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Quelqu’un pourrait-il m’expliquer pourquoi Donald Trump continue à être adulé par plus de 30 % d’Américains au point où il pourrait être réélu lors de la prochaine présidentielle ?

Jean Marc Lajoie

Donald Trump est-il encore vraiment si populaire ?

Tout indique que oui !

Des sondages récents montrent que la course serait serrée si Joe Biden devait affronter une nouvelle fois Donald Trump.

Par exemple, selon un sondage effectué par l’école de droit de l’Université Marquette (à Milwaukee, au Wisconsin) à la mi-mars, les deux politiciens récoltent chacun 38 % des intentions de vote.

Par ailleurs, chez les républicains, parmi tous les prétendants déclarés ou potentiels, Donald Trump jouit d’une confortable avance. Son plus proche rival, le gouverneur de la Floride Ron DeSantis, est loin derrière lui.

Bon, évidemment, il reste plus d’un an et demi avant la prochaine présidentielle. Soyons prudents en interprétant ces données. Mais il apparaît évident que la popularité de Donald Trump est un phénomène encore bien réel.

De nombreux analystes estiment même que sa récente inculpation – une première pour un président américain – pourrait lui donner un coup de pouce dans l’opinion publique plutôt que lui nuire.

Il apparaît clair que le clivage de la société américaine est un des facteurs fondamentaux qui permettent d’expliquer ce phénomène. Jamais le pays n’a été si divisé depuis l’époque de la guerre de Sécession.

Le clivage dit « affectif » est très élevé aux États-Unis. Et un de ses effets, c’est que les sentiments à l’égard du groupe auquel on s’identifie – le Parti républicain ou le Parti démocrate, dans le cas qui nous intéresse – ont tendance à être très, très favorables.

À l’inverse, vous risquez fort de développer une aversion pour l’autre groupe. Ainsi, plus les démocrates dénoncent Donald Trump, plus les républicains auront tendance à le défendre avec passion.

« Trump continue de monter dans les sondages notamment parce que les accusations qui ont été portées contre lui par le procureur de Manhattan » provoquent chez les républicains une réaction qui « va dans ce sens », explique le titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM, Frédérick Gagnon.

Il estime que, dans la foulée de l’inculpation, des républicains se disent : « Encore des démocrates qui veulent tout faire pour empêcher Trump de sauver l’Amérique ! »

Mais ça n’explique pas entièrement pourquoi l’ancien président bénéficie toujours d’un solide appui au sein même du Parti républicain.

Bon nombre des idées de Donald Trump, dont certaines ne correspondent pas à l’orthodoxie républicaine, plaisent beaucoup à beaucoup de monde. Le fait qu’il flirte avec l’isolationnisme sur la scène internationale et qu’il a fait du protectionnisme une priorité n’est pas étranger à ses succès.

Il a également séduit bon nombre de républicains en dénigrant de façon très habile les institutions démocratiques de son pays, à un moment où la confiance à leur égard s’était effondrée.

Notons aussi qu’une étude effectuée par Lilliana Mason, Julie Wronski et John V. Kane, publiée dans l’American Political Science Review en 2021, a démontré que la « rhétorique incendiaire » utilisée par Donald Trump contre des groupes minoritaires associés aux démocrates a galvanisé les Américains qui manifestaient de l’animosité à l’égard de ces groupes (comme les Afro-Américains et les musulmans).

« Il y a beaucoup d’insécurité identitaire et économique dans ce pays, notamment au sein de la communauté blanche. Il y a cette idée que des phénomènes qu’on ne voyait pas avant menacent de transformer le pays », dit Frédérick Gagnon, citant par exemple ce qu’on qualifie de « wokisme ».

« Beaucoup de gens très conservateurs voient là-dedans une espèce de menace à la société, précise-t-il. Trump et DeSantis essaient de tirer profit de ce mouvement en disant : on va sauver le pays. »

Et n’oublions pas que Donald Trump jouit d’un avantage déterminant chez les républicains : à peu près personne au sein du parti n’ose le critiquer.

C’est un cercle vicieux. Les politiciens républicains ne veulent surtout pas risquer de se mettre à dos la base de Donald Trump. Ils considèrent que leur avenir politique est lié à leur loyauté envers l’ancien président.

Alors ils persistent à en faire l’éloge, peu importe ce qu’il va faire ou ce qu’il va dire. Et peu importent les ennuis dans lesquels il est plongé.

Dans ces circonstances, il est d’autant plus difficile pour ses rivaux de lui damer le pion.