Comment ça va, dans nos écoles ? En répondant franchement à cette question de Patrick Lagacé, les artisans du milieu de l’éducation soulignent ce qui devrait être maintenant à l’agenda, dans l’intérêt de nos enfants.

Depuis des années, j’écris sur l’école, parce que c’est une institution cruciale pour les individus et pour la société.

Depuis des années, j’écoute donc ceux et surtout celles qui travaillent dans nos écoles me raconter leur quotidien. À hauteur d’enfants et d’adolescents, dans les classes, les profs sont les mieux placées pour nous expliquer ce qui fonctionne dans nos écoles… ou pas.

Pour ce dossier, j’ai donc lancé sur Facebook un appel aux artisans de l’école en leur demandant simplement de me parler de leur quotidien, à la veille de la rentrée 2022-2023. J’ai reçu des dizaines de messages, qui tracent un portrait implacable de la réalité de l’école québécoise, de nos jours.

Et ce que ces profs m’ont raconté, ça recoupe ce que j’entends à propos des maux de l’école depuis des années. C’est un peu le jour de la marmotte, en éducation, les mêmes enjeux reviennent année après année, sans vraiment se régler. Les profs que je cite ici, presque tous anonymement, pour les protéger de représailles, me disent à peu près ce que j’entendais il y a sept, cinq et trois ans.

L’école publique a été négligée pendant des années, des décennies, même. C’est une dérive qui implique tous les partis qui nous ont gouvernés depuis longtemps.

On en voit les conséquences, aujourd’hui, à plusieurs égards : écoles vétustes, pénurie de profs et de spécialistes (orthopédagogues, orthophonistes, etc.), des élèves qui « passent » année après année sans maîtriser la matière, pour ne pas faire mal paraître les commissions scolaires, les directions d’école et les profs…

Au-delà du spin politique, la réalité sombre : l’école ne va pas bien. On peut blâmer la Coalition avenir Québec, qui est aux affaires depuis 2018. Mais il ne faut pas oublier chaque parti qui nous a gouvernés depuis une génération.

Il ne faut pas oublier, non plus, que notre indolence collective face à l’état de l’école a permis à bien des gouvernements de maltraiter l’école sans en payer le prix politique.

En lisant ces témoignages de nombreux artisans (profs, directrices, orthophonistes, etc.), on comprend mieux ce qui devrait être une priorité gouvernementale en éducation. De la (non) formation des profs à l’implication des parents en passant par le soutien aux élèves en difficulté, ce dossier aborde les grands tracas des profs, en 2022.

J’en profite pour dire aux artisans de l’école québécoise ce que je tente de leur dire le plus souvent possible : merci pour ce que vous faites.

Des profs qualifiés

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Depuis des années, les enseignants « non légalement qualifiés (NLQ) » sont appelés en renfort pour pallier le manque de profs. Le recours aux NLQ a été mentionné par plusieurs profs qui m’ont écrit récemment : ce recours vient avec son lot de tensions et de frustrations.

Maude, enseignante au secondaire, sur l’afflux d’enseignants NLQ dans les écoles : « La Loi sur l’instruction publique exige que les jeunes de moins de 16 ans soient à l’école. Mais n’exige-t-elle pas également qu’ils reçoivent un enseignement DE QUALITÉ ? Ce n’est clairement pas le cas en ce moment. On est déjà essoufflés par l’ajout de tâches connexes à l’enseignement, par le manque de ressources pour les élèves et voilà qu’on est rendus à montrer à de gentils volontaires comment enseigner. Vite, vite, sur le coin d’un bureau. Entre deux cloches. »

Julie, enseignante en Abitibi : « J’ai souvent mal à ma profession, car je vois n’importe qui venir enseigner dans la classe voisine. Voudrais-je me faire opérer par un mécanicien, à l’hôpital ? Je suis heureuse de travailler dans mon école. Par contre, ce que j’entends des écoles voisines me glace le sang. Le parent qui pense qu’il envoie son jeune en pensant qu’il y apprend, il ne sait pas ce qui se passe. »

