Toutes les deux semaines, l’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Des militantes lancent de la soupe sur un Van Gogh devant l’indécence de sa valeur. L’Arabie saoudite finance l’Ukraine. L’industrie des substituts de viande perd des plumes. Le tunnel La Fontaine sera un stationnement (encore davantage, doit-on plutôt dire) pendant trois ans. La COVID fait un retour. Voici donc un peu de poésie tranquille pour adoucir les mœurs.

Un bel automne, cette année. J’ai planté l’ail cette semaine. Quelques jours avant de perdre leurs feuilles, les érables à sucre sont en feu. Des milliers de coccinelles partout. Et encore des milliers de chenilles qui traversent les routes, plus ou moins indemnes. Il reste des poireaux, des céleris, un seul chou et des herbes dans le potager.

J’ai aussi abattu un cochon, pour passer l’hiver. Un verrat qui « gossait » une femelle. Faut bien jauger les mâles ; d’une part, on souhaite qu’ils fassent leur « job » et de l’autre, si on attend trop, leurs hormones finissent par affecter leur valeur. Dans l’industrie, la viande d’un mâle mature vaut trois fois moins et est utilisée presque uniquement pour les charcuteries. Cette réflexion m’est revenue, en regardant mon couteau enlever les couilles de monsieur cochon plus tôt cette semaine. Je vous encourage à faire rimer ceci avec l’actualité de votre choix !

Mais ce n’est pas là que je voulais aller aujourd’hui. Je voulais parler de poésie. Aucun lien donc, et rien à lire entre les lignes, dans ce qui suit. Ou si peu…

Je fais du mentorat, dans un programme universitaire, depuis quelques années. Un jour, ce n’est plus une année de naissance qui nous dit que le temps passe, mais le monde autour de soi ; suis devenu, à ma grande surprise et malgré mes efforts de déni, une sorte d’autorité (je souris). Cette année c’est une étudiante diplômée des Beaux-Arts, que j’accompagne pendant un an. « L », une artiste douée, venue d’Iran (avec un visa d’études) il y a quatre ans pour tenter de vivre autre chose qu’une vie tracée d’avance et fuir un peu ses origines carcérales. Elle y est retournée mi-septembre pour aller au chevet d’un proche malade. Silence radio durant presque quatre semaines. Hormis un :

« Bonjour, ça va ? auquel elle a répondu :

— Allo Marc, je ne sais pas si ce message se rendra jusqu’à toi, mais oui, j’essaie de revenir au Canada.

— Comment vont les gens en Iran ?

— Nous espérons tous que la situation changera dans l’intérêt de notre peuple. C’est terrifiant de penser que les mollahs resteront au pouvoir après ces jours sanglants. »

Pas d’internet, ou si peu avec des VPN. Ce n’est qu’une fois dans un aéroport en Allemagne qu’elle a pu retrouver du réseau. Peut-on s’imaginer vivre sans être connecté à notre confort, ne serait-ce que quelques jours ?

La plus belle chose de l’année, de loin, n’en déplaise aux gérants d’estrade de la politique et d’un nouveau conseil des ministres, est celle qui promet discrètement un peu de lumière : c’est ce qui se passe en Iran depuis la fin de l’été.

D’abord mise en branle par les femmes, une révolution se dessine, une vraie. Et ça doit continuer. Même si ça bouleverse des paradoxes sur la liberté d’un voile ici, là-bas, le tissu n’est pas un choix qui fait avancer les droits des femmes.

On doit se réjouir d’apprendre que le temps n’a pas toujours raison ; ce n’est pas parce qu’un système idéologique survit durant 40 ans ou des millénaires qu’il a raison. Et tandis qu’ailleurs (plus près de nous), le droit des femmes à l’avortement est remis en question, je me permets de rêver à une insurrection, de celle qui rassure sur la nature humaine.

Un pas en arrière, un pas en avant. C’est dans cet intervalle qu’on peut mesurer la longueur de nos chaînes. Et rêver de les briser.

J’allais oublier. J’avais annoncé de la poésie aujourd’hui. Voici deux livres que je me suis promis d’offrir à « L », pour qu’elle apprenne un peu le français, certes, mais surtout pour comprendre ce qu’offre la liberté dont elle rêve éveillée depuis quelques semaines. Passer l’hiver, de Kateri Lemmens (2020, Le Noroît), et Je voudrais tomber là, de Madeleine Lefebvre (2022, Quartz). Deux magnifiques recueils, parmi les beaux publiés ici depuis de nombreuses années, qui réconcilient un monde tout croche avec un peu de beauté. Lorsqu’on peut la dire et qu’on existe un tant soit peu.

Suis allé porter les viscères et les couilles du cochon au bout du champ. Pour nourrir les charognards.