Est-ce qu’on peut changer l’un des équilibres fondamentaux de la fédération canadienne par simple décision administrative ? Le gouvernement Trudeau pense que oui.

Le gouvernement fédéral a décidé d’augmenter le nombre d’immigrants au pays pour atteindre 500 000 par année d’ici 2025. Le tout sans débat ou vote au Parlement, pas même une consultation publique.

Le gouvernement affirme qu’il s’agit du moyen privilégié pour contrer le vieillissement de la population et la pénurie de main-d’œuvre. Sans doute, mais cela vient avec un autre volet : cela va nécessairement affecter l’équilibre des groupes linguistiques au Canada et le poids politique, non seulement du Québec, mais aussi de tous les francophones du pays.

Quand on lui a parlé du poids politique du Québec, le premier ministre Justin Trudeau a soutenu qu’il n’avait qu’à accueillir 112 000 immigrants par année. Une réponse strictement mathématique qui n’a rien à voir avec le réel.

La réalité, c’est que ce n’est pas simple de trouver des immigrants francophones ou susceptibles de le devenir. Mais il est plus facile d’ouvrir les portes des autres provinces à des milliers d’immigrants et de compter sur l’attractivité de l’anglais pour les aider à s’intégrer. Le travail de trouver les immigrants francophones ou de voir à leur francisation a toujours été pas mal plus compliqué.

Le gouvernement fédéral devrait le savoir puisqu’il n’a jamais été capable d’atteindre les modestes cibles d’immigration francophone dans les neuf autres provinces. Dans ses cibles publiées le mois dernier, Ottawa prévoit encore d’accueillir 4,4 % de francophones parmi les 500 000 nouveaux immigrants. Une cible qui n’a jamais été atteinte depuis 20 ans.

Le tout arrive alors que l’on constate un ressac contre le fait français. On n’a qu’à voir ce que fait le gouvernement Higgs au Nouveau-Brunswick, malgré le fait que ce soit la seule province officiellement bilingue au pays. Une province où on ne réussit toujours pas à avoir une immigration francophone qui corresponde au poids de la communauté acadienne.

Mais d’où vient cette idée d’accueillir 500 000 immigrants par année ? En fait, de deux groupes qui ont en commun d’avoir été présidés par Dominic Barton, l’ancien ambassadeur du Canada en Chine, qui a fondé un groupe appelé l’Initiative du siècle et présidé un Conseil consultatif sur la croissance économique, créé par le ministre des Finances de l’époque, Bill Morneau.

Les deux groupes ont conclu que le Canada devait avoir comme objectif d’avoir 100 millions d’habitants en 2100, ce qui explique la hausse immédiate des seuils d’immigration. Sauf que la question de la dualité linguistique ou du poids des francophones au sein du Canada n’a pratiquement pas été évoquée.

Dans un document de quelque 80 pages publié par l’Initiative du siècle et intitulé Pour un Canada qui voit grand, on ne trouvera qu’une seule mention du Québec – et aucune de communautés francophones à l’extérieur du Québec.

Essentiellement, on indique qu’historiquement, le Québec « n’a pas accepté un nombre d’immigrants proportionnel à sa population ». Et on reproche au gouvernement Legault – nouvellement élu au moment de la publication – de vouloir réduire les cibles d’immigration.

Suit un avertissement : « Si [le Québec] ne suit pas le rythme de la croissance démographique du reste du pays, [il] court le risque de perdre de son importance au sein de la Confédération ». Traduction libre : si vous ne montez pas dans le train, ce sera tant pis pour vous.

On comprend bien que, pour les gens de cette « Initiative du siècle », la seule chose qui compte c’est la prospérité qu’entraînerait automatiquement une population de 100 millions d’habitants pour le Canada en 2100.

On peut être d’accord ou pas avec la décision du gouvernement Legault de ramener les seuils d’immigration à 50 000 par année et elle ne fait pas l’unanimité au Québec. Mais force est de constater que même ceux qui croient que ce n’est pas assez ne sont pas pour autant prêts à considérer qu’il faudrait en recevoir plus du double.

Politiquement, ce qui est étonnant dans cette décision du gouvernement Trudeau, c’est qu’un gouvernement du Parti libéral n’a pas été sensible à l’effet que ses cibles d’immigration pourraient avoir sur les grands équilibres linguistiques au Canada.

C’est une chose de voir un groupe de pression ou un quelconque groupe de réflexion (think tank) faire une proposition qui oublie la dualité linguistique que l’on croyait être l’une des valeurs fondamentales du Canada. Mais quand le gouvernement fédéral semble l’oublier sur une question aussi importante que l’immigration, il y a bien des questions à poser.

Et le premier ministre François Legault ne devrait pas craindre de le rappeler à Justin Trudeau : de tels seuils d’immigration remettraient en question le poids politique du Québec au sein du Canada. Ce n’est pas quelque chose que le gouvernement fédéral peut décréter en n’ayant aucun compte à rendre et sans se soucier des conséquences sur les autres partenaires de la fédération.