Personne ne donnait cher de l’Ukraine quand la Russie a lancé ses premiers missiles sur le pays de Volodymyr Zelensky. Or, un an plus tard, les forces ukrainiennes tiennent toujours tête à l’envahisseur. Et rien ne laisse présager la fin prochaine des affrontements.

Maria Avdeeva n’est pas de nature à se laisser impressionner facilement.

Alors que nombre de ses compatriotes fuyaient l’avancée russe il y a un an, cette résidante de Kharkiv est restée derrière pour documenter l’impact meurtrier des tirs de missiles et de mortiers contre sa ville, risquant sa vie pour témoigner de la situation.

Les troupes envoyées par le président russe, Vladimir Poutine, ont été refoulées à des dizaines de kilomètres de distance depuis plusieurs mois, mais continuent d’attaquer régulièrement l’agglomération, ciblant parcs, établissements d’enseignement et immeubles résidentiels.

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Frappé par un missile russe, un bâtiment de l’Université nationale d’économie urbaine de Kharkiv est lourdement endommagé, le 5 février.

« Ils utilisent des missiles sol-air modifiés qui atteignent leur cible en 45 secondes. On ne peut pas les intercepter […] Le but des Russes est de créer une menace perpétuelle pour que les gens y pensent à deux fois avant de revenir », confie en entrevue Mme Avdeeva, à qui nous avions déjà parlé en mars dernier⁠1.

À cette menace s’ajoute le souvenir des exactions subies par les civils dans des villes occupées comme Izioum, où l’Ukrainienne s’est rendue en septembre, et les pertes humaines liées à l’invasion.

« Une femme qui avait préféré rester dans son appartement plutôt que de s’installer avec le reste de sa famille dans un bâtiment doté d’un sous-sol plus solide a perdu huit proches d’un coup en mars lors de l’attaque contre la ville. L’aviation russe a frappé directement l’immeuble », dit-elle.

La population doit maintenant composer avec la possibilité d’une nouvelle offensive majeure des forces russes, qui ont concentré des centaines de milliers de soldats dans l’est du pays au cours des dernières semaines pour tenter de reprendre l’avantage.

Militaires et civils ukrainiens sont préoccupés, mais déterminés à tenir tête.

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Maria Avdeeva à Izioum, en septembre 2022

Les gens ont déjà fait tellement de sacrifices, ils ne peuvent faire autrement que de continuer. La Russie veut nous détruire, Poutine le dit ouvertement.

Maria Avdeeva, résidante de Kharkiv

Mme Avdeeva s’impatiente de voir arriver au pays les chars et les bombes de longue portée récemment promis par les alliés occidentaux de l’Ukraine.

« L’aide va arriver, mais le temps est crucial. Il faut qu’elle se concrétise le plus rapidement possible », dit celle qui est politologue de formation.

Andriy Zelenskyy, un aumônier qui se déplace dans le pays pour prêter son soutien aux troupes ukrainiennes, s’exaspère aussi de la lenteur relative avec laquelle les choses s’organisent.

Le calendrier de livraison prévu pour les chars Leopard 2 semble suggérer que certains pays ne sont pas pressés d’aller de l’avant alors que la situation militaire l’exige, a-t-il souligné.

« Nous continuons de lutter pour notre existence. Personne ne nous a offert d’autre option », relève le religieux, qui se dit confiant quant à la capacité des troupes ukrainiennes de contrer la poussée russe annoncée.

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Andriy Zelenskyy

On va continuer de résister. On le fait depuis un an même s’ils sont plus nombreux.

Andriy Zelenskyy, aumônier

Tout est encore possible

La concentration de troupes relevée dans l’est du pays montre bien que le président russe n’a pas renoncé à son objectif d’asservir l’Ukraine malgré les revers multiples survenus depuis le lancement de l’invasion, relève Brian Taylor, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université de Syracuse.

« Tous ses jetons sont sur la table. De son point de vue, c’est un enjeu existentiel pour son régime même si rien n’indique que son emprise sur le pouvoir soit menacée d’une quelconque façon », note-t-il.

M. Taylor note que la capacité russe de reprendre l’avantage et de conquérir plus de territoire après avoir subi des reculs embarrassants dans les régions de Kyiv, de Kharkiv et de Kherson risque d’être minée par le manque de préparation des troupes récemment conscrites et formées.

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Des flammes s’élèvent de Bakhmout, alors que des combats font rage, le 26 janvier.

