Cet été, Contexte invite ses lecteurs à des tête-à-tête qui provoquent la réflexion. Chaque semaine, l’un de nos chroniqueurs anime une discussion entre deux personnalités autour des moments fondateurs de leur vie. Cette semaine, Marc Cassivi anime une rencontre entre Catherine Fournier, mairesse de Longueuil, et Françoise David, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec et cofondatrice de Québec solidaire.

La fibre militante

Le ciel était incertain. Ciel de début de juin, entre nuages de pluie et éclaircies. « J’ai décidé que c’était l’été ! », a décrété Catherine Fournier. « Nous sommes habillées pour deux saisons différentes », a fait remarquer Françoise David, vêtue de manière plus printanière, qui avait renoncé à se rendre à notre rendez-vous à vélo.

Le rendez-vous lui-même avait été incertain. J’ai eu l’idée de réunir ces deux ex-députées féministes et souverainistes, de deux générations et formations politiques différentes, dans le cadre de notre série estivale sur les moments qui ont changé leur trajectoire. Elles ont accepté spontanément ma proposition.

Sauf que Françoise David était sur le point de partir en vacances aux Îles-de-la-Madeleine et l’horaire de Catherine Fournier à la mairie de Longueuil était particulièrement chargé. Nous nous sommes retrouvés au parc La Fontaine, peu ou prou à mi-chemin entre Rosemont et la Rive-Sud, où elles habitent respectivement.

Elles se sont pratiquement passé le témoin à l’Assemblée nationale, mais elles ne s’y sont pas croisées. « Je pense que c’est en janvier 2017 que vous avez annoncé votre départ ? », a demandé l’ex-péquiste à l’ancienne porte-parole de Québec solidaire. Catherine Fournier venait de devenir, à 24 ans, à l’élection partielle de décembre 2016 dans Marie-Victorin, la plus jeune députée de l’histoire du Québec. Elle n’a fait sa prestation de serment que le 13 janvier 2017. « Qui est le jour de ma fête, d’ailleurs », a précisé Françoise David.

J’étais curieux de savoir à quel moment Catherine Fournier s’est découvert une fibre militante ou politique. « Cette fibre a grandi au fil du temps, dit-elle. J’ai eu la chance d’être gardée par ma grand-mère, qui a été une mère monoparentale, très tôt. Quand j’étais petite, elle se plaisait à me raconter l’histoire du Québec et du droit des femmes. »

Je me souviens que, très jeune, ma grand-mère m’a raconté qu’elle a emmené mon père à l’hôpital alors qu’il était enfant et qu’il n’a pas pu être soigné parce qu’il lui fallait avoir l’autorisation de son mari. Et que son mari avait disparu.

Catherine Fournier

Sa grand-mère a dû trimer pour trouver du travail et élever ses enfants. Elle a dû faire sa place comme femme et comme francophone, lorsqu’elle s’est trouvé un emploi à la Commission scolaire anglophone de Montréal. « Elle m’a raconté tout ça alors que j’étais très jeune. Ça m’a conscientisée à tous ces sujets. »

Elle a été marquée, comme bien des gens de sa génération, par les attentats du 11 septembre 2001. Elle avait 9 ans. « À partir de ce moment-là, j’ai lu le journal tous les jours, dit-elle. J’ai commencé à suivre les campagnes électorales, les enjeux politiques. J’ai commencé à me faire une tête sur les différents enjeux. »

À l’adolescence, lorsque sa grand-mère maternelle est venue habiter chez elle et que la mère de Catherine est devenue sa proche aidante, elle a commencé à faire du bénévolat dans des résidences pour personnes âgées. « J’étais très consciente des enjeux touchant à l’isolement des personnes âgées. » Ce n’est qu’au cégep qu’elle a commencé à militer en politique. « Mon milieu familial n’était pas un milieu engagé politiquement. Mes parents ne me parlaient pas de politique. »

Du pain et des roses

Françoise David, qui est elle-même grand-mère, vient en revanche d’un milieu très politisé. Son arrière-grand-père, son grand-père et son père ont tous occupé des postes en politique, tout comme sa sœur Hélène, ex-ministre libérale.

