Parfois, la mort frappe, sournoisement. Parfois, c’est plutôt la vie qui prend le dessus, sans qu’on sache pourquoi. Richard Guay a dernièrement vécu ces deux situations… simultanément.

Le 15 février, en après-midi, l’ex-PDG de la Caisse de dépôt entre au Costco de la rue Bridge, à Montréal. Il avait passé la matinée à l’UQAM avec ses étudiants à la maîtrise en finance.

Dans la rangée des pains, il est subitement pris d’un malaise et s’effondre. « Je me suis réveillé une semaine plus tard à l’hôpital », me raconte-t-il au restaurant Le Muscadin, dans le Vieux-Montréal.

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Notre chroniqueur Francis Vailles et Richard Guay attablés au Muscadin

Ce qu’il ne savait pas alors, c’est que son cœur a cessé de battre pendant plus de 10 minutes chez Costco. Il ne se souvient d’absolument rien, ce sont les médecins et sa conjointe qui ont reconstitué la suite, bien qu’ils n’aient pas été présents.

Cet après-midi-là, Maxime Thauvette, un des gérants du Costco, est informé par un employé qu’un client est inconscient, section boulangerie. Maxime est avisé, car il a suivi son cours de secourisme en milieu de travail, m’explique l’employé de Costco au téléphone.

Arrivé dans la rangée, il constate que l’homme s’est visiblement cogné en tombant, vu la présence de sang. Ne trouvant pas de pouls, il entreprend rapidement un massage cardiaque. Il installe ensuite sur la poitrine un défibrillateur, que Costco doit conserver sur place en tout temps.

L’engin ne détecte pas davantage de pouls et, pour une raison inconnue, « nous ne sommes pas capables d’administrer le choc [électrique] avec le défibrillateur », me dit-il.

L’appareil donne toutefois comme directives de continuer le massage. Une cliente lui vient en aide, pratiquant la respiration artificielle.

Ce sont finalement les ambulanciers, accourus sur place, qui parviennent à redémarrer le cœur de Richard Guay, après cinq chocs de leur défibrillateur et une injection d’adrénaline.

La réanimation cardiorespiratoire a-t-elle duré 10 minutes, comme l’indique le rapport de l’hôpital ? Maxime Thauvette estime qu’il s’est occupé de l’homme pendant une demi-heure avant que les ambulanciers n’arrivent.

« Dix minutes ? Je n’avais pas de montre, mais j’ai l’impression que ç’a été bien plus long que ça », me dit-il.

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Richard Guay

Quoi qu’il en soit, l’intervention de l’employé de Costco a sauvé la vie de Richard Guay, sinon lui a épargné de graves séquelles, puisque le massage cardiaque a permis de fournir de l’oxygène aux organes vitaux et au cerveau.

« J’étais vraiment mort, me dit Richard Guay en riant. Le chirurgien m’a expliqué que si le jeune de Costco avait attendu 20 minutes, c’était fini. »

Rien ne prédisposait Richard Guay à cet évènement tragique. Le gestionnaire de fonds de 61 ans ne fume pas, ne fait pas d’embonpoint, n’a pas d’antécédents familiaux d’arythmie cardiaque, boit peu et pratique plusieurs sports. La veille de l’évènement, il avait même joué ses deux heures de tennis hebdomadaires.

Après la réanimation, les ambulanciers transportent Richard Guay au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il a un pouls erratique et une très forte pression. Il est mis artificiellement dans le coma, dont il sortira une semaine plus tard, miraculeusement sain et sauf.

S’ensuivent un cocktail de médicaments, l’insertion d’un stimulateur cardiaque (pacemaker) sous la peau et une exigeante réadaptation, qu’il réalise principalement à la maison, deux semaines plus tard, avec l’aide de sa conjointe. Il peinait alors à marcher.

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Richard Guay

Et devinez quoi ? Richard Guay a repris ses activités normales le 9 mai, moins de trois mois après l’arrêt cardiaque. Il a même joué au tennis trois jours avant notre rencontre au restaurant du 26 mai ! Un ressuscité, bref !

« Au tennis, c’est à la deuxième heure que j’ai plus de difficulté. Ce sont mes cuisses, je n’ai pas le spring que j’avais avant », me dit-il. Selon ses médecins, le stimulateur cardiaque ramènerait à zéro le risque qu’un tel évènement se reproduise.