Mélanie, directrice d’école dans le 450 : « Plusieurs permanences n’ont pas été comblées. Les listes de réserve sont vides. Vais-je avoir des enseignants pour tous les groupes ? Nous allons embaucher des NLQ, mais c’est loin d’être toujours gagnant. » Elle dissipe un peu la grisaille de son message, en conclusion : « J’ai enseigné plus de 20 ans avant de passer à la direction. J’adore mon travail. Mais tout est désormais plus difficile pour tout le monde. »

Nancy, enseignante au primaire : « Notre cher ministre se vante que nos écoles ont traversé la pandémie sans bris de service. Il vit dans quel monde ? Des classes sans enseignant, dans lesquelles on place un adulte sans qualification, c’est un bris de service. Je ne critique pas ces personnes. Mais malgré leur bonne volonté, ce ne sont pas des enseignants. »

Marie, enseignante : « Dans mon centre de services scolaire, de nombreux contrats d’enseignants et d’éducateurs sont non comblés, même chose pour les professionnels de soutien, comme les orthopédagogues. Autant au primaire qu’au secondaire, le manque de personnel est criant. »

Des salaires à la hauteur

Le gouvernement du Québec a bonifié l’échelle salariale des enseignants. Mais pour occuper les postes non pourvus par des enseignants brevetés, les centres de services scolaires ont recours à des enseignants « non légalement qualifiés »… qui ont l’impression de se faire considérer comme du cheap labour.

Marie-Pier, 33 ans, a une formation scientifique. Elle a fait de la suppléance l’an dernier. Elle a adoré. « Pour la rentrée, l’école secondaire m’a offert une tâche à 100 %, en sciences. J’étais contente, je me trouvais chanceuse ! J’ai un parcours atypique, mais j’étais prête à mettre les efforts pour être bonne et pertinente. Mais j’ai appris que j’allais être payée entre le 1er échelon (46 527 $) et le 3e (52 954 $). Avec mon expérience en science, avec mes diplômes, je trouvais ce salaire insensé. Je n’ai pas eu le choix de refuser. »

Isabelle, enseignante de français au secondaire depuis deux ans. Comme Marie-Pier, parcours atypique, 20 ans comme rédactrice au privé, maîtrise en études françaises, elle en est à mi-parcours dans sa maîtrise qualifiante pour devenir prof, en plus d’avoir enseigné au cégep : « En décidant d’aller enseigner, je suis passée de 90 000 $ par année à 60 000 $. On m’attribue le 5e échelon seulement. »

Des parents impliqués… et respectueux

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

La relation prof-parents est une relation délicate, qui peut rapidement tourner au vinaigre. Des conflits de personnalités peuvent teinter cette relation. Bien sûr, le phénomène est difficile à quantifier, mais les enseignants trouvent que de plus en plus de parents sont de plus en plus chicaniers, prompts à défier l’autorité et l’expertise des enseignants… ce qui sape leur autorité auprès des élèves. Ils notent aussi une forme de désengagement chez certains parents.

Caroline, enseignante au secondaire : « Je me suis fait accuser d’être trop exigeante, même si j’ai baissé mes attentes pendant l’école à distance, car je savais que les élèves détestaient ça. Des élèves n’ont pas les acquis depuis la 5e année du primaire, mais pour des parents, c’est ma faute si leur enfant stagne. Un parent était tellement en furie que je devais tenir le téléphone à cinq pouces de mon oreille. »

Céline Piché, enseignante : « On a peur des parents. Plusieurs collègues n’écrivent pas aux parents quand un problème survient. On minimise, c’est plus simple. Des parents réagissent mal quand on ‟attaque” leur progéniture : ‟Comment avez-vous osé confisquer le cellulaire de mon fils !” Un autre m’a déjà dit : ‟Est-ce si mal de rire ?”, parce que j’avais changé de place son enfant qui parlait et riait avec son voisin. On peut rester marqué, quand un parent nous rentre dedans… »

Delphine, enseignante : « La plupart des parents sont merveilleux. Mais ceux qui nous contactent le plus sont les parents-rois, qui croient que tout leur est dû et, surtout, que leur enfant ne peut rien faire de mal. Comme son parent l’excuse, l’enfant se croit maintenant tout permis. Les rencontres avec ces parents-rois peuvent finir avec des insultes. La pandémie a eu ceci de bon : on pouvait leur raccrocher au nez, en cas de crise du bacon. »

