« Le modèle d’occupation du territoire est allé au bout de sa logique. Nous avons les deux pieds dans le cercueil et il faut agir avant qu’on nous claque le couvercle dessus ! », écrit Stéphane Gendron dans un plaidoyer de la dernière chance pour la ruralité québécoise.

Dans le discours, la gouvernance des régions ne cesse de faire l’objet de discussions, de promesses et d’engagements multiples. Les termes ont pris les allures d’une novlangue bureaucratique qui utilise toujours les mêmes mots-clés : « pouvoir aux régions », « décisions locales », « concertation des forces vives du milieu » et « coconstruction », sans oublier les fameux « plans de développement » et les divers « schémas » qui font le bonheur des consultants rompus au langage administratif. Je blague à peine. Nous vivons à l’heure de la consultation, des chantiers, des tables de concertation et de pilotage, de l’industrie de la représentation, des collèges électoraux et de la planification stratégique. Nous sommes en constante réflexion sur l’avenir, alors que les ressources manquent au présent. Que peut-on faire pour redresser la situation ?

Cette nouvelle zizanie bureaucratique ne cesse d’enfler depuis les années 1980, époque de la mise en place des municipalités régionales de comté (MRC). De nos jours, des centaines d’entités municipales pataugent dans un environnement périlleux qui ne tient plus la route, car elles doivent sans cesse s’adapter à de nouvelles normes en matière sanitaire, sociale, juridique, scientifique, environnementale, de construction, de sécurité publique et j’en passe ! Certes, cet alourdissement de la gestion municipale est justifié par de nouvelles valeurs sociales et l’avancement des connaissances. Mais, en plus du minimum requis en termes de ressources humaines, matérielles et financières, l’administration d’une municipalité nécessite désormais des compétences améliorées et pointues.

Dans un premier temps, il faut revoir le mode de financement de nos collectivités municipales qui, outre certains paiements de transferts, est principalement basé sur l’impôt foncier (la taxe municipale).

Ce système a pour effet d’institutionnaliser la pauvreté dans nos régions, car la richesse foncière imposable des immeubles taxables y est généralement moins élevée que dans les grands centres urbains.

Ainsi, les communautés riches deviennent encore plus riches et les communautés pauvres, encore plus pauvres et dévitalisées. C’est un cercle vicieux qui dure depuis trop longtemps. Au cours des 25 dernières années, les municipalités ont déployé de vastes opérations marketing afin d’attirer citoyens et industries. Elles sont devenues de véritables machines à collecter des revenus fiscaux. Or, cette façon de faire ne fonctionne plus. Il est primordial que les municipalités puissent se financer sans devoir entrer en concurrence les unes avec les autres.

En plus des effets pervers résultant de son mode de financement, la ruralité a vu son territoire se transformer au gré de la croissance importante de la richesse foncière liée à l’étalement urbain des grands centres comme Montréal et Québec. Ainsi, on a vu naître une ruralité de proximité gentrifiée, aux côtés d’une seconde ruralité, éloignée et encore plus pauvre. Le financement municipal doit s’affranchir de la taxe foncière basée sur l’évaluation du marché. On doit concevoir un mode de financement alternatif dans lequel le gouvernement du Québec serait partie prenante. L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a publié en 2021 une étude portant sur les différents modèles de fiscalité municipale⁠1. Aucun n’est parfait, mais il existe d’autres façons de financer les municipalités qui diminuent les inégalités systémiques actuelles. L’impôt sur le revenu, assorti d’une redistribution de la richesse collective déterminée par le gouvernement central, est l’une de ces pistes qui permettraient d’assurer la pérennité des régions.

Dans un second temps, pourquoi ne pas remettre à l’ordre du jour politique la question du nombre trop élevé de municipalités locales ? Plusieurs d’entre elles ne comptent que quelques centaines d’habitants. Or, l’identité collective d’un canton de 300 habitants ou d’un hameau de 1000 personnes ne peut plus reposer sur la seule existence d’un conseil municipal. Dans un tel contexte, le concept de l’autonomie municipale relève de l’absurde. Les microentités municipales n’ont pas les moyens de financer des infrastructures adéquates et de se doter d’une fonction publique compétente – il existe une pénurie criante de ressources humaines en région. Regrouper des élus au sein d’un même conseil municipal ne constitue pas un aveu de défaite ; cela ne revient pas à signer un acte de disparition. Il s’agit plutôt de donner un second souffle aux régions touchées par la dévitalisation de leur territoire.

À chaque consultation portant sur des projets de fusions municipales, les mêmes arguments négatifs sont mis de l’avant par leurs opposants : perte d’identité, perte du gouvernement de proximité et hausse des taxes à court terme. L’argument de la baisse des services ne semble pas convaincre les populations concernées de la nécessité de fusionner certaines entités municipales. Pourtant, un fait demeure : les salles d’assemblée des conseils municipaux en ruralité sont souvent vides, le taux de participation aux élections demeure relativement faible et les candidats à la mairie ne se bousculent pas au portillon. Ainsi, en 2017, pour l’ensemble du Québec, seulement 561 postes de maire et 2909 postes de conseiller ont fait l’objet d’une élection, sur une possibilité de près de 8000 postes au total. Cette année-là, 217 conseils municipaux ont été élus par acclamation⁠2. Lors du scrutin de 2021, le nombre d’élus sans opposition s’est élevé à 4355, tandis que seulement 2478 postes étaient soumis au vote⁠3. Depuis une vingtaine d’années, le taux de participation aux élections municipales demeure famélique, à environ 44 % ⁠4. Pourquoi perpétuer un tel régime, digne du siècle dernier ? Le sacro-saint principe de la démocratie de proximité ne serait-il qu’illusion ?

1. Eve-Lyne Couturier et Nicolas Viens, Fiscalité municipale : une réforme nécessaire pour une transition juste, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 2 juin 2021

2. Données tirées du ministère des Affaires municipales et du Directeur général des élections

3. « Nombre de postes, de personnes candidates, de personnes élues sans opposition, de postes vacants et de postes en scrutin selon le type de poste », Données relatives à l’élection générale municipale 2021, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec

4. Données tirées du ministère des Affaires municipales et du Directeur général des élections

Qui est Stéphane Gendron ?

photo fournie par l'éditeur

Stéphane Gendron

Ancien maire de Huntingdon (2003 à 2013) et animateur bien connu, Stéphane Gendron a participé à la production de cinq documentaires, dont deux sur la ruralité et les régions : Les autres. Les immigrants peuvent-ils sauver Huntingdon ? (2014) et La détresse au bout du rang (2020).

Rapailler nos territoires
Plaidoyer pour une nouvelle ruralité

Rapailler nos territoires
Plaidoyer pour une nouvelle ruralité

Écosociété, 31 mai 2022

144 pages