La cause de l’arrêt cardiaque ? Après plusieurs tests, les médecins n’en savent pratiquement rien. On soupçonnait une cause génétique, mais l’hypothèse a été écartée tout récemment.

« Je ne m’en fais pas trop. Je ne suis pas en fauteuil roulant », me dit-il.

Richard Guay juge qu’il a vécu, en quelque sorte, un deuxième « Black Swan », après celui de 2008. L’expression désigne un évènement imprévisible, notamment sur les marchés boursiers, qui a une incidence colossale.

À l’automne 2008, Richard Guay était le nouveau PDG de la Caisse de dépôt, après le départ d’Henri-Paul Rousseau, quand la pire crise financière de l’histoire est survenue.

Fin novembre 2008, l’ouragan financier le force à prendre congé de ses fonctions pour cause de surmenage. Le manque de sommeil et le stress l’empêchaient de rétroagir adéquatement avec ses adjoints, m’explique-t-il.

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Richard Guay

C’est l’expert en immobilier de la Caisse Fernand Perreault qui le remplace alors par intérim, en pleine tempête. L’année 2008 se solde par une perte de près de 40 milliards de dollars pour la Caisse (- 25 %), de loin la pire de son histoire.

Richard Guay ne dirigera plus l’institution par la suite, étant remplacé par Michael Sabia, le 13 mars 2009. Il conseille la Caisse jusqu’en 2010, puis devient professeur à l’UQAM.

A-t-il peur de mourir, désormais ? « Non. Vivre avec la peur de mourir me limiterait à profiter de la vie. Ce qui est arrivé change les perspectives de vie. Je veux passer plus de temps de qualité avec ma femme, mes amis, mes enfants », dit-il.

Le 9 mai, Richard Guay a d’ailleurs annoncé à la direction de l’UQAM qu’il prenait une retraite progressive. Il tombera à mi-temps dès septembre prochain.

Ce que j’en retire, moi ? Que personne n’est à l’abri. Et depuis que sa conjointe, Nathalie Francisci, m’a appris la nouvelle, en mars, je garde inscrit au dos de mon cellulaire un numéro à joindre en cas d’urgence, sur ses conseils.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Le bon café au lait (avec beaucoup de lait) accompagné d’un morceau de gâteau banane fait maison.

Recevoir à ma table : Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec. Une personnalité très inspirante. Riche culturellement et doué d’un leadership exceptionnel et rempli d’idées pour un monde meilleur.

Le matin idéal : Me réveiller avec le regard posé sur mon amoureuse, Nathalie, enroulée autour de moi. Discuter ensuite d’une panoplie de sujets (économie, politique, psychologie, les enfants, etc.) avec cette femme si stimulante intellectuellement que j’aime et admire. Suivi d’un petit déjeuner sur la terrasse au soleil avec elle. Du bonheur à l’état pur !

Théâtre : Roméo et Juliette et Notre-Dame de Paris. Et tout ce qui touche l’amour ou l’injustice.

Lecture : The Black Swan (Nassim Taleb). J’ai vécu deux fois l’improbable dans ma vie, ce qui a changé mes priorités. Animal Spirits (Robert Shiller) et Beyond Greed and Fear (Hersh Shefrin), qui m’ont fait réaliser à quel point la psychologie est présente même pour des personnes qui croient prendre des décisions rationnelles.

Qui est Richard Guay ?

— Né en 1960 dans le quartier Villeray, à Montréal, dans une famille modeste de sept enfants. Tout jeune, il perd l’un de ses frères lors d’un accident de vélo, ce qui le marque à vie.

— Il a obtenu une panoplie de diplômes universitaires ou titres professionnels :

  • Un bac en économie à HEC Montréal
  • Une maîtrise en économie de l’Université Queen’s et une autre en finance à HEC Montréal
  • Un doctorat en économie financière de l’Université Queen’s

— Le titre de CFA et de FRM

— Il entre à la Caisse de dépôt en 1995 et gravit les échelons jusqu’à être promu PDG en 2008, poste qu’il quitte pendant la crise financière de la même année.

— Depuis 2010, il est professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. De plus, il préside trois comités de placements, celui du régime de retraite de HEC Montréal, du fonds HEC et de la fondation de l’Orchestre symphonique de Montréal.

— Il a trois enfants âgés de 24 à 32 ans (deux filles et un garçon), dont il est fier.