C’est le militantisme social et féministe qui a mené Françoise David à la politique, sur le tard. J’étais stagiaire à La Presse, au printemps de 1995, quand a eu lieu la marche Du pain et des roses, organisée par celle qui était alors présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Catherine Fournier n’avait que 3 ans…

PHOTO LUC SIMON PERREAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La marche Du pain et des roses

Françoise David est de son propre aveu intarissable à ce sujet. « On sortait d’une période très difficile, post-attentat de Polytechnique non reconnu comme étant un geste clairement antiféministe et misogyne — ce qui ne sera reconnu que 25 ans plus tard. Il y avait eu une récession, une augmentation de la pauvreté. Du point de vue du mouvement des femmes, il n’y avait rien pour fêter. »

Elle était vice-présidente de la FFQ lorsqu’elle a eu l’idée de cette marche, inspirée par les mouvements civiques afro-américains.

J’étais habitée par cette idée qu’il fallait relancer le mouvement, l’action sociale, être toutes ensemble. J’ai toujours pensé que c’est dans l’action qu’on se retrouve. Donc je me suis dit : marchons !

Françoise David

Des milliers de femmes ont marché 20 km par jour, du 26 mai au 4 juin 1995, jusqu’à Québec, où elles ont été accueillies — elles étaient 18 000 — par Jacques Parizeau et quelques-uns de ses ministres. Ils ont eu des réponses favorables à leurs revendications sur le logement social, l’augmentation du salaire minimum, des emplois d’économie sociale et des mesures touchant les familles immigrantes, etc. Elles n’ont pas obtenu tout ce qu’elles souhaitaient, mais les gains qu’elles ont faits découlaient de la marche, croit Françoise David. « La conjoncture était bonne. Six mois avant un référendum, on ne peut quand même pas dire non à toutes les femmes ! »

« Ça a relancé le mouvement des femmes de façon — sans jeu de mots — beaucoup plus solidaire, dit-elle. Avec ce désir et ce plaisir de travailler toutes ensemble. Ce qui nous a été bien utile les années suivantes, parce que les victoires sont intéressantes, mais parfois de courte durée. Lucien Bouchard est devenu premier ministre et ç’a été la première période d’austérité. »

Créer des ponts

Françoise David a quitté la présidence de la Fédération des femmes du Québec en 2001 et a cofondé Option citoyenne avec François Saillant en 2004, puis Québec solidaire deux ans plus tard. Elle avait 58 ans. « Le passage en politique, c’est autour de dix ans, dont six ans comme présidente et porte-parole du parti, sans être élue », rappelle-t-elle.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Françoise David et Amir Khadir lors de la fondation de Québec solidaire en 2006, né de la fusion d’Option citoyenne et de l’UFP

Ce n’est qu’à sa troisième tentative qu’elle est devenue députée de la circonscription de Gouin, en 2012. Après une longue réflexion et un an et demi de passage à vide, qu’elle évoque dans un livre paru récemment, Du cœur au combat (Atelier 10), écrit en collaboration avec la journaliste du Devoir Lisa-Marie Gervais. « Honnêtement, j’étais un peu découragée, dit-elle. Je me suis dit : j’y retourne, mais en bon français, c’est le last call. Ça passe ou ça casse. »

La décision prise, son chum et elle ont convenu que si elle perdait, ils rénoveraient leur cuisine. « C’était pour dédramatiser. Mais j’ai réalisé que si je gagnais, mon salaire allait tellement augmenter qu’on rénoverait quand même ! On n’a jamais eu le temps de rénover la cuisine… »

Elle fut députée jusqu’en 2017. « J’ai tellement aimé ce métier, dit-elle. Surtout quand on pouvait faire des alliances avec des collègues d’autres partis. Depuis quelques années, les femmes sont particulièrement actives pour créer des ponts, se réunir dans des comités transpartisans, et ça fonctionne ! »

Si on avait un mode de scrutin proportionnel mixte, comme on le propose depuis si longtemps, qui obligerait la classe politique à fonctionner en coalition comme c’est le cas dans tellement de pays, je ne dis pas que tout serait rose, mais tout le monde s’en porterait mieux.

