Rien ne semble vouloir arrêter les Iraniens, qui multiplient au péril de leur vie les manifestations contre le régime de Téhéran depuis la mort en prison de Mahsa Amini, arrêtée en septembre dernier pour port de vêtements inappropriés. Elle-même née en Iran, Hanieh Ziaei, membre associée de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand, présente quatre œuvres pour mieux comprendre les racines de cette irrépressible colère.

Le combat de Nasrin Sotoudeh

PHOTO BEHROUZ MEHRI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’avocate Nasrin Sotoudeh à Téhéran en septembre 2013. Elle venait alors d’être libérée de prison, où elle est de nouveau détenue.

« C’est la femme qui incarne le mieux la dignité humaine en Iran », dit Hanieh Ziaei à propos de l’avocate Nasrin Sotoudeh, à laquelle Jeff Kaufman a consacré le documentaire-choc Nasrin. Présenté en décembre au Cinéma du Parc, avec le concours d’Amnistie internationale, le film tourné clandestinement en Iran suit le parcours de cette avocate déterminée, d’une grande intelligence, qui croupit aujourd’hui en prison après avoir notamment défendu avec brio des femmes accusées d’avoir enlevé leur voile en public. « Ce n’est pas pour rien que le régime l’a ciblée, elle connaît très bien le système et elle a su réinterpréter des textes et la Constitution en faveur des femmes qu’elle défend », explique la chercheuse. Nasrin Sotoudeh contribue à changer les mentalités en Iran, poursuit-elle. Hanieh Ziaei pourrait « écouter pendant des heures » celle qui se bat toujours contre les injustices même derrière les barreaux, loin de ses enfants et de son mari. « Soyons idéalistes : j’aimerais tant qu’elle soit un jour à la présidence de l’Iran », rêve-t-elle.

Nasrin, de Jeff Kaufman, est offert en location, avec sous-titres français, sur de nombreuses plateformes de visionnement.

Un dessin à la fois

  • Une métamorphose iranienne, de Mana Neyestani, aux Éditions çà et là (2012)

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    Une métamorphose iranienne, de Mana Neyestani, aux Éditions çà et là (2012)

  • Une métamorphose iranienne, de Mana Neyestani, aux Éditions çà et là (2012)

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    Une métamorphose iranienne, de Mana Neyestani, aux Éditions çà et là (2012)

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Être caricaturiste dans un pays au régime liberticide n’est pas de tout repos. La publication d’un dessin de presse en Iran peut même pousser à l’exil, comme le raconte le caricaturiste Mana Neyestani dans Une métamorphose iranienne, une bande dessinée autobiographique publiée en 2012. Hanieh Ziaei, qui s’intéresse au rapport entre l’art et la politique, a déjà rencontré le dessinateur à Paris, où il vit maintenant après avoir fui son pays, faute d’y trouver la « sécurité nécessaire à la création », comme beaucoup de compatriotes victimes de la censure. Il fait de la « caricature contestataire », dit la chercheuse. « Sa source d’inspiration, c’est l’actualité iranienne, mais même s’il part de choses propres à l’Iran, il touche à des thématiques universelles, comme la question de l’homosexualité ou la liberté avec un grand L. » Si ses dessins ignorent les frontières, « il fait bien ressortir la réalité sociale iranienne, de manière imagée, et c’est là toute son intelligence et sa sensibilité d’artiste. Il a quitté l’Iran, mais l’Iran ne l’a jamais quitté ».

Une métamorphose iranienne, de Mana Neyestani, aux éditions çà et là (2012)

Consultez la page Instagram de Mana Neyestani

L’impact de la révolution islamiste

Persepolis, la bande dessinée de Marjane Satrapi devenue un film en 2007, est un « classique des œuvres des Iraniens en exil », qui raconte comment la révolution de 1979 a changé la société là-bas. L’interdiction de l’alcool, des fêtes privées ou même des jeux de cartes tout comme l’imposition de codes vestimentaires stricts : le témoignage dessiné de Marjane Satrapi, qui vit maintenant en France, montre à quel point le régime a voulu contrer l’influence occidentale et contrôler la vie des Iraniens. Et comment ceux-ci se sont débrouillés pour contourner une partie des interdits, en privé, avant – pour certains – de quitter le pays afin de redevenir libres. Relire Persepolis permet d’apprécier l’évolution des mentalités en Iran, juge Hanieh Ziaei. Épris de liberté autant que leurs aînés, les jeunes « ont cassé le silence ancestral ». « Plutôt que l’exil, les Marjane Satrapi d’aujourd’hui ont choisi d’enlever leur voile dans l’espace public », constate celle qui recommande aussi Poulet aux prunes, un autre album de Marjane Satrapi, qui donne une voix à différentes générations de femmes iraniennes.

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Persepolis, de Marjane Satrapi, en quatre tomes aux éditions l’Association (2000 à 2003)

Persepolis, de Marjane Satrapi, en quatre tomes aux éditions L’Association (2000 à 2003)

Le film, réalisé par Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi et sorti en 2007, est offert en location sur de nombreuses plateformes de visionnement.

L’égérie de la résistance

  • Forough Farrokhzad

    PHOTO TIRÉE DU SITE DES ÉDITIONS LE NOROÎT

    Forough Farrokhzad

  • Une autre naissance, de Forough Farrokhzad, éd Le Noroît (2017), 120 pages

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    Une autre naissance, de Forough Farrokhzad, éd Le Noroît (2017), 120 pages

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Morte en 1967 dans un accident de voiture à 32 ans à peine, la poétesse Forough Farrokhzad continue d’influencer la culture iranienne. Figure d’un féminisme avant-gardiste, cette divorcée fière de son indépendance « a fait la révolution avec sa propre vie », explique Hanieh Ziaei. Son œuvre, qui parle de passion amoureuse, mais aussi de justice sociale, brise le cliché de la femme passive, qui est tenace dans certains milieux en Iran. Sans surprise, « sa poésie est très controversée », ajoute la chercheuse, qui souligne aussi l’importance de son documentaire House Is Black, tourné en 1962, sur les enfants lépreux. Même morte, elle dérange en Iran. « Si vous avez envie de vous recueillir sur la tombe de Forough Farrokhzad, on va vous dire que le cimetière est fermé ou on va vous donner une mauvaise adresse », raconte d’expérience Hanieh Ziaei. La maison d’édition québécoise Le Noroît a publié en 2017 Autre naissance, un recueil de poèmes en français de cette figure de la désobéissance civile qui est devenue un modèle de la jeunesse en colère.

Autre naissance, de Forough Farrokhzad, aux éditions Le Noroît (2017), 120 pages

Qui est Hanieh Ziaei ?

  • Née en Iran, Hanieh Ziaei, membre de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand, partage sa vie entre Montréal et Bruxelles, où sa famille s’est exilée quand elle était enfant.
  • Son travail s’intéresse à la relation entre l’art et la politique, à la censure, à l’exil et à la résistance créative.
  • À ses yeux, peu importe l’issue de la crise qui secoue actuellement l’Iran, l’image du pays sera changée à jamais : « Les gens ne confondront plus le régime, islamiste, conservateur et archaïque, et la population, jeune, moderne, urbaine et éprise de liberté. »