L’armée russe, ajoute-t-il, n’a pas démontré par ailleurs sa capacité à mener efficacement et rapidement des opérations militaires complexes coordonnant forces terrestres et aériennes et risque de retomber dans les mêmes travers, quel que soit le niveau d’ambition affiché par le Kremlin.

La possibilité pour les forces ukrainiennes de lancer une nouvelle contre-offensive déterminante paraît également limitée, note Liam Collins, analyste militaire américain, qui doute de la capacité de la Russie et de l’Ukraine à engranger de nouvelles avancées substantielles dans un avenir rapproché.

En cédant du terrain pendant l’année, les Russes ont concentré leurs troupes et renforcé les positions sous leur contrôle. Les Ukrainiens compensent leur nombre inférieur par leur motivation accrue, leur préparation et le soutien occidental qui leur est offert, amenant le conflit vers une « forme d’équilibre », note M. Collins.

L’ajout massif de troupes par Moscou sera probablement pallié par l’envoi de nouvelles armes à l’Ukraine, ajoute l’analyste, qui s’attend à ce que le conflit dure longtemps, faute de terrain d’entente possible entre les deux belligérants.

Une solution négociée ?

Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa, note que le gouvernement de Volodymyr Zelensky avait ouvert la porte initialement à une solution négociée prévoyant un retour à la situation territoriale prévalant avant l’offensive de février 2022. En plus de la Crimée, Moscou gardait alors la main haute sur une partie du Donbass par l’entremise de milices prorusses.

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Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, prend la parole alors qu’il inspecte ses troupes dans un lieu non dévoilé, en Ukraine, le 17 janvier.

L’importance des exactions perpétrées par les troupes russes dans le pays a cependant galvanisé la population ukrainienne et ses dirigeants, qui disent aujourd’hui vouloir libérer l’ensemble du territoire national, dit-il.

Brian Taylor pense que l’objectif s’annonce difficile à atteindre. Vladimir Poutine, prévient-il, mise d’ailleurs sur la possibilité que le soutien occidental à l’Ukraine, en particulier aux États-Unis, s’effritera avec le temps en cas d’impasse militaire et lui donnera l’avantage.

L’appui de l’administration démocrate de Joe Biden s’est en fait intensifié depuis un an, note l’analyste, même si des voix s’élèvent du côté républicain pour contester l’importance de l’aide accordée.

Joshua Shifrinson, professeur de l’Université du Maryland rattaché à l’Institut Cato, un groupe de recherche conservateur, considère que le gouvernement américain surestime l’importance de la crise ukrainienne par rapport à ses propres intérêts et devrait envisager de faire pression sur Kyiv pour favoriser un accord reflétant la situation militaire actuelle.

Les États-Unis, souligne-t-il, ont notamment bien fait comprendre à la Russie par leurs actions que toute attaque contre un pays de l’OTAN susciterait une réponse musclée, limitant le risque de toute tentative expansionniste ultérieure du Kremlin dans la région.

Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace, note que cette volonté de forcer l’Ukraine à renoncer à une partie de son territoire en échange de la paix demeure largement minoritaire dans les milieux universitaires et politiques américains et n’est pas susceptible dans un avenir rapproché d’influer sur le soutien du gouvernement.

L’appétit vient en mangeant

Dominique Arel pense que les dirigeants occidentaux ont bien compris l’importance du conflit et veulent empêcher que Vladimir Poutine soit récompensé pour avoir tenté de détruire l’Ukraine en s’arrogeant le contrôle de son territoire par la force.

On dit que l’appétit vient en mangeant. D’autres tentatives d’expansion suivront s’il [Vladimir Poutine] obtient ce qu’il veut. Mieux vaut l’arrêter en Ukraine.

Maria Avdeeva, résidante de Kharkiv

Andriy Zelenskyy note que les manifestations de soutien en tout genre sont appréciées par la population ukrainienne, mais ne vont pas assez loin.

La fin du conflit, dit-il, passe par l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN de façon à décourager toute attaque ultérieure de la Russie, et les pays alliés devraient dire clairement qu’ils vont procéder en ce sens.

« Il faut une stratégie claire pour que ça se réalise. Sans ça, il n’y aura pas de paix durable. Les Russes ne nous laissent pas le choix », dit-il.

1. Lisez notre entrevue avec Maria Avdeeva, réalisée en mars 2022