Soyez prévenu : vous ne reverrez plus Gaétan Barrette en politique. Mais il ne s’est pas gêné, lors d’un café avec notre éditorialiste Alexandre Sirois, pour donner son avis sur son héritage, sur Christian Dubé et sur l’avenir de notre système de santé. Le tout avec, bien sûr, son franc-parler habituel.

« Vous auriez dû voir l’excellente soupe que je me suis faite ce midi avec de la morue, du maïs et des asperges ! »

Quelle mouche a piqué Gaétan Barrette pour qu’il nous parle de cuisine avec une passion qui nous rappelle celle de Ricardo ?

C’est tout simple : on lui a fait remarquer qu’il avait l’air en pleine forme.

Il a saisi la balle au bond et nous a confié son secret. Depuis qu’il a pris sa retraite de la politique, il trouve le temps de faire du sport et de cuisiner. Et ça paraît. Non seulement il a l’air serein, mais il est aussi passé de 134 kilos à 86 kilos.

« Je pourrais vous inviter chez nous, vous faire un dal avec un filet de saumon sauce vierge puis un dessert monté avec fruits/chia/yogourt et ça va être comme ici », lance-t-il en parlant de la Brasserie Bernard, où il nous a donné rendez-vous pour un café.

L’ex-ministre a changé son alimentation en profondeur. « J’ai découvert un grand ami qui s’appelle Alain… Alain Ternet », lance-t-il. Et d’ajouter qu’il fait « le tour du monde tous les mois » avec les recettes qu’il met à son menu.

Même que dans son entourage, certains ont commencé à lui dire qu’il pourrait suivre les pas de Ricardo. « Gaétano », rigole-t-il.

Mais ça n’arrivera pas. « Non, je ne cherche pas ça, je suis bien chez nous. […] La retraite a été bénéfique pour moi. »

Il ne retournera pas non plus en politique. Il n’en a aucune envie. « Aucune », répète-t-il.

Ma position est très simple. Si un jour quelqu’un m’offre quelque chose, un mandat, et si ça m’intéresse, j’aurai une seule condition : est-ce que je vais avoir les moyens d’arriver à la destination ?

Gaétan Barette

Car si pour certains, c’est le chemin parcouru qui compte, pour Gaétan Barrette, c’est plutôt la destination. C’est évident.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Gaétan Barrette ne souhaite pas retourner en politique.

Il explique d’ailleurs que s’il a agi comme un bulldozer à la Santé, c’est qu’il voulait être certain de pouvoir réformer le système. Il a abordé ses fonctions de ministre avec sa vision d’ancien président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. « Pour arriver à mes fins, il faut que j’aille vite et que je rentre dans le tas », se disait-il.

Parce qu’on le rencontre pour savoir ce qu’il devient, bien sûr. Mais on souhaite aussi lui demander de faire le bilan de son passage en politique. Et on veut savoir, enfin, ce qu’il pense des grands chantiers dans lesquels est engagé le ministre Christian Dubé.

On apprend alors qu’il remet en question le principe auquel il obéissait comme ministre.

Si c’était à refaire, je l’aborderais de la manière de Dubé. Il a la manière que je n’ai pas eue et il a raison. La CAQ a une force que nous n’avions pas, ils sont tous formatés de la même manière, c’est un moule. Ils sont coachés et ils ont raison.

Gaétan Barette

Mais ce n’est pas non plus la méthode qu’on lui demandait de privilégier à l’époque, dit-il. « On voulait me mettre en avant comme paratonnerre et pitbull. Je suis capable de faire les deux, je suis capable d’être fin et je suis capable d’être plus intempestif, ou abrasif, pour utiliser un mot que vous aimez, vous les médias.

– Vous n’aimez pas le mot « abrasif » ?

– Je ne considère pas que je suis abrasif. Je dis les choses telles qu’elles sont et c’est vrai que je suis un petit peu sec. Je m’assume. »

Il admet donc avoir fait une erreur « sur la forme ». Car sur le fond, il dit voir une filiation évidente entre ses propres idées et celles de l’actuel ministre de la Santé.

« Christian Dubé répète mes mots, mais comme il est souriant et que vous l’aimez dans les médias, ça marche ! », dit-il.

Gaétan Barrette soutient que le messager a changé, mais que le message est similaire.

Est-ce que vous avez vu un seul geste fait par le gouvernement actuel pour défaire ce que j’ai fait ?

Gaétan Barette

On rétorque alors que le fait de ne plus avoir de directeur dans chacun des CHSLD – conséquence de sa réforme – a posé problème pendant la pandémie. Et que la CAQ y a remédié.

« Vous tombez dans le panneau ! Il y en avait un, réplique-t-il. Il y avait un répondant pour chaque CHSLD, qui était un cadre intermédiaire. La seule chose que la CAQ a faite, c’est qu’ils ont changé le cadre intermédiaire pour un cadre supérieur », affirme-t-il, en admettant que ce cadre « est plus constant dans sa présence ».

