Cet été, Contexte invite ses lecteurs à des tête-à-tête qui provoquent la réflexion. Chaque semaine, l’un de nos chroniqueurs anime une discussion entre deux personnalités autour des moments fondateurs de leur vie. Cette semaine, Mario Girard explore la bienveillance avec Jean-Marie Lapointe et Francis Reddy, deux artistes qui l’ont intégrée dans leur vie depuis longtemps.

Quand on m’a proposé d’explorer les moments marquants d’une vie avec deux invités, j’ai tout de suite pensé à Francis Reddy et à Jean-Marie Lapointe. Ces deux hommes ont en commun de cultiver le sens de la bienveillance. Et ça me fascine.

J’écoute le premier à la radio et je regarde les séries documentaires du second en recevant des charges similaires de bonté, de tolérance et de générosité. Mais en bon journaliste, j’ai tout de même voulu savoir si ces radiations positives étaient vraies ou exagérées.

Étais-je en face de ce qu’on appelle dans le milieu artistique des « faux fins » ? Des gens de leur entourage me l’ont confirmé : Francis et Jean-Marie sont dans la vie exactement ce qu’ils reflètent dans le prisme des médias.

Pour comprendre ce qui a influencé leur parcours, je les ai donc réunis sur la terrasse d’un café. Dès que le trio fut formé, le soleil a fait un tour sur lui-même. Pris isolément, ces deux gars déplacent de l’air. Imaginez quand on les a tous les deux devant soi.

Au bout d’une minute, j’ai découvert que mon idée de les réunir n’était pas farfelue, car Francis et Jean-Marie sont des amis de longue date. Cela remonte au groupe Alex (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). Cette formation du début des années 1980 a rassemblé Jean-Marie Lapointe et Frédéric Reddy, le frère de Francis.

« Comme on a été finalistes du concours L’empire des futures stars, on a eu un contrat de disque avec la maison Isba, raconte Jean-Marie. Ils venaient de signer avec Mitsou. Je peux te dire qu’on est passés dans le beurre. » Plus tard, il y a eu la très populaire émission Chambres en ville qui a contribué à faire connaître ces deux comédiens du grand public.

C’est à cette époque que Jean-Marie rencontre le père de Francis et sa bonté légendaire. Il n’en fallait pas plus pour que l’on s’interroge sur les origines de la bienveillance. Porte-t-on cela en nous depuis la naissance ? Le devient-on à la suite d’expériences ? Reçoit-on cela en héritage ?

« Mon père avait une telle bienveillance qu’il avait du mal à l’assumer, dit Francis Reddy. C’est sûr que j’ai tiré quelque chose de ça. »

Il se souvient avec précision d’une conversation qu’il a eue un soir avec son père.

Il vendait des emballages et il était mauvais vendeur. Quand il rentrait tard du travail, il mangeait seul. Une fois, je lui ai demandé s’il avait eu un contrat. J’ai eu droit à un regard dense. Il m’a dit : “ Ce n’est pas important, ça. L’important, c’est que j’ai rencontré un chic type. ” C’est venu me confronter. J’ai ensuite regardé mon père différemment. Quand mes amis me parlent de lui, ils me disent qu’en sa compagnie, ils se sentaient importants.

Francis Reddy

Jean-Marie Lapointe est totalement d’accord avec ça. « Il était tellement doux. Il m’emmenait dans son jardin manger ses concombres et on discutait. C’est à travers des gestes comme ça qu’il créait des rencontres. »

Le fils de Jean Lapointe croit aussi que la bienveillance peut venir d’abord des parents. « Mon père et ma mère ont bu. Ce ne sont pas des alcooliques dans leur nature profonde. Ce sont des êtres humains aimants et bienveillants qui ont eu un handicap ou une maladie de dépendance. »

C’est à travers les gestes que son père l’a amené à faire pour La Maison Jean Lapointe que le jeune Jean-Marie a découvert les bienfaits du don de soi. « Il y a aussi eu ma tante Cécile qui était religieuse. Elle était une vraie mère Teresa. »

Faire éclore la bienveillance

Bien sûr, il y a les parents et le cadre dans lequel on grandit. Mais Francis Reddy et Jean-Marie Lapointe demeurent persuadés que ce sont les expériences de la vie qui font éclore la bienveillance qui se trouve au fond de chaque être humain. « Je crois sincèrement que tout le monde porte ça en lui, dit Francis. Ça ne se peut pas que tu partes dans la vie sans cet atout et que ça ne naisse jamais. »

Jean-Marie renchérit en racontant la fois où, lorsqu’il était jeune pensionnaire, l’institutrice lui a demandé de partager son lunch avec un camarade qui n’avait rien à manger. « Mon premier réflexe a été de dire non, car j’avais faim. Ç’a été suivi d’une peine. Il y a alors eu un switch. J’ai partagé mon sandwich avec ce garçon. La joie que j’ai ressentie à ce moment-là, c’est indescriptible. »

Et le voilà qui se lance dans une fascinante explication des effets physiologiques de la bienveillance. « Faire ce genre de geste déclenche de la sérotonine, l’hormone du bonheur. Nous sommes tous les trois sur cette terrasse. Imaginons qu’il y a une personne en situation d’itinérance qui quémande. Un gars s’arrête et lui donne un muffin ou de l’argent. Ce gars-là va recevoir une shot de sérotonine. Et nous qui regardons cette scène aussi. »

