L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Réveil à -7 °C un matin en début de semaine. Fin fond des bois en Haute-Mauricie. Encore de la neige ici et là sur les flancs nord dans la forêt. Pas eu besoin d’un thermomètre pour savoir qu’il faisait froid.

La sortie du lit est plus lente, le temps que le poêle à bois – allumé aux premières lueurs – ait eu le temps de réchauffer un peu l’intérieur du camp. Avec comme rêvasserie, entre plusieurs autres, l’inquiétude du monde de l’enseignement face à la montée de l’intelligence artificielle lors d’un congrès récent. Je n’y reviendrai pas, sauf pour ceci : peut-on vraiment survivre en « feintant » son savoir ? Ça fera de nous des primates en captivité.

Dans une armoire qui sert de bibliothèque dans un coin sombre du « shack », une pile de revues et de livres accumulés durant des décennies. Il est parfois bon de relire des vieux journaux et d’anciennes publications.

Confidence : j’adore lire les actualités plusieurs jours plus tard, ce qui offre une saine distance avec l’excitation du présent.

Et il est aussi parfois heureux de laisser décanter une semaine d’actualités. Comme cette enquête sur le rapport de confiance que l’on entretient avec les médias d’information et la baisse de crédibilité des journalistes. Une baisse pas du tout inquiétante, mais plutôt révélatrice d’un état pas aussi idéal qu’on aime le croire. A-t-on réellement besoin de l’illusion d’exister à chaque seconde dans l’urgence ?

J’achète (et je lis) encore des journaux papier (et aussi beaucoup pour partir les feux au camp). Parenthèse : la caissière du dépanneur sur la 155 près de La Tuque, à qui il manquait les deux palettes d’en haut, avait le plus beau sourire du monde. « Vous avez un beau sourire. » Pas sûr qu’elle m’ait cru. C’était sincère.

Sale temps pour la vérité, dirait l’autre.

Si, dans l’avenir de l’IA, c’est un logiciel qui réussit l’examen de quelqu’un, j’éviterai simplement cette personne ; ça finira par paraître. Ça fera des humains plus ou moins vrais. On devrait travailler à voir la différence plutôt que chialer. On en a déjà vu. On améliore nos corps avec la chirurgie depuis des décennies (et on se justifie avec un sentiment « d’empowerment »), pourquoi pas l’intelligence ?

Les athlètes russes trichent. Il y a de l’ingérence dans les élections même si on ne trouvera jamais les coupables. Oh et aussi : quelqu’un pourrait dire au ministre Drainville qu’il n’est plus à la radio ; j’y avais pensé tout seul et, quelques heures plus tard, en chiffonnant le papier pour partir un feu, c’était écrit mot pour mot dans Le Journal de Montréal par Richard Martineau (que le ministre n’est plus un animateur radio…). Ne comprenez pas mal la phrase précédente : j’acquiesce à cette idée de dire le fond de sa pensée, mais PAS dans un environnement où il faut faire semblant de dire la vérité. Ce qui, malheureusement, semble être le cas de la voix politique. Symptôme d’un monde inquiet, comme ces gens qui ont manqué de papier-cul toute leur vie. On s’entend que personne n’a utilisé ses mains depuis des siècles à la toilette. J’adore que le ministre dise le fond de sa pensée. Ça manque cruellement aux discours de bien-pensance des fondés-élus de pouvoir et autres curés contemporains. Il pourra s’excuser des milliers de fois, soit. Ce n’est pas dans la contrition que le ministre fait plaisir, mais parce qu’il roule un peu dans la garnotte, comme nous. Précision ici : je n’ai pas voté pour lui, ni dans son premier parti ni dans l’autre.

Et puis cette merveilleuse idée, du gouvernement fédéral, de réécrire l’Histoire officielle ici et là, motivé par une culpabilité… J’ai tenu tant de choses pour acquises, racontées et enseignées par des professeurs. On me dit aujourd’hui que c’était à tort. Est-ce parce qu’on s’ennuie ? Croit-on vraiment que l’on fait réellement mieux qu’avant ?

Tant de gens commentent le présent social, s’indignent, inventent des drames, des vérités et des mensonges. Comme pour se donner du plaisir…

Pas besoin du thermomètre pour justifier les -7 °C, sinon qu’à quelques incrédules. Me suis gelé les couilles en allant chercher le lait sur la véranda. Parlant de couilles : dans la bibliothèque, un livre qui parlait de la masturbation chez les primates (Cambridge University Press). Fascinant, si peu se touchent en liberté et mille fois plus en captivité. La science avance l’hypothèse que c’est pour contrer le manque de compétition ou à cause d’un ennui existentiel. Voilà que ceci explique cela.

Quelques minutes plus tard, le poêle était parfait pour des toasts. J’ai ensuite mis du gaz dans la scie mécanique et le reste de la journée a été jouissif.