Dans le même ordre d’idées, on lui rappelle qu’en annonçant son retrait de la vie politique, il a reconnu avoir « sans aucun doute coupé trop de cadres intermédiaires et supérieurs ».

Il ne le nie pas. Et il prédit que Christian Dubé – qui s’apprête à dévoiler un projet de loi ambitieux sur l’efficacité du système de santé – va « les ramener… mais pas au complet ».

Gaétan Barrette estime donc que la structure qu’il a modifiée sera, dans son ensemble, conservée. Et que « le pas » dont il rêve depuis l’époque où il était président de la FMSQ, c’est-à-dire la création de Santé Québec, Christian Dubé va le franchir.

Ce qu’on qualifie parfois à Québec d’Hydro-Santé est en effet au menu de la législation annoncée par le ministre Dubé. L’ancien gestionnaire a affirmé récemment que « les colonnes du temple vont shaker ».

« Quand le ministre dit que ce n’est pas au Ministère de s’occuper de l’exécution, de la gestion au quotidien des services, c’est ma phrase : orientations ministérielles et exécution sur le terrain », souligne-t-il.

Il est peut-être serein, Gaétan Barrette, mais on sent qu’il cherche à défendre son héritage bec et ongles. À se réhabiliter.

« J’étais le Voldemort de la santé au Parti libéral », reconnaît-il. Une façon pour lui de souligner qu’au fil du temps il était devenu celui, comme dans Harry Potter, dont on ne devait pas prononcer le nom.

« J’ai été et je demeure le politicien le moins populaire du Québec », pense-t-il encore.

Il s’en est accommodé, dit-il, mais certainement pas complètement. « Une de mes caractéristiques, c’est que je vis avec. Ça ne veut pas dire que ça ne me touche pas quelque part. C’est désagréable. »

Par ailleurs, s’il a quitté le monde politique, il a trouvé une autre façon de mettre à profit son franc-parler. Il participe trois fois par semaine à La joute, sur les ondes de LCN.

« Ma parole est libre. Elle est libérée. Je n’ai pas de contrainte. J’ai dit deux choses quand je suis allé là-bas : un, je ne serai pas une belle-mère, et deux, je ne serai pas le porte-parole du Parti libéral. »

Au cours de notre entrevue, il fera d’ailleurs à plusieurs reprises l’éloge du travail de Christian Dubé. « Il est parti, je pense, sur la bonne track. Il fait du bon boulot. Ça ne veut pas dire que son boulot est parfait, le premier mandat n’a pas été un bon mandat, mais il a l’excuse de la pandémie. »

Gaétan Barrette semble plus à l’aise dans son rôle de commentateur qu’en politique où désormais, estime-t-il, « la forme a préséance sur le fond ».

« Quand on est rendu que, dans un parti au pouvoir, on s’assure que les ministres sont sur TikTok, je suis dinosaure. Je ne chante pas, je ne danse pas et je n’irai pas là. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi ?

Aujourd’hui j’ai pris deux cappuccinos, mais c’est le seul café que je prends cette année. Je ne prends du café que dans des conditions spéciales parce que je n’aime pas le café.

Un livre sur ma table de chevet ?

J’ai plusieurs livres. En général, c’est des livres historiques ou des livres de réflexion. Un des livres, c’est celui de Luc Godbout et Suzy St-Cerny sur la fiscalité : Le Québec, un paradis pour les familles ?.

Un talent que j’aimerais posséder ?

Je suis la personnification de la chanson de Luc Plamondon J’aurais voulu être un artiste. En fait, je n’aurais pas voulu être un artiste, mais j’aurais aimé avoir un talent de chanteur.

Les gens que j’aimerais réunir à un souper, morts ou vivants ?

La personne qui, de mon vivant, m’a le plus impressionné et m’impressionne encore le plus, c’est Barack Obama. Et ce n’est pas un souper, mais un stage de six mois que j’aimerais faire avec lui. J’en ai plein [des gens], mais il est en haut de ma liste.

Ce que vous détestez par-dessus tout ?

Je déteste l’injustice et ceux qui font des critiques injustes. Il y a des gens que je déteste par l’injustice de leurs propos et de leurs commentaires. Le monde n’est pas blanc et noir et ceux qui le commentent en blanc et noir, ça dessert la société.

Qui est Gaétan Barrette

  • Né en 1956.
  • Devient président de l’Association des radiologistes du Québec en 1998.
  • Est élu président de la Fédération des médecins spécialistes en 2006.
  • Se présente comme candidat pour la CAQ en 2012, sans succès.
  • Est élu député pour le Parti libéral du Québec et nommé ministre de la Santé et des Services sociaux en 2014.
  • Annonce sa retraite de la vie politique en 2022.