Quand Réjean Hébert parle de santé, il pense à sa tante Thérèse. C’était une personne sensible et intelligente, sans pourtant être très éduquée, raconte l’ancien ministre de la Santé, qui vient de publier Soigner les vieux, un recueil de textes qui plaident pour une « refondation » du système de santé au moment où la population vieillit rapidement.

« Le système de santé est complexe, c’est vrai. Mais tout le monde est capable de comprendre. Il suffit d’utiliser des mots simples et clairs, en faisant confiance aux gens. J’essaie d’écrire comme si je lui parlais », confie le gériatre.

Ce mandat, il le remplit bien dans son livre, qui réunit des textes parfois inédits et des versions remaniées de chroniques déjà publiées dans La Presse.

Il en dévoile un tout petit peu sur lui aussi, juste assez pour que l’on comprenne son engagement envers le système public.

Son grand-père maternel était un agriculteur prospère de Saint-Agapit avant qu’un glaucome l’empêche de travailler. Les interventions chirurgicales l’ont ruiné. Il finira sa vie aveugle et pauvre dans un sous-sol de Québec.

Depuis la création du système public, les inégalités en santé sont censées avoir disparu. Pourtant, tous n’ont pas encore accès aux soins et avec le choc démographique, ça ne deviendra pas plus simple.

Le DHébert s’inquiète pour l’avenir de ceux qu’il nomme affectueusement « les vieux ». Ne lui dites pas l’expression « nos aînés ». « C’est très infantilisant. On leur retire leur autonomie, on les dépossède, comme s’ils ne s’appartenaient plus. »

Et à plus grande échelle, c’est un peu ce qui se passe, déplore-t-il. Le Québec tarde à prendre le virage des soins à domicile. Le gros de l’argent va dans le béton. Il y voit un problème économique et humain aussi.

En 2001, la commission Clair proposait une forme d’assurance-autonomie. Les vieux recevraient une somme qu’ils utiliseraient ensuite pour se payer des soins adaptés à leurs besoins.

Ce fut le grand combat de sa courte carrière politique comme ministre de 2012 à 2014. Il a seulement réussi à déposer un livre blanc et à lancer des consultations. Mais le gouvernement minoritaire péquiste n’a pas eu le temps de réaliser la réforme costaude. Et on ne saura jamais s’il aurait osé dépenser les milliards requis alors que se préparaient les compressions budgétaires.

« Mais ç’aurait été un investissement, plaide-t-il. Regardez ce qui s’en vient. Ça va coûter encore plus cher de ne pas prendre ce virage… »

Le jeune Réjean naît dans une famille modeste de Québec. Il a deux grands frères. Son père est cheminot, sa mère travaille comme chapelière et comme téléphoniste dans un magasin pour aider à payer les factures.

Élève doué, il est admis en médecine. À ses débuts comme généraliste, il s’intéresse aux personnes âgées. Il deviendra l’un des premiers gériatres du Québec. Il est l’un des coauteurs du Précis pratique de gériatrie, ouvrage de référence publié en 1987 et encore enseigné aujourd’hui. Il a aussi cofondé le Réseau de recherche en gérontologie et en gériatrie. En 2000, il dirige le tout nouvel Institut du vieillissement, une chaire financée par le fédéral. Il sera ensuite doyen de la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke.

Un de ses premiers articles scientifiques donnait déjà le ton de sa carrière à venir : Le vieillard à l’hôpital général, du dumping aux lits bloqués.

L’engagement public n’a jamais été loin. Il a participé au groupe de travail créé par Philippe Couillard en 2003 pour élaborer un Plan d’action de services aux aînés, puis il a coprésidé en 2008 la consultation sur les conditions de vie des aînés.

Après avoir conseillé, il a voulu décider. Il devient ministre de la Santé sous l’éphémère gouvernement de Pauline Marois, pendant 18 mois.

Cela en fait un observateur privilégié de notre système de santé. Il l’a connu comme praticien, comme chercheur et comme politicien. Et il s’étonne de voir les mêmes erreurs se répéter.

Selon lui, la réforme Dubé contient le même vice que celles de Gaétan Barrette.

Un système de santé ne se gère pas à partir du sommet. Que la personne en contrôle soit le ministre ou un top gun du privé n’y change rien.

Réjean Hébert

« Comme l’a démontré Henry Mintzberg, c’est un système complexe. On ne peut pas tout comprendre ou prévoir. On ne peut pas attendre non plus que les informations montent jusqu’aux dirigeants puis que la solution redescende sur le plancher. Il faut donner les moyens aux gens sur le terrain de prendre des initiatives innovantes par eux-mêmes. »

Mais n’est-ce pas ce que Christian Dubé essaie de faire en nommant un directeur dans chaque hôpital, CHSLD ou autre installation ? « Ce n’est pas une mauvaise idée en soi, répond-il. Mais pour décentraliser, la clé n’est pas de modifier les structures. C’est d’intégrer les services. De réunir les gens et les laisser se coordonner ensemble. On ne fait pas ça. Le pouvoir se situe encore dans les gros établissements [les CISSS et les CIUSSS], qui ne font que changer de nom. »

Un retour à la base. Voilà, pour faire court, ce que prône le DHébert. « Les systèmes de santé efficaces misent sur trois choses : la première ligne, la prévention et les soins à domicile », martèle-t-il.

