Après les prochaines élections, les maires du Québec deviendront-ils, de facto, la véritable opposition au gouvernement de la CAQ ? La question est pertinente pour deux raisons. D’abord en raison de notre système électoral, qui pourrait bien donner près d’une centaine de députés à la CAQ avec les 42 % ou 43 % des voix que lui accordent actuellement les sondages.

Avec quatre partis qui se disputeront environ deux douzaines de sièges, l’opposition parlementaire risque d’être faible et éparpillée. En plus, dans l’état actuel des choses, aucun des chefs des quatre partis de l’opposition n’est certain d’être élu dans sa circonscription. Cela pourrait signifier une ou plusieurs courses au leadership qui vont prendre beaucoup de temps et d’énergie... à l’extérieur du Parlement.

Dans les circonstances, la nature ayant horreur du vide, l’opposition à la CAQ pourrait bien se manifester ailleurs qu’à l’Assemblée nationale.

On a déjà commencé à le voir au cours du dernier congrès de l’Union des municipalités du Québec, il y a actuellement une nouvelle génération de maires et d’élus municipaux qui n’ont pas du tout les mêmes priorités que le gouvernement Legault.

Contrairement à leurs aînés, ces maires n’ont pas du tout l’intention de se coller au parti au pouvoir dans l’espoir de faire avancer leurs dossiers. En particulier en matière d’environnement et de réchauffement climatique, ils et elles estiment qu’ils et elles ont le droit de parler haut et fort, même si cela ne fait pas l’affaire du gouvernement en place.

On en a vu plusieurs exemples au cours des derniers mois. La résistance tranquille mais persistante de Valérie Plante a forcé le gouvernement à larguer la Caisse de dépôt et à considérer un autre projet de transport en commun pour l’est de Montréal.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Bruno Marchand répond aux questions des journalistes

Le maire de Québec, Bruno Marchand, n’a tout simplement pas l’intention de garder le silence sur le projet du troisième lien qu’il juge irrecevable, tant sur le plan de l’environnement que du développement urbain.

Et surveillez bien la complicité qui unit la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, et le maire de Laval, Stéphane Boyer, tant sur les questions du logement que de l’aménagement du territoire.

On pourrait en citer bien d’autres, parce que c’est toute une nouvelle génération de politiciens municipaux qui ont été élus en novembre dernier et qui sont beaucoup plus préoccupés d’enjeux environnementaux et de qualité de vie que leurs prédécesseurs.

Le président de l’Union des municipalités du Québec et maire de Gaspé, Daniel Côté, a bien résumé la situation en disant que les changements climatiques ne sont pas un enjeu parmi tant d’autres : « C’est la priorité qui doit guider nos décisions... Toutes les municipalités sont solidaires sur cet enjeu d’importance, on y tient. C’est le défi numéro un de notre époque. »

Or, on le voit depuis le début de son mandat, « le défi numéro un de notre époque » est loin d’être une priorité pour le gouvernement de la CAQ. En cette fin de mandat, c’est même devenu plus que jamais son angle mort.

On ne peut pas sérieusement prétendre que le troisième lien ne va pas être un facteur d’étalement urbain du côté de Lévis. La même chose est vraie pour la construction d’autoroutes. Encore cette semaine, le Comité consultatif sur les changements climatiques – qui conseille le gouvernement du Québec en ces matières – a publié un rapport qui conseille de stopper le développement des autoroutes au Québec.

Mais, au Québec, qui dit campagne électorale dit promesses de nouvelles autoroutes. L’encre n’était pas sèche sur le rapport que le premier ministre Legault avait clairement indiqué qu’il n’avait pas l’intention de suivre cette recommandation.

Il y a un autre enjeu, financier celui-là, qui va devenir un contentieux entre le gouvernement du Québec et les municipalités, soit celui de la fiscalité municipale qui condamne les villes à être dépendantes presque exclusivement de l’impôt foncier.

C’est un vieux débat. L’impôt foncier était un bon instrument quand il s’agissait de donner des services à la propriété : voirie, police, pompiers, etc. Mais les villes font maintenant beaucoup plus que cela et doivent s’occuper de toutes sortes d’autres enjeux, qui vont du culturel aux services aux aînés et au développement économique.

Non seulement l’impôt foncier n’est pas adapté à ces responsabilités, mais il a aussi un effet pervers : il favorise l’étalement urbain, puisque le meilleur moyen pour une ville d’avoir de nouveaux revenus est encore d’aménager de nouveaux quartiers, qui sont nécessairement toujours plus loin du centre.

Là-dessus aussi, le premier ministre est intraitable : les villes pourront avoir plus de pouvoirs – en matière d’expropriation, par exemple –, mais pas question de revoir la fiscalité municipale.

Les villes et le gouvernement du Québec sont déjà sur une trajectoire de collision. Alors, si après les élections du 3 octobre, l’opposition parlementaire devait être réduite à sa plus simple expression, il ne faudra pas s’étonner si les maires du Québec deviennent, par la force des choses, une sorte d’« opposition officieuse ».