Après plus de 50 ans d’une carrière qui fait rêver tellement elle est riche, René Homier-Roy vient de remporter un prix qui souligne l’excellence de son travail à la radio. Rencontre avec un animateur qui n’a aucune intention d’accrocher son micro.

Ce n’est pas surprenant que René Homier-Roy ait remporté la médaille de bronze de « Meilleure personnalité à l’antenne » aux New York Festival Radio Awards, le printemps dernier. Avec sa voix modulée au débit parfait, sa langue imagée et ses propos toujours intelligents, cet homme est comme un poisson dans l’eau dans un studio de radio.

Ce qui est surprenant, c’est qu’il s’agisse de son premier « vrai » prix en près de 60 ans de carrière dans les médias. « J’ai déjà gagné la médaille du vice-président, un prix attribué à l’interne à Radio-Canada, mais c’est comme un prix de persévérance, raconte-t-il en riant. Je n’ai jamais reçu de Gémeaux pour La bande des six ou Viens voir les comédiens. Quand j’ai appris que je recevais ce prix de New York, je me suis demandé si c’était un cadeau gériatrique… »

Ça, c’est l’humour typique de René-Homier Roy, un humour pince-sans-rire qui le rend toujours « très distrayant », pour reprendre une expression qu’il affectionne.

Un gars de radio

« J’ai aimé le magazine [il a fondé les magazines Ticket et Nous], j’ai adoré faire de la télé, mais avec C’est bien meilleur le matin, j’ai réalisé que j’étais un gars de radio, un gars d’équipe, poursuit-il. C’est ma période professionnelle la plus heureuse. »

Je confirme, pour avoir eu le privilège de faire de la radio avec lui « aux aurores » pendant deux ans, qu’il était un animateur bienveillant et généreux avec ses collaborateurs. On avait l’impression de rouler en Porsche quand on s’assoyait au micro en face de lui.

Mais toute bonne chose a une fin et René Homier-Roy a mis un terme à 15 ans de quotidienne dans la foulée du décès de son conjoint, le réalisateur Pierre Morin.

Âgé de 72 ans à l’époque, jamais l’idée de la retraite ne l’a effleuré. Il a donc lancé immédiatement deux nouvelles émissions : La bibliothèque de René, qui a quitté l’antenne depuis, et Culture Club, un magazine culturel hebdomadaire qui entamera sa 10saison en août prochain.

Dans les jours suivant l’annonce de son départ de l’émission matinale, alors qu’il marchait vers sa voiture dans le stationnement de Radio-Canada, l’animateur a entendu un commentaire qu’il n’a jamais oublié : « Ah ces vieux-là ! Ça dit que ça s’en va, puis ça colle… »

« Je ne suis pas particulièrement sensible à ce qu’on pense de moi, souligne René Homier-Roy, mais cette fois-là, ça m’a très troublé, cette perception qu’on pouvait avoir de moi… Je l’ai pris très personnel, au point que j’en ai parlé à mon psy pendant au moins deux séances [rires]. »

Ça ne l’a heureusement pas empêché de continuer, ce qu’il compte faire encore quelques années. Et la récente vague de départs à la radio ne l’a pas fait changer d’idée.

La vie qui passe

René Homier-Roy est assis devant moi sur sa magnifique terrasse d’Habitat 67 avec, en toile de fond, une vue imprenable sur le Vieux-Montréal, et je me rappelle que cet homme agréable et affable a déjà terrorisé le milieu culturel qui redoutait ses critiques lapidaires. Adolescente, je ne manquais jamais À première vue, l’émission de critique cinéma dans laquelle il croisait le fer avec Chantal Jolis. C’était le festival de la phrase assassine et de la mauvaise foi.

À La bande des six aussi, ses commentaires à la fois spirituels et assassins faisaient mouche. Ce type d’émission mettant en vedette des critiques aguerris qui ne mettaient jamais de gants blancs pourrait-elle encore exister aujourd’hui ?

« Moi, je prétends que oui, répond René Homier-Roy sans hésiter. À mon avis, ça manque. »

C’était de la passion, La bande des six. Quand on haïssait, on haïssait fort. Mais quand on aimait, on aimait fort aussi !

