L’élection pénible de Kevin McCarthy à la présidence de la Chambre des représentants a exposé au grand jour les tensions entre élus républicains. « Au fur et à mesure que [Donald] Trump perd des plumes, la compétition entre les différents courants de la droite américaine reprend », dit Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand. Le chercheur propose quatre sources pour mieux connaître ces courants.

Le rejet des élites

PHOTO AL GOLDIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Rassemblement associé au Tea Party devant la législature du Michigan, en avril 2009

Pour expliquer les tourments des républicains, il faut se pencher sur ceux des États-Unis dans leur ensemble, croit Frédérick Gagnon, qui dirige l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Publié à titre posthume en 1995, l’essai La révolte des élites et la trahison de la démocratie, de l’historien et sociologue Christopher Lasch, sur les rapports entre les classes dirigeantes et populaires, est prémonitoire pour expliquer la polarisation de la société américaine, estime le chercheur. « Ce que Lasch dit, c’est que les bien-pensants ont accaparé les institutions et ont perdu le contact avec le reste de la société américaine, en particulier les agriculteurs et les ouvriers, aux valeurs plus conservatrices. » Cette rupture a engendré une frustration et donné naissance à des mouvements populaires de droite, comme le Tea Party. L’élection de Barack Obama a galvanisé ces groupes anti-establishment, qui ont aussi bousculé le Grand Old Party, où leur influence a grandi rapidement, observe le chercheur. Le rejet des élites a en effet poussé vers la sortie les républicains plus modérés, les Republicans in Name Only (RINO), jugés eux aussi trop déconnectés du « vrai monde ». Ce qui n’a pas nui à l’avènement d’un certain Donald Trump...

La révolte des élites et la trahison de la démocratie

La révolte des élites et la trahison de la démocratie

Éditions Flammarion (réédité en 2020)

336 pages

La foi avant tout

PHOTO LYNNE SLADKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, à droite, prie pendant sa cérémonie d’investiture au Capitole de Tallahassee, le 3 janvier dernier.

La droite chrétienne est un autre courant déterminant au sein du Parti républicain, que l’ancien président Trump a su rallier pour gagner la Maison-Blanche en 2016. Avec ses mœurs discutables, « Trump n’est pas lui-même représentatif des valeurs des évangélistes, mais il leur a donné ce qu’ils voulaient, dont trois juges conservateurs à la Cour suprême », explique Frédérick Gagnon. Dans son « superbe livre » La droite chrétienne américaine (mis à jour en 2022), le professeur de civilisation américaine Mokhtar Ben Barka s’attarde aux origines de ce mouvement, à ses adeptes, à son mode opératoire et à ses rapports avec la présidence depuis quatre décennies. « C’est le meilleur livre en français sur ce courant », dit M. Gagnon. Ceux qui gagnent la confiance des évangélistes profitent d’un appui solide. « Les électeurs plus religieux ont un appétit plus grand pour l’autoritarisme, observe le chercheur. Ils sont prêts à suivre le chef sans trop remettre en question son discours. Surtout s’ils voient en lui un sauveur. » Pour séduire la droite chrétienne, certains leaders républicains se font les apôtres d’une morale très conservatrice, sur l’avortement notamment, quitte à déplaire aux plus modérés. Parmi eux, l’ancien vice-président Mike Pence et l’actuel gouverneur de la Floride, Ron DeSantis.

La droite chrétienne américaine

La droite chrétienne américaine

Éditions Du Croquant (2022)

410 pages

À droite de la droite

« On est obligé de parler de l’extrême droite quand on parle des républicains, lance Frédérick Gagnon. Elle n’est pas apparue avec Trump, mais il a flirté avec elle comme aucun autre président. » Quand un néonazi a roulé sur la foule à Charlottesville en 2017, Donald Trump a refusé de condamner l’extrême droite, soulignant qu’il y « avait du bon monde des deux côtés ». Il a ainsi « normalisé » ce courant jusque-là tenu dans les marges du Parti républicain, avance le chercheur. Donald Trump a aussi entretenu des relations controversées avec les Proud Boys et les Oath Keepers, deux milices impliquées dans l’assaut contre le Capitole en janvier 2021. Nombre d’élus républicains font désormais les yeux doux aux suprémacistes blancs, dont Matt Gaetz, un représentant de la Floride. Pourquoi ce flirt ? Les républicains ont besoin du soutien des partisans de ces groupes pour gagner des élections, répond le chercheur : « La situation n’est pas rose pour eux, ils cherchent désespérément des votes. » Le documentaire Extremism in America, diffusé en ligne (en anglais), fait un portrait – « assez objectif », estime Frédérick Gagnon – de l’extrême droite américaine, de son histoire récente et de ses motivations. Le tout en moins de 30 minutes.

Regardez le documentaire Extremism in America (en anglais)

Des trumpistes déçus

En 2016, Donald Trump a non seulement réussi à coaliser les différents segments de l’électorat républicain, dont les mouvements populistes, la droite chrétienne et l’extrême droite, mais sa « politique spectacle », avec des rassemblements dignes de shows rock, a aussi attiré des millions d’électeurs qui s’étaient montrés jusque-là peu politisés. Une prouesse rassembleuse qui a fait sa force. Or, l’étoile de Donald Trump a considérablement pâli depuis sa défaite en 2020. Les résultats décevants des candidats qu’il a appuyés aux élections de mi-mandat le montrent bien. Pour comprendre les raisons de cette désaffection, Frédérick Gagnon propose le documentaire The Game Is Up, de Melissa Jo Peltier, diffusé lui aussi en anglais sur le web. Des trumpistes y racontent pourquoi ils ont tourné le dos à l’ancien président. Donald Trump perd des appuis, donc, mais le seul candidat déclaré en vue de la présidentielle de 2024 n’a probablement pas dit son dernier mot et beaucoup de républicains refusent toujours de le critiquer, constate Frédérick Gagnon. N’empêche, estime-t-il, « le malaise que l’on a vu chez les républicains lors de l’élection de McCarthy illustre la transition que vit le parti ». Avec les primaires, les prochains mois risquent d’être riches en rebondissements. Et en tourments.

Regardez le documentaire The Game Is Up (en anglais)

Qui est Frédérick Gagnon ?

— Frédérick Gagnon est titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis et de l’Observatoire des conflits multidimensionnels et professeur au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal.

— Il a notamment publié des ouvrages sur la politique étrangère américaine, sur les relations internationales après les attentats du 11-Septembre ainsi que sur le Congrès et sur les institutions politiques des États-Unis.

— Selon lui, le Parti républicain est aujourd’hui beaucoup plus à droite qu’à l’époque des présidents Ronald Reagan et Bush, père et fils.