Vivre le moment présent

Les problèmes de dépendance et de troubles alimentaires qu’a connus Jean-Marie Lapointe sont aujourd’hui au service des causes qu’il défend. « Ma capacité à ressentir la souffrance de l’autre, c’est aussi ma propre capacité à me ressentir moi, à donner un sens à ma souffrance, à mes épreuves. Tu ne fais pas du bénévolat pour guérir. Il ne faut pas le faire dans ce but-là. Ça se fait tout seul. Je ne suis pas la souffrance de l’autre, mais je suis capable de la ressentir. »

Francis Reddy, qui a l’habitude d’être souvent en retard, insiste sur l’importance de savourer le moment présent. « La bienveillance me procure le sentiment d’être réellement avec l’autre. Quand je suis avec quelqu’un, je suis vraiment avec cette personne. Quand j’arrive devant un lac, l’hyperactif que je suis disparaît. Je mords dans cet instant. »

Jean-Marie Lapointe, qui a participé à plusieurs documentaires qui abordent des enjeux de société, est également porte-parole pour diverses causes, dont le Défi sportif AlterGo, pour les personnes ayant des handicaps ou des limitations. Et comme si ça n’était pas suffisant, il fait régulièrement du bénévolat à la Mission Bon accueil et à la Maison du Père.

Quant à Francis Reddy, il a été durant de nombreuses années l’un des piliers du téléthon Opération Enfant Soleil avec Marie-Soleil Tougas, puis avec Patricia Paquin.

Ces univers leur font voir des choses parfois difficiles.

« J’étais un petit garçon avec une santé fragile », dit Jean-Marie.

J’ai souvent été hospitalisé. Je me souviens du regard de pitié que mes parents posaient sur moi et je détestais ça, car j’avais l’impression de les inquiéter. Quand j’ai commencé à faire de l’accompagnement en soins palliatifs, j’ai décidé que je n’aurais pas ce regard. Tu n’accompagnes pas la mort, tu accompagnes la vie. Ton rôle est de faire ressortir la vie de ces gens.

Jean-Marie Lapointe

Francis Reddy a un jour pris la décision d’arrêter de faire le téléthon, car cela prenait beaucoup de place dans sa vie aux dépens des membres de sa famille. « C’était rendu que je scrutais les budgets en pédiatrie dans les hôpitaux. Quand tu réalises que 39 % d’un budget en pédiatrie provient du téléthon, tu te dis que c’est pathétique. Le fameux « Québec amoureux fou de ses enfants », c’est de l’ostie de marde. Il faut faire un téléthon pour offrir une couverture à jaunisse à un enfant dans un hôpital de La Tuque. »

Pendant les années où il animait le téléthon, Francis Reddy a rencontré un nombre incalculable de jeunes malades. Il a dû apprendre à se protéger. « Je me disais constamment que ce n’était pas à moi que ça arrivait. Je préférais garder mon énergie pour être à l’écoute. »

Bienveillance et spiritualité

Est-ce que la bienveillance passe nécessairement par une certaine forme de spiritualité ? La question interpelle hautement Jean-Marie Lapointe et Francis Reddy. « Ce n’est pas nécessaire, répond le premier. Sauf que lorsqu’on se met à analyser la bienveillance, on se rend compte qu’on y retrouve de la bonté, de la générosité et d’autres valeurs qui incarnent la spiritualité. »

Il y a plusieurs années, Jean-Marie Lapointe s’est tourné vers le bouddhisme, une religion qui convient parfaitement à ses valeurs. « Je crois qu’il faut rester humble dans sa démarche, dit-il. Je n’ai pas à porter de robe ou de signes. Je n’ai rien à vendre. Cette démarche ne regarde que moi. Les gens qui écoutent attentivement mes propos vont toutefois découvrir le bouddhiste en moi. Est-ce que cela m’a nui que je le dise ? Peut-être, mais c’est secondaire pour moi. »

Francis Reddy trouve difficile le regard que certaines personnes posent en ce moment sur les religions. « Je me souviens d’une conseillère financière musulmane chez Desjardins à qui je disais que le jugement des gens était parfois dur. Elle a eu les larmes aux yeux. Elle m’a expliqué que ça faisait 15 ans qu’elle tentait de prendre sa place dans son milieu de travail et que tout cela pouvait disparaître d’un seul coup. Ce qui compte, c’est que tous puissent se sentir bien dans ce qu’ils sont. »

Le comédien et animateur insiste sur un aspect de la vie qu’il a toujours trouvé important : les rituels.

J’adore ces moments de rassemblement ou ces évènements qui marquent le temps. Je déplore qu’on laisse tomber ça.

Francis Reddy

Je ne pouvais pas les quitter sans leur demander si, parfois, ils en avaient marre d’être perçus comme d’éternels bienveillants. « Ce qui peut être lourd, c’est le sens péjoratif de la gentillesse, dit Francis. Parfois ça me fatigue qu’on dise de moi que je suis gentil, car j’ai l’impression que je ne suis que ça. Je peux aussi être en colère et éprouver toutes sortes de sentiments. »

Jean-Marie sert alors cette phrase d’un homme qu’il a beaucoup aimé, Guy Corneau : « Lorsque nous mettons des mots sur les maux, lesdits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits. »

J’ai quitté ces deux gars et j’ai marché longuement dans les rues de Montréal. Cette discussion m’avait fait beaucoup de bien. Ah ! et puis, aussi bien vous le dire : j’ai tenu à rencontrer Francis Reddy et Jean-Marie Lapointe d’abord pour moi. Mais comme je tente de cultiver la bienveillance, je l’ai fait aussi pour vous.

Les saisons de Francis, de retour à l’automne sur Ici Musique

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