Stéphanie : « Depuis plus de 10 ans, on constate une hausse des troubles de langage. Plusieurs parents et enfants sont tellement devant des écrans que les échanges entre eux sont pratiquement inexistants. Les enfants ont tellement de retard qu’on doit adapter toutes nos pratiques pour cette nouvelle réalité : les parents ne racontent plus d’histoires à leurs enfants… À 10 ans, ils ne connaissent pas le mot ‟minuscule”. »

Des moyens pour enseigner

Les obstacles à un enseignement donné avec sérénité sont nombreux. De l’état des écoles au manque d’appui d’une direction débordée par des tâches administratives dont on peut remettre en question la pertinence en passant par la difficulté d’enseigner à des enfants qui « passent » d’un niveau à l’autre sans maîtriser les acquis, les profs en ont long à dire sur ce qui se dresse entre eux et leur métier… enseigner.

Une prof de maths au secondaire : « Cette année, TOUS les locaux de l’école seront occupés, par manque de place. Depuis deux ans, la bibliothèque est une classe ; le salon étudiant est un local de retrait, la salle de lavage, le bureau des travailleuses en éducation spécialisée. Nouveauté : le local informatique sera transformé en classe et deux de nos classes seront dans le centre communautaire adjacent… »

Mathilde, enseignante, ne pensait jamais un jour défendre sa direction d’école : « Je ne compte plus le nombre de directions que j’ai vu passer, en 5e secondaire. Pour la direction, le 5e, c’est colossal : activités de finissants, examens ministériels, motivation des élèves, consommation, intimidation… En plus de toutes les tâches administratives que le centre de services scolaire leur impose. Ça fait que les directeurs sont rarement sur le plancher. Ils ont des formations, des réunions pendant les heures de cours. Quand un élève ne va pas bien, qu’il a besoin de services, la direction s’en occupe parfois une, deux ou trois semaines plus tard… voire jamais. »

Delphine : « Si l’école était importante, nous aurions moins d’élèves par classe et nos élèves auraient accès aux services dont ils ont besoin. »

Marie est TES, technicienne en éducation spécialisée, elle offre l’un de ces « services » évoqués par Delphine. Une TES intervient en appui aux enseignantes, auprès d’élèves en crise, par exemple : « Je trouve toujours bien drôle d’entendre parler de pénurie de personnel : il faut des années avant d’obtenir un poste à temps plein. On se fait offrir des miettes de pain par les centres de services scolaires. Quand tu te fais offrir un total de 14,75 heures par semaine, ça ne donne pas le goût de rester. Ce sont les jeunes qui écopent : si je pars, les jeunes vont continuer de mal aller, ce qui va épuiser encore plus les profs… qui vont partir. »

Judith, enseignante en 3e année : « L’an passé, ma direction m’a donné un formulaire pour que j’y inscrive mes besoins matériels. J’ai demandé du matériel de manipulation en mathématiques (réglettes, cube-unité, jeux de table). À ce jour, je n’ai encore rien reçu. »

Karina, enseignante : « Plusieurs de nos écoles sont dans un état lamentable. Vieilles et désuètes, sans circulation d’air, fenêtres sans moustiquaires ; locaux trop chauds en été, parfois trop froids en hiver. La honte. La direction, elle, est bien confo dans son bureau climatisé. »

Céline Piché, enseignante : « Les élèves aujourd’hui sont peu investis. Tout est trop facile. Et quand on échoue, on passe pareil. C’est pire depuis la pandémie. L’élève finit à 54 % ? On l’envoie au niveau supérieur en souhaitant qu’il se mobilise. Pour compenser, on lui donne des cours d’appoint… Mais qui va les donner ? J’ai donné ces cours, ça fonctionne rarement : une heure de plus de français quand tu as ta journée dans le corps, c’est pas gagnant. »

Mathilde, enseignante : « Sujet tabou : les cours d’été. Pourquoi des élèves qui échouent passent haut la main, en cours d’été, année après année ? En français 5e secondaire, il n’est pas rare que j’aie des élèves qui n’ont jamais passé un cours de français depuis le secondaire 1. Du 50-55 %, mais même dans les 30-40 %. Pourtant, ils finissent le cours d’été avec 70-80 et même 85 %. On n’aide ainsi personne, ni l’élève qui conserve d’énormes lacunes ni l’enseignant qui doit composer avec des élèves extrêmement faibles… »

