Il y a une vieille expression anglaise qui dit « Méfiez-vous de ce que vous souhaitez » (Be careful what you wish for). Les républicains américains vont bientôt découvrir tout le sens de ce dicton.

Ça fait plus de 40 ans que les républicains ont conclu une sorte d’alliance avec les groupes religieux les plus conservateurs qui, avant la présidence de Ronald Reagan, ne s’occupaient pas trop de politique et ne votaient pas en grand nombre.

Leur but, avoir des politiciens – et surtout un président – qui favoriseraient les « valeurs familiales » contre un État trop laïque et des juges qui avaient interdit la prière à l’école, reconnu des droits aux gais et lesbiennes (comme on disait à l’époque) et, surtout, avaient légalisé l’avortement.

Ce mariage était un peu contre nature, Reagan était un divorcé qui ne fréquentait aucune église et avait signé une loi très libérale sur l’avortement comme gouverneur de la Californie. Mais peu importe, il avait adopté le discours de la droite religieuse. Tout comme Donald Trump après lui.

Parmi toutes les priorités de la droite religieuse, la plus importante était la nomination de juges conservateurs qui allaient interpréter la Constitution de façon stricte et pas de façon à élargir les droits sur des questions comme l’avortement.

En échange, le Parti républicain allait bénéficier de l’appui indéfectible de la droite religieuse, qui est devenue une partie essentielle de sa base électorale.

Il a fallu des décennies pour obtenir finalement une majorité conservatrice solide à la Cour suprême. Et il a fallu tricher un peu, comme refuser de même considérer la nomination d’un juge par le président Obama dans la dernière année de son mandat et faire confirmer à toute vapeur le choix du président Trump à quelques jours de l’élection présidentielle.

Mais l’important, c’était d’enfin obtenir cette majorité claire de six juges conservateurs contre trois libéraux. Pour la première fois, une majorité qui pourrait invalider Roe c. Wade, le jugement de 1973 qui avait légalisé l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus.

Ces derniers jours, la Cour a finalement entendu une cause qui pourrait lui permettre d’infirmer la décision Roe c. Wade. Une loi contestée du Mississippi qui interdit tout avortement après 15 semaines.

Selon les observateurs les plus avertis des travaux de la Cour, on se dirigerait vers une validation de cette loi qui pourrait prendre deux formes : soit en invalidant tout simplement Roe c. Wade, soit en validant la loi du Mississippi, ce qui équivaudrait à interdire l’avortement après 15 semaines.

Le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, a semblé favorable à cette dernière option et a fait remarquer que la plupart des pays qui ont légiféré sur la question de l’avortement ont établi un délai au-delà duquel l’avortement est interdit.

Mais il n’est pas dit qu’il ralliera assez de ses collègues plus conservateurs pour obtenir une majorité. Plusieurs semblent penser que c’est le temps d’en finir définitivement avec Roe c. Wade.

Mais au-delà des considérations juridiques, c’est l’effet politique de la décision de la Cour qui risque d’avoir le plus de retombées. Et c’est là que l’adage qui veut qu’on doive se méfier de ce que l’on souhaite entre en jeu.

Les Américains, dans une proportion d’environ 60 %, ne veulent pas qu’on casse Roe c. Wade, un chiffre qui n’a pratiquement pas bougé depuis plus de 30 ans. Inversement, seulement 20 % des Américains croient que l’avortement doit être illégal en toutes circonstances.

Il y a donc de grands risques politiques si la Cour devait invalider sa jurisprudence de 1973. Comme l’a dit la juge Sonia Sotomayor lors des audiences : la crédibilité de la Cour sera en jeu si les citoyens se mettent à penser que le droit peut changer selon l’opinion politique des juges.

Il y a également, dans ce pays qui aime à se décrire comme une terre de liberté et de diversité, une grande réticence à imposer la religion et les croyances des uns à tous les autres.

Enfin, il y a le vote des femmes – spécialement celui des femmes des banlieues des grandes villes – qui fait souvent la différence dans une élection présidentielle. Ce sont elles, par exemple, qui ont été déterminantes dans la défaite de Donald Trump l’an dernier.

Il est bien possible que la Cour suprême infirme une décision qui a statut de chose jugée depuis près d’un demi-siècle. Mais il est évident qu’il y aura un prix à payer pour le Parti républicain qui aura mis les intérêts d’une partie de sa base politique devant ceux de la majorité.

C’est ainsi que le souhait ardent de la droite religieuse et de ses alliés politiques risque fort de provoquer une brutale réaction de rejet qui aurait de profondes conséquences sur toute la politique américaine, y compris sur la réputation de l’appareil judiciaire.