Françoise David

Catherine Fournier est parfaitement d’accord. L’ex-députée a fini par rencontrer Françoise David, qui militait au sein du Mouvement démocratie nouvelle, lors des consultations sur le projet de loi sur la réforme du mode de scrutin.

« C’est exactement ce qu’il faut ! dit-elle. Je ne parle pas de gouvernements minoritaires qu’on fait tomber tous les deux ans, mais de gouvernements de coalition solides, qui sont obligés de négocier. Pour se libérer du joug partisan et du chèque en blanc au gouvernement, afin que toutes les tendances soient représentées. Ça peut prendre plus de temps, mais on arrive à des consensus qui sont beaucoup plus représentatifs des positions de la société dans son ensemble. »

Le printemps étudiant

L’année 2012 est, comme pour Françoise David, un moment charnière dans la vie de Catherine Fournier. Elle était aux études au moment de la mobilisation étudiante. « C’est un mouvement social, porteur d’espoir et d’un projet de société, qui a mobilisé une génération pour la première fois, dit-elle. Tous mes amis étaient engagés, on sentait qu’il se passait quelque chose d’important. C’est ce qui a fait en sorte que je décide de m’investir en politique. Jusque-là, j’étais plutôt observatrice. »

« En 2012, j’ai tapé pas mal de casseroles ! », ajoute Françoise David en riant. Théoriquement, croit-elle, le Parti québécois aurait dû être élu majoritaire en septembre 2012. « C’est incroyable de penser que le Parti libéral de Jean Charest, après tout ce qui s’est passé — le printemps 2012, mais aussi les problèmes de corruption, la commission Charbonneau, etc. —, ait pu conserver autant de sièges. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation aux casseroles à l’angle des rues Saint-Denis et Jarry en 2012

Elle en est arrivée à la conclusion que ce n’était pas tout le Québec qui avait « souscrit au noble et formidable objectif du printemps étudiant », qui est vite devenu selon elle un printemps social et écologique. « Il y a clairement une partie du Québec qui a résisté à tout ça. »

Il y a eu une grande démobilisation des jeunes après 2012, lorsque le gouvernement péquiste a décidé d’indexer les droits de scolarité, constate Catherine Fournier.

Ç’a été un rendez-vous manqué avec l’histoire de la part du PQ, qui aurait pu tabler sur cette mobilisation de la jeunesse et poursuivre dans les revendications sociales qui avaient été soulevées pendant le printemps 2012.

Catherine Fournier

« Ç’a été ressenti comme une trahison dans les rangs étudiants, dit l’ex-députée péquiste. On a perdu des jeunes qui ne s’étaient jamais intéressés à la politique. Si on avait poussé plus loin, on aurait pu les garder mobilisés. »

Françoise David a une lecture un peu différente des choses. « Pour moi, le printemps étudiant a mené à une victoire. C’est peut-être à cause de l’âge que j’ai, mais les victoires sont rarement complètes. Est-ce que je me contente de trop peu ? J’espère que non ! La loi spéciale a tout de même été abrogée et l’augmentation prévue des droits de scolarité n’a pas eu lieu. J’appelle ça une victoire. Je comprends l’effet qu’a eu l’indexation. J’avais des étudiants autour de moi à QS qui pleuraient de rage. Ils s’étaient tellement battus ! »

