L’hebdomadaire britannique réputé The Economist posait cette semaine une très bonne question sur l’utilité des sanctions économiques contre la Russie : à quel moment les sanctions causeront-elles plus de problèmes aux pays occidentaux qu’à Vladimir Poutine ?

C’est particulièrement vrai pour Joe Biden.

Le président américain est déjà impopulaire : 52 % des Américains désapprouvent son action, contre 42 % qui l’approuvent. Et le principal problème de M. Biden est la situation économique. Une reprise post-COVID-19 lente, les chaînes d’approvisionnement déjà mises à mal par la pandémie et, surtout, l’inflation plombent les chances des démocrates aux élections de novembre prochain.

Or, l’essentiel des sanctions imposées jusqu’à maintenant risque fort de faire augmenter encore davantage l’inflation partout dans le monde. Si la Russie fournit moins de gaz et de pétrole aux pays européens, les prix vont nécessairement monter. Et comme le marché du pétrole et du gaz touche toute l’économie mondiale, ces hausses de prix vont nécessairement se refléter aux États-Unis.

Le prix du gallon d’essence à la pompe est souvent un bien meilleur indicateur de l’état d’esprit des électeurs américains que les sondages d’opinion. Le prix moyen du gallon d’essence était sous la barre des 3 $ il y a un an. Il est aujourd’hui à 3,57 $ (moyenne nationale) et il atteint jusqu’à 4,79 $ dans certains États qui taxent l’essence davantage, comme la Californie.

Le prix des produits alimentaires pourrait aussi augmenter. La Russie est le principal exportateur mondial de blé ; toute perturbation dans ce secteur pourrait aussi faire monter les prix.

Comme l’a dit très ouvertement M. Biden lors de sa conférence de presse de jeudi, « la défense de la liberté aura un coût pour nous, ici, et il faut être honnête à ce sujet ». Reste à voir si les Américains, et ses adversaires politiques, ne voudront pas lui en faire payer le prix.

Le problème pour M. Biden concerne aussi la politique intérieure. Normalement, dans une situation de crise internationale, surtout quand des questions de sécurité nationale sont en jeu, le président peut compter sur l’appui de ses adversaires au Congrès. Pas cette fois. La division est telle actuellement aux États-Unis que plusieurs républicains disent ne pas appuyer l’approche de M. Biden.

L’exemple vient de haut puisque l’ancien président Donald Trump a affirmé que Vladimir Poutine était « très intelligent » et qu’il avait « pris le contrôle d’un pays contre des sanctions à deux dollars... ».

Dans la base républicaine, beaucoup de gens écoutent le commentateur vedette du réseau Fox News Tucker Carlson, dont les positions prorusses sont de plus en plus évidentes, ce qui a un effet sur certains élus.

Pour le président Biden fragilisé, l’effet boomerang des sanctions contre la Russie de Poutine comporte donc un grand risque d’une augmentation encore plus importante de l’inflation qui pourrait entraîner la perte de sa majorité au Congrès.

Mais M. Biden n’est pas le seul.

L’Allemagne a surpris beaucoup de gens en renonçant au nouveau gazoduc Nord Stream 2 qui lui aurait permis d’augmenter sa consommation de gaz naturel russe. Mais cela risque de lui causer des problèmes d’approvisionnement qui pourraient nuire à plusieurs secteurs de son économie.

La Russie fournit 55 % du gaz consommé en Allemagne. Elle fournit aussi plus de 40 % du gaz de l’Italie. Pas étonnant que ces deux pays soient les moins enclins à vouloir augmenter les sanctions économiques. Il s’agit donc de pays qui ont raison d’avoir peur d’un effet boomerang de sanctions qui nuiraient à leur propre économie.

En particulier, ils sont réticents à fermer l’accès des banques russes au SWIFT, le réseau international des transactions bancaires. Tout simplement parce que c’est le moyen de payer pour le gaz russe duquel ils sont si dépendants.

Quant à la Grande-Bretagne de Boris Johnson, elle est critiquée pour ne pas avoir imposé de sanctions ciblées envers les nombreux oligarques russes qui se sont installés à Londres pour y poursuivre leurs affaires, notamment en achetant certains des clubs de soccer les plus célèbres du royaume !

Le Canada est relativement à l’abri des sanctions boomerang. Sauf, comme un peu tout le monde, en ce qui concerne leur effet sur l’inflation. Mais le Canada étant un pays producteur de pétrole, une hausse des prix de l’énergie a également un effet intéressant sur les finances publiques.

Enfin, les sanctions économiques n’ont que rarement un effet immédiat. Elles mettent du temps à avoir un effet. Ainsi, après de premières sanctions contre la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, il a fallu plusieurs mois avant qu’une baisse de l’activité économique soit constatée.

Mais les effets ont bel et bien été là, soit deux années consécutives de décroissance économique.

On revient donc à la question de départ : les sanctions feront-elles effet sur Vladimir Poutine avant que le boomerang ne revienne vers ceux qui les auront imposées ?