L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

On dit que la tyrannie de la majorité (une idée qui remonte au début du XIXe siècle) est une conséquence indésirable de la démocratie par laquelle une majorité peut imposer ses vues à une minorité. Or, il existerait une jumelle miroir : celle de la tyrannie de la minorité.

« Papa, tu vas te faire basher.

— Je sais, mais un mandné... Tant de gens roulent des yeux sans rien dire. Et, au final, ce sera un texte sur une fausse idée de la bienveillance. »

Il y a quelques mois dans un lieu public, une jeune femme entre en même temps que moi dans les toilettes des hommes. On sort en même temps, elle me dit qu’elle est bispirituelle. Et j’admire cette évolution (une vraie belle affaire même). C’est ailleurs parfois que ça dérape, on verra plus loin.

Je connaissais le terme two-spirit pour l’avoir entendu chez les Haïdas de l’Alaska il y a quelques années. C’est un concept en usage chez certaines communautés autochtones pour rejeter ou remettre en question la notion de genre. Cela dit, et après vérification, la jeune femme des toilettes n’avait aucun lien avec les Native Americans. Est-ce une appropriation ? Toujours est-il que je trouve ça beau.

On revient par chez nous, le temps d’un détour. Rien de ce qui va suivre n’est arrivé (je souris grand ici).

Niveau 1

Début décembre. Deux adultes dans une voiture. À la radio, il y a Happy Xmas (War Is Over) de John Lennon qui joue. Une des deux personnes baisse le volume jusqu’à zéro.

« Ça me rappelle trop de mauvais souvenirs. »

La personne évoque un traumatisme qui date d’un temps des Fêtes de son adolescence. L’autre personne prend sa main et la tient doucement.

Niveau 2

Quelques jours plus tard, toujours en décembre. Cette même personne travaille à la télé. Sept techniciens sont sur la route en Dodge Caravan, pour un tournage. À la radio, on parle des plus belles chansons de Noël et on fait jouer des extraits de White Christmas de Bing Crosby, Vive le vent... Aux premières notes de Do They Know It’s Christmas, la personne change de chaîne et dit que les tounes de Noël réveillent chez elle de mauvais souvenirs, qu’elle n’est pas capable.

Niveau 3

Au party de Noël de la boîte de production télé, quelques jours plus tard, on loue un autocar pour aller à la campagne chez une des productrices pour faire la fête et éviter à tout le monde de conduire en état d’ébriété. Quelques minutes après le départ – vous voyez venir la suite –, la personne demande au chauffeur de ne pas mettre de musique de Noël, à cause de son passé. Le chauffeur accepte parce que personne ne veut froisser personne, parce que Big Sister nous surveille toutes et tous. Et 42 personnes n’ont pas de musique des Fêtes en se rendant au party.

Petite précision ici : l’expression Big Sister n’a rien à voir avec la féminisation d’un débat. C’est que Big Brother était occupé ailleurs depuis quelques décennies.

Niveau 4

On est rendu là. Imaginez la suite. On a un peu bousillé l’idée de bienveillance à force d’en abuser dernièrement. Les gens roulent des yeux. On siffle à travers ses dents. Des auteurs-autrices-penseurs-penseuses s’inventent des noms de plume pour ne pas entacher leurs réputations en disant ce qu’ils-elles pensent dans l’espace social...

Une nouvelle année. Des vœux sont de mise. Des souhaits. On espère encore et toujours le mieux pour soi et ses proches. Moi, ce sera un aveu. J’ai commencé à soupirer et à rouler des yeux.

J’ai appris, il y a quelques semaines, ce que voulait dire le 2S dans le LGBTQ2S : ça veut dire two-spirit, comme la jeune femme qui est entrée dans les toilettes des hommes avec ses deux esprits. Une minute « homme », la suivante « femme », et on revendique une double identité. L’application qu’en a faite la jeune femme me réjouit. C’est ailleurs que ça craint. Comme dans l’histoire de la musique de Noël.

Big Sister et sa tyrannie de fausse bienveillance font peur. De plus en plus de gens font usage de cette feinte humanité. En fond d’ambiance, je suis seul, et donc personne pour l’étouffer, il y a la chanson du jour de l’An La cuisinière qui joue. Vous jure. Que c’est bon, bon d’prendre un verre de bière avec la cuisinière / Dans un p’tit coin nouère. Et j’ai un sourire.

Mise au point : aucun jugement ici sur les victimes de traumatisme, d’abus ou d’agressions. Au contraire, ça me rassure qu’on en parle et qu’une trail soit enfin défrichée. Mais dans le sens des choses, faudrait prendre son gaz égal, apprendre à vivre et trouver une manière de communiquer en 2023 autrement que par la prise d’otages.

La bienveillance d’une minorité, avec un gun sur la tête, ça marche moyen, et ça crinque le reste du monde dans le sens contraire.

Dans les milliards de vœux d’un Nouvel An, on pourrait se souhaiter une sorte de ressac de l’extrême. Qu’un jour une minorité, ou une majorité, cesse de conduire l’éthique et la culpabilité du « vivre ensemble » pour sa petite personne. Revenir au niveau 1. Avant de tomber dans une logique qui ressemble à du narcissisme. Des gens ne mangent toujours pas à leur faim, assstie ! Je sais : il y a des souhaits qui ne se réaliseront jamais, mais ça fait du bien d’y rêver à voix haute.

Vous souhaite une belle année 2023, avec un peu de gros bon sens et une bienveillance un peu moins simulée, et mieux utilisée, que celle que l’on connaît.

« Papa, tu vas te faire basher, tu ne peux pas parler de ça.

— T’as raison. Je vais faire comme tout le monde et j’en parlerai pas. »

Heureuse année de santé et de bonheur à vous. Pour vrai.

Vous croyez qu’on est prêts pour les toilettes publiques non genrées en 2023 ?