L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Pris dans la circulation, un grand sourire la semaine dernière, en apprenant l’existence d’un Sommet sur les chantiers à Montréal fin mars pour favoriser la mobilité.

Aucun cynisme ici ; de mémoire, ça fait 30 ans qu’on tente de trouver des solutions. À quoi croit-on exactement ? Je me risque : probablement davantage au processus qu’au résultat. Faisons un détour.

Parfois, il faut casser la glace de l’abreuvoir au poulailler. « Oh my God, elles doivent avoir froid, vos poules », m’a dit quelqu’un dernièrement.

Derrière la maison, il y a un étang et des sentiers d’érablière. En mars, on ne s’aventure plus sur les plans d’eau. Trop dangereux.

Par un matin glacial, il y a quelques jours, je suis sorti en boxer pour aller à la shed brancher le tracteur. Le diesel, pour démarrer, a parfois besoin d’un peu d’aide de l’électricité. Me suis dit qu’une marche rapide de 300 m ne nécessitait pas un kit d’hiver à 1000 piastres ; je n’étais pas sur le Plateau, à Outremont ou dans Rosemont. Personne pour critiquer ou pour dire que ça n’avait pas de bon sens. Des bottes donc, et une chemise à carreaux. Pas full chic, OK. Mais droit au but. Ça fait parfois du bien d’être autonome.

J’avançais dans la neige avec cet anniversaire de la guerre en écho. Et ce constat que dans l’urgence – on l’a aussi vu avec la pandémie –, il y a des choses qui se font de manière plus efficace.

Et puis, comme ces milliards de flocons qui minent la visibilité pendant une tempête, j’ai pensé à tous ces comités, observatoires, groupes de recherche, groupes consultatifs, firmes-conseils, forums, commissions, sommets, chantiers et autres replis administratifs inventés et entretenus pour lisser nos vies. Sont-ils vraiment utiles ?

Il s’est installé, depuis quelques décennies, une lourdeur de procédures hallucinantes qui, à vue de nez freinent et ralentissent des décisions, et qui s’intensifient au fur et à la mesure de l’inquiétude d’un monde. De plus en plus de fonds et de ressources semblent destinés au fonctionnement administratif d’une gouvernance plutôt qu’au terrain. Un blizzard bureaucratique et formaliste. Trop de gens sur la glace, me suis dit en regardant l’étang gelé. Si, parfois, c’est utile, ailleurs (trop souvent), ça paralyse.

Rien contre la foi et les intentions de ces comités, sinon cet aveuglement de ne croire qu’à un seul système. On a survécu à la dictature d’un premier ministre pendant la pandémie, non ? Peut-être même utile dans les circonstances. Depuis, les choses sont revenues à leur lente normalité, où parfois même les contraires se suivent. Dans l’attente que des choses urgentes se fassent. On se chicane entre patrons et syndicats pendant que le système public fonctionne bien en deçà de ses capacités et qu’on a recours au privé…

Un sommet de l’ONU ou une multitude d’études à l’appui, on discute et on persiste à croire que l’état social va s’améliorer avec l’idée démocratique des consultations. Tout un chacun y va de son histoire, de son vécu ou de son ressenti. Dans cet excès de république, on soupçonne une bonne volonté. Mais dans les faits, l’orgie de plaintes (réseaux sociaux et autres) et des discussions sans fin semblent plutôt affaiblir les animaux que nous sommes ; et ça maquille nos faiblesses en diluant les décisions.

J’insiste sur l’affaiblissement ici.

Si mille programmes me protègent, pourquoi me battre ? Si un système me gère, pourquoi devenir un citoyen responsable ? Pourquoi se relever les manches ? On répète depuis 30 ans que la fin du monde est imminente ? Pourquoi se responsabiliser ? Il existe désormais des comités et des illusions pour assurer l’avenir. J’entends une génération craquer. Fragile. En détresse. Désorientée.

Parce que la glace est de plus en plus mince. On semble si fort en groupe. C’est lorsqu’on se retrouve seul que ça pète. Tant de gens sont en train de casser. Et pourtant on s’améliore, dit-on, c’est évident : on se consulte et on s’écoute. Bullshit. Et vivement le printemps.

En rentrant de cette marche dans la neige, me suis dit qu’il devait bien exister une ressource pour m’aider. Pas trouvé de référence ou de soutien nulle part sur le fait que je me suis gelé les couilles et qu’on aurait dû me protéger de moi-même. Me semble qu’il doit bien y avoir un groupe d’entraide, un forum ou une procédure pour les irresponsables qui sortent dehors au vent en hiver à -23 oC en boxer. Pas trouvé, mais une heure plus tard, pour aller souffler la neige et les sentiers jusqu’à l’étang, j’avais enfilé un pantalon. Magie.

Et pour la petite histoire, pas besoin de manifestations ou d’une commission, les poules survivent à l’hiver depuis des siècles.