Quiconque connaît Jean Charest sait que son ambition profonde a toujours été d’être premier ministre du Canada et que sa couleur préférée est le bleu.

À 63 ans, c’est une ambition qui le démange encore, d’autant qu’il sait bien que c’est sa dernière chance.

En 2020, il avait été très près d’être candidat à la direction du Parti conservateur, mais il avait dû admettre qu’il lui fallait être réaliste et que le parti avait beaucoup changé depuis 1998, quand il l’avait quitté pour aller à Québec.

Mais en 2022, le parti a encore plus changé. La droite radicale y est encore plus puissante. Voici un parti qui, à son dernier congrès, l’an dernier, a refusé à 54 % une résolution reconnaissant l’existence des changements climatiques. Un parti qui vient de congédier Erin O’Toole parce qu’il voulait le conduire plus au centre.

Alors pourquoi Jean Charest est-il encore tenté par la direction du Parti conservateur ? C’est parce que, pour beaucoup de « bleus » plus centristes, il est la dernière chance de rester dans un parti qui chemine vers une droite encore plus dure.

Pour ces « progressistes-conservateurs » – faute d’une meilleure description –, la candidature du député Pierre Poilievre pose problème et entraîne même un questionnement sur leur avenir dans le parti. Autant sur le fond que sur la forme, M. Poilievre n’est pas un chef acceptable pour plusieurs députés du caucus conservateur – et pas seulement des Québécois.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Pierre Poilievre

D’où le recours à Jean Charest. Un vrai bleu et une véritable bête politique. Redoutable en campagne électorale comme en débat. Un politicien de terrain qui sait rejoindre les électeurs.

En plus, sur le fond, Charest donnerait une crédibilité au Parti conservateur dans des dossiers où il n’en a plus : l’environnement, par exemple. Plusieurs conservateurs reconnaissent qu’ils ne peuvent plus se présenter devant l’électorat sans avoir de plan précis en environnement et même une forme de taxation du carbone. Un groupe dirigé par l’ancienne ministre Lisa Raitt travaille d’ailleurs en ce sens.

Il permettrait aussi au parti de s’éloigner définitivement de certains débats sociaux : le contrôle des armes à feu, l’avortement ou le mariage gai, qui le plombent dans les grandes villes. Tout cela contribue à une décision favorable de l’ancien premier ministre du Québec.

Mais il reste que, dans l’état actuel du parti, Pierre Poilievre a pris plus qu’une longueur d’avance. Il a déjà l’appui du quart des députés conservateurs et d’organisateurs efficaces et influents, comme le sénateur Leo Housakos.

Pour changer cette dynamique, les partisans de Jean Charest doivent absolument faire entrer du sang neuf au Parti conservateur. Pour l’essentiel, cela veut dire faire signer des cartes de membre à des gens qu’une candidature Charest pourrait rejoindre.

Il est aussi possible qu’on change les règles de la course pour permettre aux non-membres de voter, ce qu’ont fait les libéraux pour l’élection de Justin Trudeau et les péquistes pour celle de Paul St-Pierre-Plamondon.

Dans les deux cas, cela exige une organisation forte, partout au pays, et capable de se mettre en marche en très peu de temps. La date du congrès n’est pas connue, mais si ce devait être en juin, par exemple, cela ne laisserait pas beaucoup de temps aux partisans de M. Charest.

Et si les amis de Jean Charest peuvent vendre des cartes, il est bien évident que les partisans de M. Poilievre feront de même. Et un match nul serait à l’avantage du député de Carleton.

Et il y a les casseroles…

Depuis presque neuf ans – ce qui est trop long, tout le monde en conviendra –, Jean Charest est sous le coup d’une enquête de l’Unité permanente anticorruption. Ironie : c’est le groupe d’enquêteurs qu’il avait lui-même insisté pour créer. Et il est vrai que, depuis deux ans, la réputation de l’UPAC ne s’est pas améliorée.

Mais penser un seul instant que M. Poilievre ne va pas tenter d’utiliser cela contre son adversaire serait bien mal le connaître. La modération dans l’attaque n’est vraiment pas dans sa nature.

D’autant qu’au Québec, le temps n’a pas totalement réparé la réputation de M. Charest.

Un seul exemple : mardi dernier, de son siège à l’Assemblée nationale, Simon Jolin-Barrette – qui oublie qu’il est ministre de la Justice dès qu’un débat devient partisan – a déclaré : « Tout le monde au Québec sait qu’il y avait des places en garderie, puis le Parti libéral a vendu ça au privé en échange de donations. » Bref, un système de corruption.

Si un ministre peut dire cela sans que personne ne le reprenne, c’est qu’il y a encore un problème, au moins dans la perception publique. Si M. Charest est candidat, il est clair que cela viendra le hanter.

La route ne sera pas facile pour Jean Charest. Mais c’est sa dernière chance. Et pour les « progressistes-conservateurs » aussi, sa candidature constitue une sorte de dernière chance.