L’arbre cache parfois la forêt. C’est ce qui se passe ces jours-ci lorsqu’on tente d’évaluer la qualité de la relation entre Ottawa et Washington.

Si le rôle présumé joué par Joe Biden dans la libération des deux Michael se confirme – certains affirment qu’il aurait fait pression sur la Chine pour lier leur sort à l’entente mettant fin au processus d’extradition de Meng Wanzhou –, il s’agit d’un sérieux coup de pouce de sa part.

Justin Trudeau lui devra une fière chandelle.

Ça nous prouverait non seulement que les tensions ont été grandement atténuées depuis le départ de Donald Trump, mais que l’administration Biden peut aussi être sensible aux besoins d’Ottawa.

Mais ça, c’est l’arbre. La forêt est plus touffue et plus sombre.

La complicité entre le gouvernement Trudeau et l’administration Biden a ses limites. Plusieurs indices nous ont permis de le constater récemment.

À commencer par le pacte de sécurité signé par Washington avec l’Australie et le Royaume-Uni (AUKUS).

Rappel : les États-Unis ont décidé de vendre des sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie, pays qui a pour sa part rompu un contrat colossal signé avec Paris.

L’affaire a piqué la France au vif, mais elle a de quoi nous préoccuper aussi. Ce pacte consiste en un partenariat stratégique pour la région indopacifique, dans le but évident de contrer le désir de puissance de la Chine, et... le Canada n’en fait pas partie.

Le Canada et la Nouvelle-Zélande formaient déjà, avec les trois pays qui ont signé ce nouveau pacte, le Groupe des cinq (Five Eyes). Il s’agit d’une alliance de leurs services de renseignement respectifs. Quelle en est, désormais, sa valeur ?

Ce n’est pas tout. Non seulement le Canada n’est pas membre de ce nouveau pacte, mais le gouvernement à Ottawa a aussi été tenu dans le noir jusqu’à la toute dernière minute.

Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense du Canada, Marc Garneau et Harjit Sajjan, n’ont appris la nouvelle que quelques heures avant l’annonce officielle le 15 septembre dernier, a révélé le Globe and Mail.

Ils l’ont su par leurs homologues australiens et britanniques.

Pas de la bouche de notre allié américain.

PHOTO EVELYN HOCKSTEIN, REUTERS

Scott Morrison, premier ministre de l’Australie, a participé à une réunion dans l’East Room de la Maison-Blanche à Washington, le 24 septembre dernier.

Joe Biden a même ajouté du sel sur les plaies à la mi-septembre en marge de l’assemblée générale des Nations unies. Il a affirmé que les États-Unis n’ont « pas d’allié plus proche ou plus fiable que l’Australie ».

Ah bon ?

On peut aussi se poser des questions quant à la façon cavalière dont Washington a retiré les troupes américaines d’Afghanistan. Comme plusieurs autres alliés, le Canada a été pris de court.

Nous avons aussi quelques interrogations sur le manque de coordination en ce qui concerne la réouverture de notre frontière commune.

Certains diront qu’il n’y a pas que le Canada qui est traité à la va-comme-je-te-pousse par Washington.

C’est vrai.

Mais premièrement, nous ne devrions pas être un allié quelconque. Nous sommes des voisins et des partenaires privilégiés. Joe Biden lui-même, lors de sa visite à Ottawa en 2016, avait dit que « nous sommes plus comme une famille que comme des alliés ».

Deuxièmement, ce n’est pas une raison pour accepter docilement cette situation.

S’il y a des facteurs géopolitiques qui peuvent expliquer pourquoi l’Australie a pu déclasser le Canada aux yeux de Washington, plusieurs évoquent aussi le fait que ce pays a travaillé fort pour parvenir à ce résultat.

Il en va des relations entre deux pays comme de l’amitié en général : ça se cultive. Et si on n’y prend pas garde, ça peut se flétrir.

Le gouvernement canadien se serait-il endormi sur ses lauriers depuis que Joe Biden est à la Maison-Blanche ?

Certains, notamment à Washington, ont l’impression que le Canada a cessé d’appuyer sur l’accélérateur. Et qu’il est en perte de vitesse.

Sous Donald Trump, tout le monde se démenait comme un diable dans l’eau bénite pour satisfaire notre précieux allié. Ce n’est plus le cas.

C’est une erreur.

Il faut dire aussi que sur la scène internationale, le Canada a perdu des plumes depuis l’ère Harper.

Le gouvernement libéral a redoré le blason du pays, mais ne s’est pas encore montré à la hauteur des ambitions manifestées en 2015, lorsque Justin Trudeau avait soutenu que le Canada était de retour.

Fraîchement réélu, le premier ministre libéral aurait tout avantage à garder ces constats en tête lorsqu’il choisira, sous peu, à qui il va confier le prestigieux portefeuille des Affaires étrangères.

Personne ne va s’intéresser au Canada à Washington si le Canada ne trouve pas des façons de se démarquer.

Dans la capitale américaine ET ailleurs dans le monde.

S’en rend-on suffisamment compte, à Ottawa ?

Pour l’instant, on ne dirait pas.

L’ère Trump est terminée. Mais la bromance entre Justin Trudeau et Barack Obama, qui avait fait les manchettes en 2015, est également chose du passé.

Raison de plus, pour le gouvernement canadien, de trouver des façons d’attiser encore un peu plus la flamme qui semble s’être rallumée avec l’administration Biden.

En somme, il importe de trouver des façons pour que le Canada redevienne, aux yeux des politiciens américains à Washington, un allié indispensable.