L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

La maison tremblait. C’était au-delà des sifflements et des grondements. Au milieu du fleuve sur une île cette semaine. Le vent que les insulaires appellent nordet. Fort.

J’y vis 100 jours par année. Un peu de chasse, beaucoup de patentes d’artiste, énormément de marche (10 km presque tous les jours) et surtout une contemplation de la nature à l’écart des commenteux urbains et des pixels. La nature donc, vous savez, cette chose dont on oublie souvent l’existence au profit de soi ? Au printemps, après l’hiver, je fais le tour des maisons, des granges et autres bâtiments pour en vérifier l’état. Ça va vite, car j’ai appris à ne regarder que les façades qui font face au nord-est. Vent dominant. C’est toujours là que les matériaux s’usent en premier. Si les côtés nord-est sont OK, le reste le sera. Ça fait quatre siècles que les choses sont plantées ainsi ici.

Les pères malards (leur vrai nom est canard colvert) sont seuls aux abords des sentiers et des étangs parce que les mères malards pondent et couvent le nid. C’est comme ça. N’écrivez pas à l’ombudsman du Grand Ordre pour vous plaindre, ça ne changera rien.

Ici et là, les choux puants se pointent et les fougères (celles des têtes de violon) commencent à verdir. Aussi les chrysanthèmes, nos marguerites, se dégênent. Des oies partout dans le ciel et dans les champs ; revenues du sud pour une halte avant de monter se reproduire dans l’Arctique. Des cormorans. Des aigles, des hirondelles bicolores, des vautours…

Avec en sourdine – et échos, car ça se passe pas très loin d’ici (Lévis est à 60 km) –, cette histoire de troisième lien et le magnifique théâtre qui en témoigne et nous divertit.

Donc, me voici pendant l’une de ces marches quotidiennes avec mon chien et le chien d’une employée. Ce dernier, un épagneul anglais, est une machine de traque impressionnante mue par un instinct qu’on a un peu beaucoup façonné durant des siècles. Il débusque les cerfs et tous les animaux des prés et de la forêt. En travers d’un chemin dans un fossé empli par la marée haute, un rat musqué nage et plonge. L’épagneul l’a vu, court, saute à l’eau, attrape le rongeur, secoue la tête trois, quatre fois et relâche le rat musqué sur la route en terre, raide mort. Puis, le chien reprend sa marche comme rien. Me suis demandé s’il était fier ou par quel ordre du destin on avait réussi à modifier et entretenir cet instinct jusqu’à aujourd’hui. Ce tissage fascine.

Bon, y a-t-il vraiment quelqu’un (même les plus beaux rêves de licornes ou de princes charmants) qui croit qu’un tunnel destiné au transport collectif sera construit ? On fera des études et puis la conclusion la plus plausible plaidera pour développer Québec vers son nord-ouest, ouvert et sans fleuve.

Je me suis surpris à avoir de l’empathie pour les politiciens cette semaine. Rien de grave ni de durable, mais assez pour ceci : pourquoi ?

Bin, parce que.

Pourquoi les critiquer avec autant de véhémence et de rage ? Je sais qu’ils songent à se voter des augmentations de salaire de 21 %.

On constate dès lors que ce n’est pas parce qu’ils sont élus qu’ils sont exceptionnels. Au contraire. L’alcool, l’argent et, apprend-on, le pouvoir sont de puissants révélateurs de vérités et de laideurs. Mettre sa face sur une pancarte aussi.

Depuis quand être élu est-il un dogme d’infaillibilité ? Est-ce qu’il y aura un jour un hôpital Philippe-Couillard ? Un congrès Jean-Charest sur le financement des partis politiques ? Une chaire de recherche universitaire Justin-Trudeau sur l’éthique et les conflits d’intérêts ? Ou encore un pont-tunnel François-Legault ?

Avec donc tous ces derniers dérapages, je suis quand même heureux de constater que les gens au pouvoir ne sont que des gens à qui on a prêté un pouvoir. Dans le secteur privé, il y a longtemps qu’ils auraient perdu leur job. Mais on n’est pas au privé. Ce sont les règles pour être gouverné publiquement. Certains sont immensément intelligents et d’autres plus cabochons. C’est pas mal une grosse moyenne de nous qui ressort de cette affaire.

On se surprend à souhaiter davantage d’admiration pour ceux qui nous gouvernent. Si peu d’hommes et de femmes politiques seront élevés par la fonction, c’est triste, mais c’est ça. Avec les conséquences que certains grenouillent, font des erreurs, des fausses promesses ou mentent. Ça ressemble pas mal au vrai théâtre de la vie. C’est fou la perte d’équilibre et de valeurs qui vient avec l’envie de « gouverner ».

Deux jours plus tard, le rat musqué mort a été dévoré sous mes yeux par un urubu (de la famille des vautours). Et moi, en poète, je peux raconter cette étrange chaîne naturelle. Et laisser aux autres le soin d’en faire du sens.

M’est avis que pas grand-chose n’y changera. On a ce qu’on mérite et ce qui nous ressemble.

Et comme les insulaires nés ici disent quand je leur demande comment ils font pour se protéger du vent de nordet : on fait avec.