Marie-Hélène Voyer, auteure et professeure de littérature au cégep de Rimouski, prend le café avec notre chroniqueuse Chantal Guy cette semaine.

Écrire n’était pas la plus grande ambition de Marie-Hélène Voyer, car elle se voyait avant tout comme une lectrice. C’est l’ennui et la période creuse de la pandémie qui lui ont fait rédiger deux livres en parallèle : l’essai L’habitude des ruines – le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec et le recueil de poésie Mouron des champs. Avec pour résultat que ces deux titres, chose rare dans une carrière d’écrivaine, sont aujourd’hui en lice pour le prochain Prix des libraires dans les catégories essai et poésie. Un doublé, quoi.

« Je suis très touchée et en même temps, je n’y pense pas trop, c’est un peu irréel, ce qui fait que ça me protège contre la grosse tête », dit l’auteure de 40 ans, mère de trois enfants et professeure de littérature au cégep de Rimouski, alors que nous faisons notre entretien virtuellement, parce que ni l’une ni l’autre ne pouvait faire le trajet Montréal-Rimouski.

Pour ma part, je ne suis pas surprise de ce doublé. Ce que j’aime le plus dans ce métier que je pratique depuis 20 ans est de tomber sur une nouvelle voix qui me convainc en quelques pages qu’elle ne quittera plus ma vie. L’habitude des ruines est un vibrant plaidoyer pour la protection de notre patrimoine qui frôle parfois le pamphlet – elle a découvert avec les livres de Pierre Falardeau qu’on pouvait bien écrire « en crisse » –, tandis que Mouron des champs est un hommage poignant aux femmes du monde rural dans lequel elle a grandi – en particulier sa mère, qu’elle a perdue trop jeune, et de façon tragique. Un suicide.

Si je n’avais pas su que Marie-Hélène Voyer était née en 1982, j’aurais parié qu’elle était beaucoup plus vieille, tant son écriture est solide et sa langue, teintée des influences de poètes comme Miron ou Saint-Denys Garneau et de la parlure des gens de son monde.

Ce n’est pas la première fois qu’on me dit ça. J’ai l’impression que c’est peut-être la poésie de mon enfance. C’est comme ça qu’on parlait chez nous. C’est peut-être un espace en marge du monde où la parlure populaire a survécu plus longtemps. C’était important pour moi d’être loyale à cette langue-là, et que mes livres en soient un peu la boîte noire.

Marie-Hélène Voyer

Quelle étrange ironie, tout de même, pour celle qui rêvait de foutre le feu à la ferme familiale quand elle était enfant. Comme beaucoup de jeunes qui ont grandi en région avant l’internet, Marie-Hélène Voyer avait l’impression de périr d’ennui dans son coin du Québec et rêvait de grande culture. Elle captait l’émission Macadam Tribu à la radio malgré la friture et mendiait des augmentations d’emprunts à la bibliothèque pour faire le plein de livres avant les fins de semaine.

Quand j’étais petite, Rimouski était pour moi la grande ville inaccessible. J’ai grandi dans ce qu’on appelle le Bic pas touristique, dans les rangs où personne ne va. Il faut oublier les îles bucoliques et les petits cafés branchés, j’étais dans le Bic poussiéreux.

Marie-Hélène Voyer

Pendant ses études en littérature à Québec, la ferme familiale a été détruite par un incendie, comme elle l’avait souhaité dans son enfance. Et c’est cette perte qui lui a fait prendre conscience de son attachement à ses racines. Il n’y avait plus que l’écriture pour renouer avec ses souvenirs et ses origines. « C’est une réconciliation très tardive avec cet ennui fondateur qui, je pense, m’a fabriquée, finalement. J’ai l’impression qu’il m’a fallu une grande perte pour réaliser que c’était le terreau de tout ce que j’étais. Tout ce que j’ai détesté, toutes les incantations que j’ai faites pour que ce lieu disparaisse, c’était une prophétie, finalement. Je pense que j’habite mieux que jamais ces territoires de mon enfance depuis que je les revisite par l’écriture. Les personnages qui ont habité ces lieux-là aussi. Je les appelle personnages à dessein, car c’étaient des bonshommes et des bonnes femmes plus grands que nature qui m’ont élevée et qui m’ont tout montré. »

Notamment son père, un grand raconteur et un avide lecteur, qui est en train de se taper tout le catalogue de La Peuplade où sa fille est publiée, et qui relit Anna Karénine une fois par année. Dans Mouron des champs, elle raconte qu’en confiant à sa mère son désir de faire de « longues études », celle-ci lui a répondu : « La vie va te remettre à ta place ». Loin de lui en vouloir, elle a compris.

J’ai entendu ce jour-là sa douleur. La douleur de celles qui n’ont pas pu.