« Et quand c’est la première bataille, avec une aussi grande mobilisation, on ne s’attend pas à une aussi grande déception ! », ajoute Catherine Fournier, qui semble avoir été galvanisée par les défaites du clan souverainiste, notamment celle, cuisante, du Bloc québécois, au sein duquel elle militait, aux élections de 2011. « Je ne voulais pas baisser les bras ! »

Indépendance

L’une de ses premières interventions au caucus du Parti québécois, rappelle Catherine Fournier, visait à ce que sa formation ne présente pas de candidat dans Gouin à la suite du départ de Françoise David. En mai 2017, Gabriel Nadeau-Dubois y a été élu avec 69 % des voix.

Une question brûle les lèvres de Françoise David. « Je le dis vraiment amicalement. Il n’y a pas de traîtrise et il n’y a pas de piège, mais il y a quand même eu la création en 2006 d’un nouveau parti politique qui s’appelle Québec solidaire, qui est issu des mouvements sociaux : féministes, écologistes, syndicaux. On était 1000 à la fondation. On n’était pas parfaits, mais on voulait aller plus loin, remettre en question le capitalisme tel qu’il existe.

« Certains ne nous ont jamais crus, même si c’est écrit en toutes lettres dans la déclaration de principes que j’ai contribué à écrire, mais je le confirme : depuis le début, on est souverainistes. Pour des raisons que je ne connais pas, tu as choisi un autre véhicule. Pourquoi as-tu choisi le Parti québécois ? »

« Je me suis souvent posé la question, répond Catherine Fournier. J’ai l’impression qu’à ce moment-là, c’était davantage possible pour moi de changer les choses à l’intérieur d’un véhicule politique plus établi, qui pouvait prendre le pouvoir. Je m’intéressais à l’histoire grâce à ma grand-mère. Le Parti québécois, c’était quand même le parti des grandes aspirations nationales. Je voyais une valeur à cet héritage. J’étais convaincue que c’était possible de le transformer et de le faire cheminer vers ce qu’il avait déjà été. »

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Catherine Fournier alors qu’elle quitte le Parti québécois pour siéger comme députée indépendante, en mars 2019

Et pourquoi devenir indépendante plutôt que de rejoindre Québec solidaire ? « J’aurais pu honnêtement être au PQ ou à QS au départ, dit-elle. Mais le jour où j’ai annoncé que je deviendrais indépendante, j’ai dit que je ne rejoindrais aucun parti politique. C’était clair. »

Par respect pour ses électeurs ? demande Françoise David. « Je me suis posé des questions sur ma légitimité à travers tout ça. Mais je pense qu’on doit être sincère dans notre engagement. Je voyais une différence entre devenir indépendante et changer de formation politique, dans ma réflexion sur la politique et la partisanerie qui est parfois nécessaire, mais qui parfois va trop loin. »

J’ai vécu beaucoup de frustration à l’interne, à l’effet de consacrer autant d’énergie à se définir par opposition à des gens qui partagent plusieurs de nos positions. Tout ce temps passé à tenter de coincer l’autre, à le diminuer, alors qu’on a tant d’idées en commun. J’étais lasse de la joute politique.

Catherine Fournier

« Je te comprends ! », dit Françoise David, qui félicite la mairesse de Longueuil pour son élection et pour l’esprit de collaboration qui semble désormais régner entre les administrations municipales du Québec. « Il y a un climat où des gens ont envie de se parler. Ça fait du bien ! »

« La politique, c’est énormément d’énergie, rappelle Catherine Fournier. J’ai envie qu’elle soit consacrée à quelque chose de constructif. Malheureusement, le système tel qu’il est conçu, l’institution parlementaire et nos structures de partis, crée cette dynamique dans laquelle je ne me retrouvais pas. C’est pour ça que j’ai pris la décision de rester à l’écart des partis politiques. Et c’est ce qui me plaît beaucoup au municipal ! »