Former un Conseil des ministres est un exercice compliqué, délicat et difficile. René Lévesque avait coutume de dire que c’était la pire partie du travail d’un premier ministre. C’est encore plus vrai aujourd’hui.

Autrefois, il n’y avait qu’une seule règle d’or : représenter toutes les provinces ou, au moins, le plus de provinces possible si on n’avait pas fait élire de députés partout.

En 2015, « parce qu’on est en 2015 », avait-il ajouté, Justin Trudeau avait créé une nouvelle règle : la parité entre les hommes et les femmes au sein du Conseil des ministres. Il l’a répété cette semaine en parlant très clairement de parité, pas de « zone paritaire » ou autre adoucissement du genre.

Ce qui va compliquer singulièrement sa tâche. Trois de ses femmes ministres ont été défaites, le 20 septembre, et une autre avait choisi de ne pas se représenter. Comme les premiers ministres n’aiment pas congédier des ministres à moins que cela ne soit absolument nécessaire, il est à prévoir que nous aurons donc droit à un Conseil des ministres un peu plus gros que les 37 ministres sortants.

Ce qui, pour les amateurs de statistiques, devrait lui faire égaler ou dépasser les 40 ministres de Brian Mulroney et les 40 de Stephen Harper en 2015. (Question quiz : qui était ce 40ministre ? Un certain Erin O’Toole, nommé aux Anciens Combattants.)

La représentation régionale devrait être assez facile à conserver puisque les libéraux ont des députés dans toutes les provinces, sauf la Saskatchewan. Des deux députés de l’Alberta, il semble plus probable que Randy Boissonnault, un Franco-Albertain d’Edmonton, accède au Conseil des ministres. Un autre député albertain, George Chahal de Calgary, était favori pour le poste jusqu’à ce que la police enquête sur le « vol », capté par une caméra de surveillance, d’un dépliant de son adversaire qu’il aurait remplacé par le sien. Son adversaire conservateur veut maintenant faire annuler l’élection…

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Randy Boissonnault

Une autre question qu’il faut se poser : est-ce que plusieurs ministres changeront de portefeuille ou va-t-on avoir une relative stabilité ?

Une partie de la réponse a déjà été donnée en annonçant que Chrystia Freeland conserverait ses postes de vice-première ministre et de ministre des Finances.

Ça donne une assez bonne idée des intentions du premier ministre, d’autant que le remaniement précédent datait de janvier et qu’il avait entraîné des changements dans des ministères importants comme les Affaires étrangères, l’Industrie et les Transports, qui avaient changé de titulaire.

Il reste qu’il y a des ministres qui ont réussi à embarrasser le gouvernement au cours des dernières années et qui méritent soit une rétrogradation, soit un retour sur les banquettes arrière. Au premier rang, il y a le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, qui a semblé insensible aux allégations d’inconduite sexuelle dans les Forces canadiennes.

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Harjit Sajjan

Beaucoup croient qu’il serait temps de nommer une femme et la ministre Anita Anand a fait un bon travail au ministère des Services publics et de l'Approvisionnement – mais, en ces temps de pandémie, elle a surtout été responsable de l’approvisionnement en vaccins.

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Anita Anand

Et au Québec ? Il devrait y avoir relativement peu de changements chez les ministres québécois puisque tous ont été réélus et avec des majorités accrues. On était cependant très heureux de l’élection de la syndicaliste Pascale St-Onge dans Brôme–Missisquoi (où un décompte judiciaire a toutefois été demandé par le Bloc québécois), qui pourrait être nommée au Conseil des ministres.

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Pascale St-Onge

Mais s’il y aura peu de changements de poste, il commence à être certain qu’il y aura un changement de ton envers le gouvernement Legault, qui entre dans son année électorale.

On n’a pas apprécié, évidemment, l’intervention de M. Legault appelant à voter conservateur en fin de campagne. Et encore moins l’affirmation que les libéraux étaient « dangereux ». Sans vouloir nuire aux dossiers québécois, il est évident qu’on ne fera pas de détours pour être agréable au gouvernement du Québec.

Un exemple : le chèque de 6 milliards de dollars pour les garderies va finir par être envoyé, cela est certain, mais quand ? Avant ou après les élections du 3 octobre 2022 ? Et il y a toute une série d’autres chèques annoncés au cours des derniers mois qui pourraient ainsi être retenus quelque part dans la machine bureaucratique fédérale.

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Steven Guilbeault

Le ton aussi va changer. On l’a vu dès cette semaine quand le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, a souligné le manque d’empathie de François Legault quand celui-ci a servi des arguments comptables et de productivité pour ne pas décréter un jour férié pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

Normalement, à Ottawa, on se garderait bien de réagir à une situation pareille. Surtout quand le premier ministre a précisément utilisé la journée pour partir en vacances. Mais ça donne une idée du nouveau ton.

Et puisqu’on parle de Steven Guilbeault, va-t-il obtenir le portefeuille de l’Environnement ? Pas du tout certain que cela ne serait pas vu par les provinces productrices de pétrole comme une provocation, ce que le gouvernement voudra quand même éviter.