René Homier-Roy

« On savait bien que ça ferait des vagues. Mais c’était très rare que je remette en question le talent ou l’intégrité des gens. Je suis un spectateur professionnel, je suis payé pour ça. Parfois, c’est un rôle ingrat, mais c’est vraiment le fun de savoir que parce que t’as aimé un truc, que tu peux être convaincant en en parlant, il y a des gens qui vont découvrir le plaisir que toi, tu as eu. Je trouve ça formidable ! »

Curieux 24 heures sur 24

René Homier-Roy me confie qu’on a songé un moment à remplacer l’émission Plus on est de fous, plus on lit de Marie-Louise Arsenault par une série d’émissions thématiques quotidiennes. Un jour le théâtre, un jour la musique… On avait pensé à lui pour la littérature. « Je trouvais qu’à mon âge, c’était trop », tranche-t-il. « C’est un travail considérable de se plonger chaque fois dans l’œuvre des auteurs », ajoute l’animateur qui se dit parfaitement heureux aux commandes de Culture Club, une émission qui lui ressemble et qu’il a conçue avec la réalisatrice Sylvie Lavoie, qui le quitte après neuf saisons pour travailler sur un autre projet. « C’est une fille marrante, intelligente, qui sait créer des liens très costauds avec ses équipes. Elle va me manquer. »

Dans Culture Club, René mène des entrevues, livre deux critiques par semaine (habituellement un film et un livre) et anime le club formé de chroniqueurs jeunes et moins jeunes avec qui il discute de leurs plus récentes découvertes culturelles. Loin de jouer la carte de l’octogénaire dépassé par les nouvelles tendances, René Homier-Roy demeure toujours allumé et pertinent. « Je mentirais si je disais que j’écoute du rap avant d’aller me coucher, précise-t-il un sourire en coin, mais je suis curieux de tout. J’aime apprendre tout le temps. »

Comme bien des gens qui œuvrent dans les médias, sa vie épouse parfaitement son travail et son travail se dilue dans sa vie. En témoignent les piles de livres sur le plancher de son salon, sur la table de sa salle à manger ou sur les rayons de la superbe bibliothèque qui occupe tout le mur de son bureau.

« Quand je serai à la retraite, si une telle chose arrive un jour, je vais continuer à regarder des films et à lire des livres. La seule différence, c’est que je ne serai pas obligé de donner mon opinion et ça, ça m’ennuierait, parce que je suis habitué et que j’aime ça… »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : C’est une relation quasiment orpheline. Je ne bois qu’un café par jour, le matin, et ça règle le cas pour la journée. J’ai pris des speeds durant mes belles années de folie, mais je ne voudrais pas recommencer même si je trouvais ça bien agréable de toujours être bien réveillé…

Les livres que je lirai en vacances : Je veux relire Voyage au bout de la nuit de Céline parce qu’on en a beaucoup parlé récemment avec la sortie de Guerre, du même auteur. Je l’ai lu quand j’avais 12 ans, je pense que ma perception risque d’être fort différente.

Des personnes vivantes ou mortes que j’aimerais réunir à ma table ? J’inviterais René Lévesque, que j’ai connu, parce qu’il a été journaliste et qu’il était tellement intéressant. Albert Camus qui m’a déjà gentiment dédicacé un livre grâce à mon ami Jacques qui l’avait rencontré à Paris. J’inviterais aussi Kamel Daoud qui a écrit Meursault, contre-enquête, une suite à L’étranger. J’aimerais ça, les écouter se parler, ces deux-là.

Un endroit dans le monde où je me sens bien : Paris, que je n’ai pas visité depuis huit ans. Je ne sais pas si je m’y sentirai encore aussi bien, mais pour moi c’est de très loin la plus belle ville au monde. Et au contraire de tout le monde, les Français, je ne les trouve pas si chiants que ça.

Un truc professionnel que je rêve de faire, mais qu’on ne m’a jamais proposé : Être juge à l’émission Les chefs ! [rires]. C’est tellement joliment présenté, et c’est vraiment bon. Je voudrais goûter à tout. (Avis aux producteurs, l’idée est lancée dans l’univers !)

Qui est René Homier-Roy ?

  • Né à Montréal en 1940.
  • Directeur des pages Arts et spectacles de La Presse de 1969 à 1973.
  • Membre de La bande des six de 1989 à 1993.
  • Animateur de C’est bien meilleur le matin de 1998 à 2013.
  • Animateur de Viens voir les comédiens de 2002 à 2012.
  • Animateur de Culture Club depuis 2013.