Ce qui est proprement sidérant à la fin de cette semaine où on a tellement parlé du troisième lien entre Québec et Lévis, c’est le nombre de questions qui sont sans réponse sur ce projet-phare de la CAQ. C’est à se demander quel travail sérieux il s’est fait sur un dossier qui était pourtant prioritaire pour ce gouvernement.

À la conférence de presse de la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, il n’y avait qu’un seul chiffre : entre 9,5 et 10 milliards de dollars. C’est la nouvelle estimation des coûts de la mouture « bitube » du projet. Sans provisions pour l’inflation ou les impondérables. Par exemple, les retards causés par la fragilité des chaînes d’approvisionnement.

À la fin, c’est la seule et unique raison de l’abandon du projet : à ce prix-là, il était devenu politiquement indéfendable. Pour fins de comparaison, ce serait deux fois plus cher que le pont Samuel-De Champlain, l’infrastructure de transport la plus utilisée au Canada.

Mais le retour à la case départ montre qu’on n’avait pas de réponses à des questions que l’on croyait réglées. Le trajet, par exemple : est-ce que ce serait toujours de centre-ville à centre-ville ? Certains disent qu’il faut aller plus à l’est, comme le voulait la CAQ en 2014 ? Ou plus à l’ouest, parce que la véritable demande se trouverait là ? On ne sait pas où le tunnel sortira de terre à Québec comme à Lévis.

On n’a pas plus de précision sur le coût d’un tunnel plus modeste. Une chose est cependant certaine : un seul tube, ça ne coûtera pas 50 % de moins que le bitube. Il y a des coûts inhérents à la construction qu’on ne peut pas compresser. C’est comme un édifice : qu’il ait deux ou cinq étages, il faudra toujours des fondations.

Quel moyen de transport circulera dans le tunnel ? Le futur tramway de Québec ? Un autre type de train ? Des autobus électriques ? Ça aussi, ça reste à déterminer.

Par ailleurs, les experts des grands travaux qui ont consulté les quelque 8000 pages d’études finalement rendues publiques par le gouvernement n’en reviennent pas du manque de rigueur de toutes ces études. À peu près rien sur la construction du tunnel ou sur sa conception technique. En clair, on ne sait pas encore quel genre de tunnel on veut faire.

Pas plus qu’on a fait d’études sur les solutions de rechange, comme celles que proposait l’ancien maire de Québec Régis Labeaume, soit de réaménager les têtes de pont avec une gestion active qui permettrait d’utiliser de façon sécuritaire certaines voies en sens contraire aux heures de pointe. Que ce soit pour qu’elles puissent être adoptées de façon permanente ou, au moins, pour les 10 ans de perturbations dues à la construction du tunnel.

Voilà pour les aspects techniques. Mais la nouvelle mouture du troisième lien soulève aussi des questions politiques – on pourrait même dire culturelles – qui pourraient faire dérailler le projet.

À sa conférence de presse, cette semaine, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a insisté sur le fait que puisque le nouveau projet ne comprend que du transport en commun, il fallait instaurer de nouvelles habitudes.

Mais le réflexe du transport en commun va être difficile à faire adopter à des citoyens qui, depuis que la CAQ est au pouvoir, n’ont entendu parler que de temps d’attente aux ponts, de congestion qu’on allait réduire avec un tunnel qui allait tout régler.

C’est un véritable changement de culture que voudrait amener Mme Guilbault, mais de tels changements prennent du temps. Beaucoup de temps. Pourtant, « il faut franchir ce pas-là », a dit la ministre.

Mais il faut quand même remarquer que l’attitude de la CAQ depuis qu’elle est au pouvoir aura été beaucoup plus de ne pas perdre d’appuis dans les banlieues et chez les propriétaires d’auto solo que de les inciter à utiliser le transport collectif.

Dans le cas du troisième lien, il faudrait aussi que la Rive-Sud commence résolument à s’intéresser au transport en commun. Il y a quelques jours à peine, un groupe de citoyens de Lévis, le Collectif Virage, dénonçait les retards de la Ville qui a mis tous ses œufs dans le panier du troisième lien. « [Le maire Lehouillier] veut avoir le gros cadeau et n’est pas porté à demander pour le reste », disait-on.

Bref, sur la Rive-Sud, on semble croire beaucoup plus à la construction immobilière et à l’étalement urbain qu’au développement durable.

Devant autant de questions sans réponse et d’obstacles à franchir, on ne s’étonnera pas que beaucoup de gens n’y croient plus et aient maintenant conclu que le troisième lien ne se réalisera jamais.

De toute évidence, le gouvernement n’a pas fait ses devoirs et a laissé le projet au stade de promesse électorale. Il y aura sans doute un coût politique à payer, surtout sur la Rive-Sud de Québec. Mais même cela n’a vraiment pas l’air d’empêcher le gouvernement de dormir.