Cinq heures par jour, cinq jours par semaine. C’est le temps que Jean-Charles Lajoie consacrera à l’animation d’émissions sportives, cet automne. Le matin, à BPM Sports. Le soir, à TVA Sports. Une charge de travail étourdissante. Du rarement vu dans les médias au Québec.

C’est d’ailleurs pour parler d’emploi que nous nous sommes donné rendez-vous chez Toi, Moi et Café, rue Laurier Ouest, à côté du studio de BPM Sports. Bien que son émission matinale soit terminée depuis une heure, Jean-Charles Lajoie travaille encore. Il est attablé avec quatre collaborateurs pour préparer les chroniques des prochains jours. « Je viens te rejoindre dans un quart d’heure », s’excuse-t-il poliment.

Exactement 15 minutes plus tard, il me retrouve sur la terrasse, avec un gros bol de latte. Ces jours-ci, explique-t-il, sa vie est réglée dans les moindres détails. « Comme sur une base militaire. » Le matin, radio. Le midi, entraînement. L’après-midi, sieste. Le soir, télé. Trois personnes l’aident à gérer son horaire, ses affaires et ses réseaux sociaux.

« Je suis devenu une très petite PME, mais une PME quand même ! », lance-t-il fièrement.

Le succès lui sourit. Or, ce ne fut pas toujours le cas. C’est ce qui rend son regard sur le marché du travail encore plus pertinent.

Comme bien des gens de la génération X, Jean-Charles Lajoie a longtemps cherché sa place. Pas facile, sans diplôme collégial, au début des années 1990, lorsque le taux de chômage atteignait 14 %.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jean-Charles Lajoie

J’ai fait 100 jobs. J’aurais aimé aller au cégep ou à l’université à temps plein. J’ai fait les deux, à temps plus que perdu. Dans les deux cas, j’ai abandonné pour travailler.

Jean-Charles Lajoie

Pas par nécessité, insiste-t-il, même s’il a grandi dans un milieu modeste. « Je voulais m’offrir du bonheur. Ça a commencé en passant le journal pour me payer une poutine le vendredi. Ça s’est poursuivi avec des jobs plus qu’à temps plein, au pro shop de l’aréna où je travaillais sans relâche, par exemple, pour être capable de m’habiller. Pour maintenir le standing que j’avais établi sur les scènes d’impro, de théâtre ou à la radio étudiante. »

Très jeune, il a compris qu’il possédait un don pour la communication. À l’adolescence, il s’est payé un cours privé d’animation. Son prof – Yves Bombardier, aujourd’hui son patron à BPM Sports – lui a trouvé un stage à la télévision communautaire de Granby.

« À 16 ans, j’animais une émission hebdomadaire de sports. À 17 ans, j’ai obtenu un contrat d’un an pour être journaliste à la radio locale. Quel cadeau extraordinaire ! Je gagnais 336 $ net par semaine. J’avais un camion fourni. Une carte prépayée pour mettre de l’essence. L’après-midi, j’allais patiner à l’aréna avec les joueurs des Bisons de Granby. Tout allait bien. »

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Jean-Charles Lajoie

Sauf qu’au terme du contrat, il s’est retrouvé devant « à peu près rien ». Il a enchaîné les métiers. Portier. Animateur de partys. Gérant de bar. Producteur de spectacles. « Je produisais aussi des matchs de football des écoles secondaires de Granby à la télévision. Pour financer le projet, je vendais des cartes professionnelles, devenues des commerciaux de 30 secondes, qu’on tournait et montait. Ça n’avait pas de bon sens. J’ai fait ça pendant trois ans. »

Puis il est parti faire la tournée des radios régionales. Rouyn. Drummondville. Trois-Rivières. Sherbrooke. « Ma job, c’était de faire des transitions. Du genre : on écoute La maîtresse de tes rêves, de Nancy Martinez. Veux-tu un t-shirt ? » Toujours contractuel. Jamais syndiqué. Ses conditions de travail étaient précaires. « En Abitibi, je ne gagnais que 19 500 $ par année », confie-t-il.

« Pendant 10 ans, je me levais le lundi en me disant : ça me prend 800 $ pour jeudi, et je ne les ai pas. Il fallait payer les factures, le loyer, mettre du pain sur la table. Le lundi, je partais gosser au pic et à la pelle pour trouver l’argent. Je n’y arrivais pas tout le temps. Des gens m’ont prêté des sous. J’ai honoré mes créances. »

Aujourd’hui, il gagne très bien sa vie. Il continue néanmoins de déplorer la disparité « trop importante » entre ceux qui commencent dans le métier et ceux qui ont atteint un certain standard.