Marie-Hélène Voyer

Pour Marie-Hélène Voyer, il n’y a pas de beauté sans récit. « C’est ce qui a fabriqué mon regard sur le monde, souligne-t-elle. L’une des choses les plus ennuyeuses de mon enfance est lorsque, le dimanche après-midi, mon père m’obligeait à faire des promenades en pick-up avec lui dans les rangs en écoutant du country. On passait devant les maisons et il me racontait chacune d’elles. Finalement, pour moi, c’est ça qui est beau. Toute chose qui est traversée par différents récits, tout ce qui a une épaisseur d’histoires, au pluriel. Comme les petits récits d’enfance de Michel Garneau dans L’hiver, hier. Ma bibliothèque entière pourrait brûler que si je gardais L’hiver, hier, je ne manquerais de rien parce que tout est là, dans la manière de raconter un lieu. Pour moi, ça touche à l’essence de la beauté. »

Ce que portent les lieux

On comprend mieux pourquoi elle défend si farouchement l’idée du patrimoine, dans cette province où chaque semaine, on entend des histoires d’horreur à ce sujet. Car en démolissant dans l’indifférence la plus totale des lieux et des bâtiments historiques, ce sont aussi des récits et la mémoire que l’on confisque, la plupart du temps pour le simple profit. Dans L’habitude des ruines, elle écrit ceci à propos des banlieues cossues où on se construit des répliques de châteaux : « On rase des paysages agricoles ancestraux, on démolit des maisons patrimoniales authentiques, des traces précieuses et irremplaçables de notre histoire, tout cela pour construire du neuf qui mime l’ancien ; on démolit notre patrimoine architectural, symbole de nos origines, mais surtout témoignage de l’inventivité de nos aïeux en matière d’adaptation aux rigueurs du territoire, pour construire du neuf qui mime l’ailleurs. »

Ces néomanoirs ne sont pas de simples maisons, ce sont des crises identitaires. Il faut de toute évidence être habité par une forme de honte de soi et de hantise du passé pour en venir à habiter de tels pastiches dans leur écrin de fausses pierres.

Extrait de L’habitude des ruines, par Marie-Hélène Voyer

Marie-Hélène Voyer n’a pas du tout envie de glorifier le passé ni de dire que « c’était mieux avant ». C’est en fait contre l’amnésie volontaire et le saccage qu’elle s’élève. « Je crois que j’ai un désir de loyauté et non pas de pétrification. De l’égard en pensant à ceux qui nous ont précédés, tout simplement. Aussi une espèce de ras-le-bol de ces discours où on se targue de vouloir tout recycler et de faire dans le développement durable. On dirait que le patrimoine est étanche à tous ces enjeux-là de recyclage, de récupération, et que c’est davantage le discours du à-quoi-boniste ou du trop-tard qui l’emporte sur le reste. Je crois davantage aux récits que portent les lieux, qui ne sont pas des coquilles vides, qu’à un passé monumental ou une “grande” histoire. C’est ce qu’il y a de plus précieux, de mon point de vue. »

Du mien, j’accueillerai tous les récits que Marie-Hélène Voyer voudra bien écrire, car je les trouve si beaux, si essentiels. Bonne nouvelle : c’est le sillon qu’elle va continuer de creuser, à défaut d’avoir repris le flambeau d’agricultrice, ce qui me fait croire que les écrivains ont la tâche d’être des semeurs.

Ça me fait sourire aussi qu’une Montréalaise pur jus comme moi trippe autant sur ce qu’écrit une fille du Bic qui sort rarement de son coin. Je pense que cela tient au fait que la crise du patrimoine, comme la crise du logement et la crise climatique, se vit à la grandeur du Québec. Et que nos destins sont tous liés à ces enjeux.

Questionnaire sans filtre

1. Le café et moi :

Je ne suis pas très difficile, et je ne vais pas faire semblant d’être une grande connaisseuse. Moi, un café, tant qu’il fait sa job de café, je suis contente.

2. Des personnalités disparues avec qui j’aimerais échanger :

Jacques Ferron, c’est sûr. Si je pouvais donner un rein pour qu’il revienne, je pense que je le ferais. Michel Garneau, Pierre Perrault… Je sais que ce n’est pas paritaire, il faudrait que je nomme des femmes, mais qu’est-ce que tu veux, je viens d’un monde de bonshommes.

Qui est Marie-Hélène Voyer ?

  • Née au Bic, dans le Bas-Saint-Laurent, en 1982, elle est titulaire d’un doctorat en littérature de l’Université Laval et enseigne la littérature et le français au cégep de Rimouski.
  • Elle a publié quatre livres : Expo Habitat (La peuplade, 2018), Terrains vagues – Poétique de l’espace incertain dans le roman français et québécois contemporain (Nota Bene, 2019), L’habitude des ruines – le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec (Lux, 2021) et Mouron des champs (La peuplade, 2022).
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