Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Ado, je lisais beaucoup de BD. J’y croisais parfois un personnage qui se ressemblait d’une histoire à une autre : le sage en haut de la montagne. Au bout d’une longue montée périlleuse, on arrivait chez lui et, s’il était d’humeur, on avait le droit de lui poser des questions. Reclus et excentrique, il livrait tout de même des conseils d’une grande sagesse à qui en voulait bien.

Je n’aurais jamais osé en parler à personne, mais alors que la plupart de mes amis souhaitaient devenir policier, pompier, vedette rock, millionnaire ou un savant mélange des quatre, je m’imaginais plutôt en sage du haut de la montagne. Tranquille la plupart du temps, avec peut-être un chien stoïque pour me tenir compagnie, je serais là, prêt à divulguer mon savoir, des années de vie distillées dans une phrase courte, mais d’une vérité percutante.

Phrase connue : « Trouvez ce que vous aimez faire dans la vie et arrangez-vous pour qu’on vous paie pour le faire. » À peu de choses près, j’y suis arrivé. Je suis éditeur, et mon rôle, tout de même un peu plus modeste, est de conseiller les auteurs et autrices pour améliorer leurs textes. Je suis au sommet de ma petite montagne, en quelque sorte, pour ceux et celles qui sentent que je peux leur rendre service. Et j’adore mon travail ! Parce que, honnêtement, qui ne rêve pas de donner des conseils ? Si « sage du haut de la montagne » était une vraie job, tout le monde la voudrait.

Mais le problème avec les conseils, c’est qu’on aime beaucoup en donner, mais on n’aime pas tant en recevoir. Au moins, si on se donne la peine de gravir une montagne pour en recevoir un, c’est un geste volontaire. Mais la plupart de ceux qu’on reçoit sont non sollicités.

Beaucoup de sages du haut de la montagne vivent parmi nous.

Dès qu’elles sortent de chez elles, mes amies qui ont des bébés créent des émeutes dignes de l’époque de la Beatlemania : les mères plus expérimentées leur courent après pour leur offrir des suggestions qui sonnent un peu comme des ordres. Si elles en ont vraiment besoin, elles iront voir le sage en haut de la montagne, ou iront chez Walmart ; on y vend des conseils encadrés prêts à accrocher aux murs.

Les femmes, en général, se font beaucoup faire la leçon. Par d’autres femmes, mais aussi par des hommes, même quand les suggestions données relèvent de l’expérience féminine. (On connaît tous le concept de « mansplaining », hein.) Parfois, on décèle même un petit ton condescendant. Ça ressemble à un jugement, l’air de rien. Ça dit : « Pardonnez-moi, ne devriez-vous pas faire ceci ou cela ? », mais ça sonne comme : « Franchement ! Qu’est-ce tu fais là ? Moi, c’est pas comme ça que je fais. Ça n’a pas d’allure, ton affaire ! »

Il y a une grande différence entre demander un avis et s’en faire enfoncer un dans les tympans par quelqu’un qu’on n’a jamais vu, qu’on espère ne jamais revoir et à qui on n’a rien demandé.

De la même manière que je ne cours pas après les gens dans la rue pour leur offrir des conseils éditoriaux qui seraient très peu pertinents dans leur vie de tous les jours, les personnes de mon entourage n’ont pas envie de se faire gueuler par la tête des opinions déguisées en perles de sagesse par des inconnus.

Garder notre avis pour ceux et celles qui le demandent est sans doute un très bon conseil. Si, comme moi, vous rêvez de répandre votre sagesse, trouvez-vous une montagne, installez-vous au sommet et attendez que les gens viennent vous voir. Le conseil le plus efficace restera toujours celui qu’on a envie de recevoir.

Et, pour ma part, je suis très mauvais conseiller sur tout ce qui ne concerne pas la littérature. J’ai déjà dit à un ami qu’il devrait s’acheter un futon plutôt qu’un matelas (c’est cher pour rien !) et je vis encore avec le poids de la culpabilité chaque fois qu’il me parle de ses étranges douleurs lombaires.

[Avis public : si vous avez déjà été victime de mes conseils en matière de finance ou de vie amoureuse, je m’en excuse. Je sais à peine ce que les lettres dans REER signifient, je suis poche en maths et ma vie amoureuse s’est bâtie sur le concept d’essais-erreurs (avec beaucoup d’erreurs). Je n’y connais rien. Désolé !]

Je préfère être le sage en haut de la montagne plutôt que le fatigant qui s’imagine que ce qui a fonctionné pour lui fonctionnera aussi pour les autres. Quand je descends de la montagne, je m’efforce d’écouter plutôt que de parler. Ce n’est pas toujours facile (un conseil est si vite arrivé), mais c’est beaucoup plus sage.