« Ce n’est pas normal que dans une boîte, tu aies des gens payés 40 000 $ et d’autres, 400 000 $. […] Les deux sont aussi importants, sauf sur un principe : les revenus. Aucun patron ne donnera 400 000 $ à un contractuel qui ne les vaut pas. Ça, ça me va. Mais il faudrait réussir à élever les standards de la couche [qui gagne] 40 000 $. »

***

Pendant deux décennies, Jean-Charles Lajoie a vécu dans l’incertitude et la précarité. Sa victoire au concours Sports Académie (CKAC), en 2006, a tout changé. À 35 ans, il obtenait enfin un micro d’envergure, avec tous les avantages connexes. Cela lui a permis, en 2016, de devenir propriétaire d’une maison pour la première fois de sa vie.

Aujourd’hui, bien installé à BPM Sports et à TVA Sports, il fait figure de vétéran, aux côtés de jeunes animateurs et journalistes dans la vingtaine, souvent fraîchement sortis de l’école. Les envie-t-il ? Aurait-il souhaité, lui aussi, avoir une chance sur un réseau national à 20 ou 25 ans ?

« Autres temps, autres mœurs, laisse-t-il tomber. Ça ne fonctionnait pas comme ça dans mon temps. C’est correct. Je ne regrette rien. À 20 ans, je n’avais pas le recul, la maturité, ni l’éducation pour réussir à Montréal. »

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Jean-Charles Lajoie

Mes jeunes collègues, je les trouve beaux. Libres. Chanceux. Ils ne doivent rien à personne. Ils sont confiants. Solides. Ils ont nettement reçu une éducation plus ouverte. Ça les rend plus forts.

Jean-Charles Lajoie

Mais oui, reconnaît-il, il s’est déjà « coltaillé au quotidien » avec des collègues inexpérimentés « qui sortaient de l’école, ou qui n’étaient pas allés à l’école ». Surtout lors des premières années du 91,9 Sports, où tout était à construire, avec des budgets modestes. « J’étais plus un prof d’université qu’un animateur et producteur au contenu de mon émission. Cela a engendré certaines frictions. Rien que le temps ne peut pas arranger. Rien qui dépassait les bornes. Mais j’étais très exigeant, car je l’étais aussi avec moi. »

Aujourd’hui âgé de 51 ans, Jean-Charles Lajoie confie être « toujours exigeant, mais différemment ». Il affirme aussi s’être débarrassé du syndrome de l’imposteur, qu’il a traîné comme un boulet jusqu’au milieu de la quarantaine, et même un peu lors de ses débuts à TVA Sports. « Je suis heureux où je suis maintenant », dit-il avec un grand sourire. « Oui, je suis au monastère 38 semaines par année. Sauf que ça me laisse 14 semaines de congé par année. Sérieux, qui vais-je faire brailler ? »

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Jean-Charles Lajoie

Et combien de temps se voit-il mener ce rythme de vie effréné ?

Probablement cinq ans, après quoi il a l’intention de ralentir. « C’est moi qui ai décidé de le faire pour les cinq prochaines années. J’avais le libre choix. C’est un grand privilège. Dans la vie, tellement de gens ne choisissent pas. »

Mais tu as travaillé fort pour y arriver, lui fais-je remarquer.

« Oui. Et je suis très à l’aise avec ça. Je n’ai rien volé à personne. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Nous sommes indissociables. C’est un amour fou. Mais je n’en prends qu’un par jour. Un latte, avec un peu de miel d’Anicet, édition Été. Une bonne lampée, c’est bon pour la gorge. Un peu de sirop d’érable et de cacao sur le dessus aussi.

Ma ville préférée : Je ne l’ai pas encore visitée.

Un invité que j’aurais aimé interviewer : J’aurais aimé sortir du jus de Maurice Richard, ce que personne n’a réussi à faire.

Un personnage que j’aurais aimé jouer : Quand j’étais plus jeune, Pierre Lambert, dans Lance et compte. Aujourd’hui ? Le DG du National, Gilles Guilbault [rires].

Qui est Jean-Charles Lajoie

  • Né le 7 août 1971 à Granby
  • Directeur artistique du festival Musique en vue, de Cowansville, jusqu’en 2015
  • Il vient de revenir à BPM Sports, anciennement 91,9 Sports, après une absence de quatre ans. Il anime l’émission matinale, Premier conteur.
  • Il anime JiC, à TVA Sports, à 17 h les jours de semaine.