Ceux qui ne retiennent pas les leçons du passé sont condamnés à répéter les mêmes erreurs, dit le proverbe. On en a eu une preuve supplémentaire avec l’intervention américaine et des alliés de l’OTAN en Afghanistan – qui se termine au moment où l’on souligne le 20anniversaire des attentats du 11 septembre 2001.

Cela coïncide aussi avec la publication, cette semaine, du livre The Afghanistan Papers par le journaliste Craig Whitlock du Washington Post. Il est clair qu’on veut rappeler les Pentagon Papers, cette histoire secrète de la guerre du Viêtnam. On y trouve les mêmes mensonges de la part des autorités, la même méconnaissance du terrain et de « l’ennemi » et une conclusion similaire : une défaite dans le déshonneur.

The Afghanistan Papers reprennent une série d’entrevues réalisées par le gouvernement américain dans le cadre d’une histoire orale du conflit en Afghanistan et regroupées sous le titre de Lessons Learned, ou « Leçons que nous avons tirées ».

Ce qui rend les témoignages intéressants, c’est qu’ils ne devaient jamais être publiés, pour s’assurer que les personnes interrogées disent vraiment le fond de leur pensée. Officiers de l’armée et diplomates de haut rang ont ainsi raconté leur histoire. Il aura fallu plus de deux ans de batailles juridiques avec l’administration américaine, en vertu de la loi sur l’accès à l’information, pour que le Washington Post obtienne finalement les documents.

Ce qu’on y apprend, c’est que, justement, on n’avait rien appris des erreurs précédentes au Viêtnam ou dans des conflits dans lesquels les Américains s’étaient impliqués.

On y découvre que les Américains n’avaient pas d’objectifs précis, ou plutôt qu’ils en changeaient constamment. Au tout début, c’était de combattre Al-Qaïda et d’empêcher le groupe de perpétrer d’autres attaques terroristes. Avec l’objectif de neutraliser Oussama ben Laden, le cerveau des attentats du 11-Septembre, ce qui n’arrivera que 10 ans plus tard.

Puis l’objectif fut de chasser les talibans au pouvoir en Afghanistan. Puis d’assurer une certaine stabilité au pays. Et, enfin, d’instaurer un gouvernement « à l’américaine », avec président désigné, Parlement élu, Cour suprême, ministères, etc., le tout dans un pays où le pouvoir n’avait jamais été exercé de cette manière.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Le général Douglas Lute (à droite) lors d’un point de presse sur le déroulement de la guerre en Irak, en 2007

« Nous n’avons jamais compris fondamentalement ce qu’était l’Afghanistan. Nous n’avions aucune idée de ce que nous allions faire là », dira le général Douglas Lute, conseiller à la sécurité nationale des présidents Bush et Obama pour l’Afghanistan.

Pendant tout ce temps, nous apprennent les Afghanistan Papers, toute une machine de mensonges se mettait en place. Le public n’entendait parler que des bonnes nouvelles, sans savoir ce qui venait du terrain et qui indiquait que cette guerre était devenue impossible à gagner.

De même, malgré les sommes colossales qui y ont été engagées, l’entraînement des soldats de l’armée afghane n’a jamais donné les résultats escomptés, alors que les autorités américaines ont toujours affirmé voir de grands progrès. La même chose est vraie pour le développement d’une véritable société civile, dans lequel les États-Unis ont investi des sommes considérables.

« Un de nos buts était de développer une économie de marché prospère. Nous avons surtout développé le trafic de la drogue. C’est le seul marché qui a bien fonctionné », disait encore le général Lute.

Puis, deux ans après le début du conflit, l’administration de George W. Bush commence à se désintéresser de l’Afghanistan pour porter son regard vers l’Irak. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfled, se rend même à Kaboul pour expliquer que les combats ont pratiquement cessé en Afghanistan et que « la plus grande partie du pays est sécuritaire ». Les troupes sur le terrain savent que cela est totalement faux, mais c’est le discours officiel de l’administration.

PHOTO STEPHEN CROWLEY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, le président George W. Bush et le vice-président Dick Cheney, en 2006

On sait maintenant aussi que la guerre en Irak a été déclenchée sous des motifs fallacieux et que les armes de destruction massive que devait posséder le régime de Saddam Hussein n’ont jamais existé. Pendant ce temps, la guerre en Afghanistan continuera dans l’oubli – en attendant de trouver un scénario pour la fin des opérations.

Actuellement, à Washington, on assiste à un débat partisan pour essayer de déterminer qui est responsable du fiasco et du chaos que l’on vient de voir à Kaboul. Mais la politique américaine est beaucoup trop clivée pour prendre le temps de regarder le tableau complet avant de tenter de désigner des coupables.

Ainsi, on oublie beaucoup trop facilement que les décisions prises par l’administration de George W. Bush, au début de la guerre, tant en Afghanistan qu’en Irak, sont en grande partie responsables des difficultés rencontrées par la suite. Les administrations qui ont suivi ont également leur part de responsabilité.

On oublie aussi qu’on n’a jamais pris le temps de connaître la société afghane ou de s’assurer que les sommes considérables dépensées par les Américains n’allaient pas augmenter la corruption au lieu de la réfréner.

« Ce ne fut pas une guerre de 20 ans, ce fut une guerre d’une année répétée 20 fois », a déclaré à l’agence Reuters un officier supérieur américain en dénonçant les décisions à courte vue et le manque de continuité des opérations.

Il aurait pu ajouter que les Américains n’avaient rien appris depuis la guerre du Viêtnam…