Un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

Un des attraits de la série Succession, dont la dernière saison est diffusée ces jours-ci sur HBO, est qu’elle lève le voile sur la vie des ultrariches : les téléspectateurs se régalent des intérieurs somptueux, des déplacements en hélicoptère, des paysages époustouflants dans lesquels les puissants se retrouvent (campagne toscane, montagnes norvégiennes, etc.).

Les tenues vestimentaires de la famille Roy ont même lancé une tendance : le « quiet luxury », ou luxe discret, qui consiste à porter des vêtements ultrachers mais ultraneutres, sans logo, car faire étalage de sa richesse est vulgaire, tout le monde sait cela, sauf les nouveaux riches…

Dans Chien blanc, dont l’action se déroule en Californie, Romain Gary parlait de « la société de provocation » pour décrire l’opposition entre l’exhibitionnisme de la richesse et la pauvreté de la population qui peinait à satisfaire des besoins de base. Dahlia Namian en a fait le titre de son virulent essai.

La professeure de sociologie de l’Université d’Ottawa a colligé une tonne de données qu’elle met en opposition : d’un côté la démesure violente des riches, de l’autre la pauvreté et la souffrance des masses. Pierre Falardeau avait utilisé le même procédé dans Le temps des bouffons alors qu’il opposait d’un côté une rencontre de riches hommes d’affaires et de l’autre, les conséquences de la conquête du Québec par les Anglais. À défaut d’être subtil, c’était efficace.

Mais qu’on se rassure, l’essai de Dahlia Namian n’est pas aussi manichéen que Le temps des bouffons. L’auteure a fait ses recherches pour bien expliquer l’impact des excès des riches sur la vie de leurs contemporains.

Disons-le, son livre arrive à un très bon moment. Même si l’industrie du luxe se porte bien (la preuve, Bernard Arnault est l’homme le plus riche du monde et son groupe LVMH fait une fortune en vendant ses sacs Vuitton), la fascination qu’exerce le mode de vie des ultrariches commence à s’essouffler.

La pandémie, combinée à la crise climatique et à la crise économique, a creusé davantage l’écart entre les classes sociales. Dahlia Namian nous rappelle que « la richesse des 64 milliardaires canadiens a augmenté de 57,1 % depuis 2020 ». Une autre donnée souligne que les riches se sont davantage enrichis durant la pandémie qu’au cours des 20 années précédentes !

Résultat : certaines choses ne passent plus. Comme cette fois où l’animatrice américaine Ellen DeGeneres avait comparé son confinement dans sa belle villa californienne à une prison alors que la majorité de la population vivait la pandémie dans des appartements trop petits, sans accès à la nature. La réaction avait été vive.

Dahlia Namian nous rappelle que pendant que des gens peinent à boucler les fins de mois en se demandant si leurs descendants vont mourir brûlés ou noyés sur cette planète bouleversée par les catastrophes naturelles, les ultrariches parcourent le monde dans leurs jets privés, vivent dans des maisons de plus en plus grandes et se paient des voyages dans l’espace.

Dahlia Namian cite l’exemple d’Elon Musk qui a fait flotter une Tesla dans l’espace, juste parce qu’il pouvait le faire. Ces délires destructeurs des richissimes n’amusent plus autant qu’avant. Ils sont devenus obscènes.

Les extravagances des ultrariches ne sont que la pointe de l’iceberg. Ce qui est invisible à l’œil nu est encore plus problématique : évasion fiscale, financement de partis politiques, influence occulte, mise sur pied de fondations privées qui exercent une influence sur les politiques publiques des États, décisions prises en fonction des dividendes des actionnaires au détriment du bien-être de la population et de la main-d’œuvre. Les excès et les paradoxes des milliardaires Carlos Slim, Jeff Bezos et Bill Gates, entre autres, sont montrés du doigt.

Comme l’a souligné récemment Paul Reich, ancien conseiller de Bill Clinton, sur Facebook : « Elon Musk a perdu 13 milliards de dollars en 24 heures jeudi, et il est toujours au deuxième rang des personnes les plus riches du monde. Ne me dites pas que les milliardaires ne peuvent pas se permettre un impôt sur la fortune. »

On peut se demander si au point où nous en sommes, une taxe pourrait changer quelque chose, ou si le système n’est pas brisé pour toujours.

Extrait

« Au cours de la dernière décennie, le nombre et le financement des fondations privées se sont accrus au Canada, au point que celles-ci engrangent aujourd’hui des profits largement supérieurs aux taux d’inflation ou à la croissance du PIB canadien. Or, cette croissance ne s’est pas soldée pour autant par une plus grande redistribution des richesses. Et c’est là que le bât blesse. En dépit de ses prétentions altruistes ou “innovantes”, le philanthrocapitalisme contribue à flouer le filet social qui protège les plus pauvres et diminue réellement les inégalités, tantôt en privatisant les services publics essentiels, tantôt en capturant l’argent qui irait autrement dans les coffres de l’État. »

Qui est Dahlia Namian ?

  • Dahlian Namian est sociologue et enseigne à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa.
  • Ses recherches portent notamment sur les inégalités sociales, l’itinérance, la pauvreté, le logement et la dépendance.
La société de provocation – Essai sur l’obscénité des riches

La société de provocation – Essai sur l’obscénité des riches

Lux

233 pages