absurde. La fonderie Horne a obtenu cette attestation parce qu’elle était en activité longtemps avant que la norme en question soit appliquée. C’est en quelque sorte une clause de droits acquis (« clause grand-père ») visant à forcer une entreprise à se conformer progressivement à la réglementation.

Mais les plus récentes données sur la santé de la population de Rouyn-Noranda montrent qu’on a versé dans la complaisance en voulant faire preuve de tolérance.

Et on se retrouve avec un scandale environnemental sur les bras.

Que diriez-vous si on vous apprenait qu’on meurt généralement cinq ans plus tôt dans le quartier où vous habitez qu’ailleurs au Québec ? Que le taux de maladies pulmonaires obstructives est sensiblement plus élevé dans votre ville ? Ou qu’il y a une différence marquée sur le plan de l’incidence du cancer du poumon et divers autres problèmes de santé ? Entre autres…

Notons ici que personne n’a établi de lien formel de cause à effet entre ces problèmes de santé et la fonderie Horne. Mais c’est sa présence « qui distingue Rouyn-Noranda du reste du Québec », comme l’a fait remarquer récemment le Conseil régional de l’environnement de l’Abitibi-Témiscamingue.

Alors, faute de mieux, les autorités de santé publique offrent, notamment, des recommandations pour réduire l’exposition des enfants aux contaminants environnementaux.

On suggère par exemple de ne pas passer le balai ou l’aspirateur en présence de vos enfants et de laver leurs jouets fréquemment. De les empêcher de se mettre du sable dans la bouche. Et de ne pas laisser traîner la suce de bébé sur le sol.

C’est terrible d’en être rendu là…

La bonne nouvelle dans tout ça, parce qu’il y en a une, c’est que Québec et la fonderie approchent d’un tournant. L’attestation d’assainissement arrive à échéance en novembre. Elle devra être renouvelée.

Toute la question est de savoir jusqu’à quel point on fera pression sur l’entreprise pour qu’elle réduise encore davantage ses émissions. Et jusqu’à quel point la fonderie sera-t-elle prête à collaborer sans menacer de fermer ses portes ?

À ce sujet, il serait bon d’obtenir l’avis de la population de Rouyn-Noranda. À voir la levée de boucliers des dernières semaines, on comprend qu’on ne souhaite plus donner le bon Dieu sans confession aux propriétaires de l’usine. Mais une majorité de citoyens est-elle prête à accepter que la fonderie ferme ses portes ?

Dans tous les cas de figure, certaines des demandes faites par le conseil municipal de Rouyn-Noranda au gouvernement du Québec à la mi-juin vont demeurer d’actualité.

On ne souhaite pas seulement l’amélioration des performances environnementales de la fonderie, on veut aussi une meilleure prise en charge des problèmes de santé qui se multiplient en raison des émanations d’arsenic et autres polluants.

Ces injonctions ne doivent pas rester lettre morte. Ce scandale environnemental doit être, de façon urgente, beaucoup mieux géré qu’il ne l’a été jusqu’ici.