Au cœur de la dissidence de certains députés libéraux anglo-québécois contre le projet de loi sur les langues officielles, il y a la fin d’un mythe qui avait trop duré, soit la fausse égalité qui existerait entre la communauté anglophone du Québec et les communautés francophones minoritaires du reste du pays.

Le livre blanc sur les langues officielles, publié en 2021 par la ministre Mélanie Joly, admettait, pour la première fois dans un document officiel du gouvernement du Canada, que l’anglais n’était pas en péril au Canada et que si une des deux langues officielles était menacée, c’était bien évidemment le français.

Le livre blanc disait qu’il était temps de « reconnaître l’usage prédominant de la langue anglaise au Canada et en Amérique du Nord et le fait que, dans ce contexte, il est impératif de protéger et de promouvoir d’autant plus la langue française ».

On pourra dire qu’il était plus que temps de faire ce constat. Mais qu’il soit fait par le Parti libéral du Canada, par surcroît par le gouvernement d’un premier ministre qui s’appelle Trudeau, c’était quand même une petite révolution.

Le projet de loi C-13, qui donne suite au livre blanc, est un peu moins direct, mais il affirme tout de même qu’il faut « favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais ».

Mais ce qui choque encore plus certains députés anglo-québécois, c’est le fait que la nouvelle loi sur les langues officielles fait explicitement référence à la Charte de la langue française (loi 101), en particulier pour les sociétés à charte fédérale faisant affaire au Québec.

En gros, elles seront soumises aux mêmes obligations de francisation des milieux de travail que celles de la loi 101.

S’en suit un raisonnement assez tarabiscoté qui veut que puisque la Charte de la langue française, depuis l’adoption de la loi 96, contient un recours à la disposition de dérogation, le « nonobstant », toute la Loi sur les langues officielles serait donc hors de portée de la Charte des droits et libertés.

Sur ce point, la désinformation des principaux porte-parole de la communauté anglophone a été intense. Et elle ne sert pas les intérêts de la communauté qu’ils disent représenter.

À l’époque du débat sur la loi 96, la présidente du Quebec Community Groups Network, l’ancienne députée libérale Marlene Jennings, affirmait sur les ondes de CBC Radio – dans une émission à laquelle j’étais aussi invité : « Si la loi 96 est adoptée, notre droit à la vie privée, notre droit de recevoir de l’aide si notre vie est en péril, notre droit de jouir et de disposer de notre propriété privée, notre droit à la liberté d’expression, tout ce que vous voudrez, tout cela nous sera enlevé⁠1. »

Voilà le genre de discours totalement exagéré et qui ne contribue en rien à avoir un débat intelligent sur ces questions. Mais c’est pourtant ce qu’affirmait celle qui était alors présidente du principal groupe de pression de la communauté anglo-québécoise.

Cela relève aussi d’une théorie étriquée qui voudrait que toute défense du français se fasse nécessairement au détriment des droits fondamentaux. D’où le fait que certains députés anglo-québécois à Ottawa affirment aujourd’hui que la seule mention de la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 sur les langues officielles fait qu’ils ne pourront l’appuyer.

Ainsi, en comité parlementaire, cette semaine, les députés Marc Garneau, Anthony Housefather et Emmanuella Lambropoulos ont même tenté de faire effacer toute mention de la loi 101 dans C-13 parce qu’elle affirme que le français est la langue officielle du Québec. Ils n’auront pas réussi, mais la tentative en dit long sur leur état d’esprit : la simple mention de la loi 101 leur est intolérable2.

Sauf que le combat de ces députés rencontre un autre écueil : la loi est populaire et réclamée par les communautés francophones hors Québec qui vont bénéficier de cette réforme et qui ont depuis longtemps cessé de voir des vertus dans la fausse égalité avec la communauté anglo-québécoise.

Mais on connaît la chanson. Chaque fois qu’il est question de droits linguistiques, des représentants de la communauté anglophone du Québec n’essaient pas de faire le débat sur les mesures qui sont présentées, comme la nouvelle loi sur les langues officielles. On dirait qu’ils se sentent obligés de faire un nouvel essai de revenir à l’époque d’avant l’adoption de la loi 22 – par le gouvernement (fédéraliste) de Robert Bourassa – qui a fait du français la seule langue officielle du Québec.

L’année 2024 sera le 50e anniversaire de la loi 22. Mais il y en a qui pensent encore qu’on devrait retourner un demi-siècle en arrière.

1. Lisez la transcription de l’émission The Current (en anglais) 2. Lisez l’article (en anglais) de Montreal Gazette