Nous sommes au café Darling, qui fut autrefois les Bobards, là où Christiane Charette enregistrait son émission en direct. Le photographe David Boily nous croque de loin.

Elle a spontanément accepté mon invitation à une entrevue, mais avec des inquiétudes pour la prise de photos. Ce que j’avais déjà prévu. Tout le monde sait ça : Christiane Charette déteste être photographiée. Mais comme c’est un privilège de pouvoir lui parler, tellement elle est discrète, on s’est ajustés. Christiane ne voulait pas être photographiée de face et voulait garder ses lunettes teintées. OK. Parce que c’est bien la dernière personne qui pourchasse les Kodaks.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Christiane Charette et Chantal Guy

J’avais tout mon temps pour qu’elle se sente à l’aise, et Christiane Charette n’avait rien à vendre, si bien que nous avons parlé pendant plus de quatre heures. Et une bonne partie de l’entrevue a porté sur ça, le problème de l’image. Quand est-ce que cela a commencé ? Est-ce que ça vient d’un traumatisme ?

Elle ne se rappelle pas quand est né ce blocage, mais une chose est certaine : elle a toujours peur de voir apparaître celle qu’elle nomme « la laide », comme son double maléfique dans un miroir. Il y a donc deux Christiane ? « Oui, c’est très dérangeant, admet-elle. Il y a des gens qui sont libres de cette chose-là, le self-conscious – je ne connais pas de mot plus efficace. Je trouve que c’est une vraie tare, j’en souffre beaucoup. J’imagine que tout le monde est ainsi, mais moi, je ne vis pas bien avec ça. »

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Christiane Charette

Je pense que ma capacité à être franchement moche dépasse la moyenne des ours, mais je sais qu’il y a là-dedans aussi une forme d’excès dans cette pensée...

Christiane Charette

Elle a quand même affronté cette peur pendant sa carrière. Et cela, en concevant elle-même ses émissions, pour se protéger. Elle devait se voir dans le moniteur pour savoir comment apparaître, et lorsque cela se produisait, elle constatait une transfiguration dans son visage. Celle qu’on appelle « la dame en noir » n’a porté que des vêtements noirs parce qu’ils sont devenus comme un costume qui lui permettait d’être libre et de s’abandonner comme animatrice. Ses modèles ? Larry King, qui avait toujours le même habillement, et Coco Chanel – « jamais d’élégance sans confort », rappelle-t-elle. « Si elle voyait ce que j’ai fait avec ses principes, elle vomirait sur le plancher ! On construit sa mode comme Robinson Crusoé construit sa cabane. »

Elle ajoute aussi Karl Lagerfeld depuis qu’elle ne quitte plus ses lunettes teintées.

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Christiane Charette et Chantal Guy

En vérité, elle a adoré faire de la télé, mais elle refuse d’en faire depuis quelques années. Elle ne supporte plus les efforts pour se montrer et la pandémie a aggravé son besoin de discrétion. Mais sait-elle à quel point elle est aimée et combien elle manque à beaucoup de gens ? Ce n’est pas pour rien que Jay Du Temple est allé la chercher l’an dernier pour son émission estivale à Rouge FM ou qu’elle était une invitée régulière de La soirée est (encore) jeune. « Ça me fait plaisir, parce que je pense que c’est réciproque, dit-elle. J’aime l’intérêt que les gens peuvent avoir envers moi, car j’ai de l’intérêt envers eux. Ils sentent que j’aime ce que je fais. Que les gens nous désirent, c’est vraiment une chose très agréable. Ça me permet de m’oublier. Les gens qui veulent m’avoir dans des émissions, c’est peut-être parce que je me perds, que je m’oublie. »

Combien de fois a-t-on répété qu’on ne sait jamais ce qui va arriver quand Christiane Charette est là, comme animatrice ou comme invitée ? C’est irrésistible, je m’en rends compte en jasant avec elle. Très loin d’agir comme une belle-mère envers la nouvelle garde radiophonique, elle ne croit pas que c’était meilleur avant, seulement qu’il y a des époques qui nous vont mieux que d’autres. Cependant, elle n’aime pas cette tendance à lire des textes à la radio plutôt que de rebondir sur ce qui se dit en direct. Moi non plus ; je trouve que ça fait devoir d’école. « On dit que la radio est un média de proximité, et ce n’est pas de la proximité, ça », croit-elle.

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Christiane Charette et Chantal Guy

Je pense ce que je dis, mais je n’aime pas ce que je dis, car je n’aime pas juger les autres. Mais comme auditrice de radio, je n’aime pas ça, entendre une feuille.

Christiane Charette

Nous nous perdrons souvent pendant cette longue conversation où nous passerons du café à l’Amaretto Sour et du coq à l’âne. Sa passion pour la Bourse qu’elle regarde tous les matins, sa dépendance à Instagram où elle publie des photos de visages déformés à la télé. « C’est une drogue pour moi. On pense qu’il n’y a là que des gens qui photographient leur assiette au restaurant, mais tout le monde de l’art y est. » La conservatrice au Musée des beaux-arts qu’elle a été dans une autre vie n’est jamais très loin et elle a accumulé dans son infonuage plus de 140 000 photos. Dans un dossier, elle a classé des photos de gens âgés qui l’inspirent. J’ai l’impression que Christiane Charette a toujours été en quête de modèles qui pouvaient l’aider à affronter le monde, sans comprendre qu’elle en est un elle-même. Et lorsque nous rions de notre amour pour les vêtements noirs qui s’accordent à notre esprit parfois dystopique, on dirait que Christiane Charette est la grande sœur gothique que je n’ai jamais eue.

Questionnaire sans filtre 

Votre rapport au café : Je prends un espresso le matin. Et le reste de la journée, c’est quelques grains de café soluble pour colorer de l’eau chaude. Je n’ai pas un rapport très intéressant au café. Ce que j’aime, c’est prendre un café avec quelqu’un.

Le don que vous aimeriez posséder : Je suis très désordonnée. Je suis envahie par mon désordre, je voudrais avoir le don de Bewitched pour faire un ménage instantané.

La dernière fois que vous avez pleuré : Je pleure beaucoup maintenant, et je ne suis pourtant pas braillarde. Mais ça me frappe, dernièrement. Surtout quand je suis seule et que je regarde les nouvelles. Il y a tellement de cruauté.

Une émission que vous ne ratez jamais : J’ai beaucoup aimé cette année regarder On est en direct de Laurent Ruquier, particulièrement depuis que Léa Salamé est là. Elle est magique. Ils ont tout ce que j’aime d’un plateau et quand je regarde ça, j’ai une profonde nostalgie.

Qui est Christiane Charette ?

  • Née en 1951 à Montréal, elle est la fille de l’animateur Raymond Charette.
  • Elle a fait ses études en histoire de l’art et a travaillé comme conservatrice au Musée des beaux-arts de Montréal.
  • Elle a notamment animé les émissions Christiane Charette en direct, Cabine C, Christiane Charette et 125 Marianne.