L’ex-doyen de l’École de santé publique de l’Université de Montréal décline les statistiques. « Environ 60 % des maladies chroniques et 80 % des maladies cardiovasculaires peuvent être prévenues. Elles peuvent se traiter en première ligne. Le CLSC devrait être au cœur du système et l’hôpital en périphérie. »

Le même phénomène s’observe avec les soins à domicile, qui ne reçoivent pas tout l’argent promis. Les budgets sont alloués aux CISSS et aux CIUSSS, qui misent trop sur les hôpitaux. « Les médecins pèsent très lourd dans les décisions… »

Le DHébert est critique de sa profession. Il rappelle qu’en 1970, les médecins s’opposaient à l’assurance maladie. Pour les rallier, on leur a offert un cadeau : le statut de travailleur autonome. Aujourd’hui, ils sont comme des entrepreneurs avec une clientèle captive. Le meilleur des deux mondes.

Le Collège des médecins veut instaurer une « responsabilité populationnelle » pour la profession. Quand des patients n’ont plus accès à certains soins sur un territoire, on pourrait forcer les médecins à ajuster leur pratique.

Le ministre Dubé le propose justement dans sa réforme. Le DHébert est favorable à cette mesure, tout en se demandant comment on fera pour l’appliquer.

Et il voudrait aller plus loin. « Idéalement, les médecins spécialistes devraient être salariés. C’est comme ça aux États-Unis d’ailleurs, même dans des groupes privés. » Il souhaiterait aussi que les omnipraticiens soient payés selon le nombre de patients pris en charge, avec des indicateurs de performance sur l’attente et le suivi.

Le gériatre est aussi critique des maisons des aînés du gouvernement Legault. « Elles sont très belles, dit-il, mais l’argent aurait été mieux investi autrement. Il y a encore 40 000 personnes qui attendent pour des soins à domicile. »

« Je comprends qu’un projet d’assurance-autonomie, ça fasse peur au gouvernement. Ce sont des dépenses récurrentes considérables. Mais dans le modèle actuel, les coûts sont à la fois plus grands et plus imprévisibles. »

Il ne désespère pas.

En Allemagne, il a fallu près de 30 ans avant que le système – qui n’est pas parfait – soit adopté. Je ne lâche pas.

Réjean Hébert

En attendant ce projet, il voudrait que son amour des vieux devienne contagieux. « En France, on les voit dans les cafés, dans les salles de spectacle, je trouve qu’ils sont mieux intégrés à la société. Au Danemark, on les intègre même dans les habitations avec les plus jeunes. En Amérique du Nord, malheureusement, on se perçoit comme une société jeune et dynamique, alors on les marginalise. Pourtant, ce n’est pas une maladie, la vieillesse. Et ça va tous nous arriver. »

Soigner les vieux

Soigner les vieux

Éditions La Presse

248 pages

Questionnaire sans filtre

  1. Le café et moi : Je prends un ou deux cafés au lait le matin. En vacances, j’aime bien un petit expresso après le dîner. Pas de café après 16 h, ça perturbe mon sommeil.
  2. Le dernier livre que j’ai lu : Le grand monde de Pierre Lemaitre. J’enchaîne avec la suite : Le silence et la colère.
  3. Le livre que tout le monde devrait lire : N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell, un roman suédois sur la catastrophe du sida.
  4. Une personne qui m’inspire : Janette Bertrand pour l’impact qu’elle a eu sur la société par son écriture.
  5. Un conseil aux nouveaux médecins : Vous ferez un métier extraordinaire qui vous permet de soigner, de chercher, d’enseigner, de gérer et même de vous impliquer en politique. Votre génération a trois défis à relever : travailler en équipe avec les autres professionnels de la santé et des services sociaux, engager vos patients pour qu’ils soient de véritables partenaires de leur plan de soins et mettre l’accent sur la promotion de la santé et la prévention.

Qui est Réjean Hébert ?

  • Diplômé de médecine en gériatrie de l’Université de Sherbrooke, il détient une maîtrise de philosophie en épidémiologie de l’Université de Cambridge
  • Fondateur du Centre de recherche sur le vieillissement de l’Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke et premier directeur scientifique de l’Institut du vieillissement des Instituts de recherche en santé du Canada
  • Ex-doyen de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke
  • Ministre de la Santé du Québec dans le gouvernement péquiste de Pauline Marois (2012-2014)