(Boucar Diouf et Jean-Martin Fortier) Bien qu’ils aient plusieurs points communs, les chemins de Boucar Diouf et de Jean-Martin Fortier ne s’étaient jamais croisés. Les deux hommes de terre étant aussi fort habiles avec les idées et les mots, la rencontre a été fertile. Aperçu, en quatre points clés.

La terre rassembleuse

Jean-Martin Fortier et Boucar Diouf ont tous les deux réussi cet exploit : rejoindre un large public avec des sujets qui sont tout sauf racoleurs, l’agriculture à échelle humaine dans le premier cas, des enjeux scientifiques dans le second.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jean-Martin Fortier

« Tu as choisi le domaine le plus rassembleur de l’humanité : la nourriture, dit Boucar à Jean-Martin. Au Québec, on parle d’intégration. De multiculturalisme et de rencontres de cultures. La cuisine a réussi ça depuis longtemps. Découvrir l’autre par l’alimentation. C’est pour ça que ce que tu fais résonne. Parce que tout le monde se retrouve là-dedans. »

S’ils ne s’étaient jamais assis ensemble, les deux hommes se vouent une admiration mutuelle.

« Je suis Africain, poursuit Boucar. Et ce que tu fais m’émeut. Ce que tu fais me touche, parce que je suis un agriculteur, comme toi. Je viens de l’agriculture, de l’élevage. Mes parents sont encore agriculteurs. Quelqu’un qui vient du Viêtnam, de la Thaïlande va aussi se reconnaître. »

Je crois beaucoup à la multiplication des petites fermes. Plus il va y avoir de petites fermes, dans toutes les régions du Québec, plus on va être résilients pour les changements climatiques. Plus on va avoir de gens qui vont manger des aliments sains. Une culture autour de l’agriculture.

Jean-Martin Fortier

Prendre les chemins de contournement

Aussi habiles soient ces deux communicateurs, encore faut-il que le message, parfois complexe, trouve un public. Large, si possible.

« Je joue beaucoup sur le cool factor, confie Jean-Martin Fortier. Je suis coupable de ça parce que je sais que ça marche, mais il faut que ça reste vrai, authentique. Alors les gens embarquent. »

L’agriculteur au chapeau a donc pleinement conscience de la force de son image.

Assez pour l’utiliser à son avantage ?

Absolument, poursuit-il, dans ses confidences.

« J’ai même lancé une compagnie basée là-dessus ! »

Growers, l’entreprise en question, est une collection de vêtements et d’accessoires de jardinage, qui fait très bien aussi pour la ville ou le plein air.

« On met de l’avant de vrais agriculteurs, mais qui sont tellement cool, tellement beaux, poursuit Jean-Martin. C’est de la pédagogie. On les présente, avec un slogan. Je sais que les gens veulent être ça. Comme quand j’étais petit, j’écoutais le hockey et je trouvais que Wayne Gretzky était dont bien bon. Je voulais un bâton comme lui ! »

Boucar Diouf, assis à ses côtés, écoute et approuve.

Il faut trouver des chemins de contournement pour aller chercher les plus jeunes. Si le cool factoring fait partie de ce qui les touche, il faut le faire ! Moi, j’appelle ça de la pédagogie. La pédagogie, c’est l’art de ne pas prendre des autoroutes comme le fait tout le monde et de prendre des chemins de contournement, des chemins de garnotte.

Boucar Diouf

Enseigner avant tout

« Je ne suis pas un influenceur », affirme sans réserve Boucar Diouf, qui rappelle qu’il n’est présent ni sur Twitter ni sur Instagram.

« Mon objectif était juste de participer au débat social et de faire de la sensibilisation et de l’enseignement. »

« Si c’est arrivé là, je me considère peut-être comme un enseignant qui a du succès. »

Jean-Martin Fortier partage ce point de vue.

« Moi aussi, mon approche, c’est la pédagogie, dit-il. Les livres que j’écris, c’est pour donner l’enseignement. J’enseigne un master class. J’utilise ma personnalité, qui est peut-être gagnante, pour passer mon message. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jean-Martin Fortier et Boucar Diouf

Le côté sombre des réseaux sociaux

S’il y a un sujet qui a fait bondir les deux hommes, au cours de cette courte rencontre, c’est celui-ci : la dureté des commentaires sur les réseaux sociaux et la résonance que cela trouve partout ensuite, dans la société.

« L’internet est un milieu de prédation. C’est la savane africaine, image Boucar. Sauf que tu ne vois pas tes prédateurs. Ils sont tapis partout. Quand tu sais qu’il y a des prédateurs tapis, tu fais attention. Mais là... Je tire mon chapeau à ceux qui couvrent l’actualité et les débats très chauds. Surtout quand tu as des enfants. »

Les deux hommes d’idées sont d’accord : les temps sont durs pour ceux et celles qui prennent la parole.

« Ça, c’est épeurant ! lance Jean-Martin, convaincu. J’ai eu des enjeux avec ça et je trouve ça troublant. Ça m’enlève le goût de participer. De donner du mien. C’est une vague de fascisme où n’importe quoi devient une grosse histoire. »

Boucar écoute, acquiesce, poursuit. Selon lui, cette exclusion du débat s’il y a divergence d’opinions est inacceptable. « C’est tellement épouvantable comme façon de voir les choses, dit-il. On ne dit pas qu’on va s’asseoir et discuter. On te dit : toi, tu as dit ça ? Tu as écrit ça ? Tu n’as plus le droit d’exister. Et on le fait au nom de la tolérance... »

« Si j’avais commencé à faire des spectacles d’humour dans ces années-ci, dans ces conditions-ci, j’aurais abandonné tout de suite et je serais retourné en recherche, poursuit-il. Mais même là, tu ne t’en sors plus. Dans les universités aujourd’hui, tu peux faire un petit écart et on décide que tu n’es plus là. On te jette. »

Pour Jean-Martin, la situation est grave : « Ça nous inhibe à faire ce qu’on veut faire et dire ce qu’on veut dire. »

Qui est Boucar Diouf ?

  • Né à Fatick, au Sénégal, en 1965
  • Titulaire d’une maîtrise en biologie végétale de l’Université de Dakar et d’un doctorat en océanographie de l’Université du Québec à Rimouski, où il a enseigné pendant huit ans
  • Animateur à la radio et à la télévision, son spectacle Nomo Sapiens est présentement en tournée dans la province. Il signe des textes d’opinion dans La Presse et est l’auteur de 12 livres.

Qui est Jean-Martin Fortier ?

  • Né à Greenfield Park, près de Montréal, en 1978
  • A lancé en 2012 son guide pratique Le jardinier-maraîcher, aujourd’hui traduit en 10 langues
  • Pratique l’agriculture régénératrice avec sa partenaire de vie et d’affaires, Maude-Hélène Desroches, aux Jardins de la Grelinette à Saint-Armand, en Estrie
  • En 2016, l’agriculteur et entrepreneur est de l’aventure de la Ferme des Quatre-Temps, ce qui a donné naissance à la série Les fermiers présentée à UnisTV