Des élèves à soutenir (réellement)

Les élèves en difficulté ne sont pas des élèves inintelligents. La plupart ont un excellent potentiel scolaire… À condition d’être aidés. Cette aide, c’est ce qu’on appelle « l’adaptation scolaire ». Quand on les a intégrés dans des classes ordinaires, on avait promis de les aider avec les ressources de l’adaptation scolaire : logiciels spéciaux, appui d’orthophonistes, d’orthopédagogues, etc. Mais ces ressources d’adaptation scolaire ont été les premières sacrifiées quand, au fil des décennies, Québec a imposé des compressions aux commissions scolaires. L’intégration sauvage de ces élèves dans des classes ordinaires est un fardeau qui écrase les enseignantes.

Marie-Claude, orthopédagogue : « L’une des premières choses qui ne fonctionnent pas est le classement des élèves. Le ministère de l’Éducation veut à tout prix l’intégration des élèves en difficulté, mais nous n’avons pas les ressources pour les soutenir en classes régulières. »

Delphine, enseignante, à propos des « plans d’intervention » qui encadrent (sur papier) les élèves en difficulté en classe ordinaire : « Quand tu as 14 plans d’intervention dans une classe de 28, ça fait pas mal de choses à retenir. »

Andréanne, orthopédagogue : « Les services aux élèves ne sont pas à la hauteur des (grands) besoins. On ferme des classes d’adaptation sous la belle théorie de l’inclusion, sans donner l’aide nécessaire aux profs pour soutenir ces élèves. L’enseignante est laissée à elle-même. »

Caroline, enseignante au primaire depuis 13 ans, toujours amoureuse du métier… malgré tout : « Cette année, pas de TES. On nous dit : ‟Arrangez-vous entre collègues pour aller chercher celui qui menace les autres ou accueillez des élèves dérangeants des autres classes dans la vôtre.” Et : pas d’orthophoniste… Malgré nos trois classes d’adaptation du langage. »

Isabelle, mère d’une enfant du primaire qui vit avec le syndrome Gilles de la Tourette : « Ma fille m’a mentionné à plusieurs reprises l’an dernier que Madame A. est encore sortie dans le corridor pour pleurer. J’ai su d’autres parents et de membres de l’équipe-école que sa classe était particulièrement difficile, mais qu’il était impossible d’avoir plus d’aide de professionnels : pas de ressources. »

Céline Piché : « Notre tâche est trop lourde. On a trop de trucs qui ne sont pas de l’enseignement : réunions d’information, plans d’intervention à compléter, surveillance de corridor, comités de toutes sortes… »

Julie, enseignante au primaire depuis 23 ans, raconte le parcours de la combattante pour aider les élèves en difficulté : « Je me suis battue, j’ai demandé des services, des évaluations, de l’argent, de l’appui, j’ai redemandé, relancé, quêté, je me suis fâchée, relancé encore, rempli des demandes de papiers, fait des réunions, d’autres réunions… En 2019, j’ai été convoquée à une autre réunion durant mon temps ‟libre” pour parler encore du même élève mal classé, allophone et probablement déficient intellectuel qu’on voulait tout de même mettre dans ma classe déjà pleine et sans services. Je me suis subitement mise à pleurer, pleurer et pleurer. »

Le dévouement des artisans de l’école québécoise, dans des conditions extrêmement difficiles caractérisées par des manques de toutes sortes, est quand même digne de mention.

Je termine avec ce témoignage d’une mère :

Marie-Josée Samson, mère d’une adolescente, à l’école secondaire de Mirabel : « Sylvain Coursol, le TES, et Jean-François Thibeault, le prof de maths, ont littéralement sauvé le secondaire de ma fille. Elle avait toutes sortes de difficultés. Elle était sur le bord de l’échec, en voie de redoubler. Mais M. Coursol ne l’a jamais lâchée, il lui parlait régulièrement, je pouvais communiquer avec lui sans problème. Il a même transformé des périodes de retenue en périodes d’étude, pour l’aider pour les examens ministériels. M. Thibeault, le prof de maths, a donné à ma fille de la récupération, le matin, avant les cours. Merci ! Ils n’étaient pas obligés de faire ça. Ma fille va commencer son secondaire 5. Des M. Coursol et des M. Thibeault, il y en a plein la province. »