Ces images auront frappé l’imagination : des patrouilles frontalières à cheval, chassant des migrants venus d’Haïti, alors qu’ils tentaient de franchir le Rio Grande à Laredo. Devenues le symbole de la politique frontalière américaine, elles portent le sceau de la politique trumpienne, qui a fait de l’immigration son cheval de bataille et de la frontière son fer de lance.

Depuis mars 2020, 15 minutes à peine sont nécessaires à la patrouille frontalière américaine pour renvoyer au Mexique des demandeurs d’asile qui se présentent, après des semaines, des mois, parfois des années d’errance migratoire, à un poste frontalier, ou qui sont interceptés s’ils tentent la traversée de la frontière mexicano-américaine.

Ces mesures expéditives reposent sur la résurrection d’une disposition du Public Health Service Act américain de 1944, le titre 42, qui permet au gouvernement fédéral de prendre des mesures d’urgence pour freiner la propagation de maladies transmissibles. En cas de pandémie, les Centers for Disease Control (CDC) peuvent donc bloquer les entrées de personnes et de marchandises sur le territoire américain, sous réserve d’obtenir l’aval du président.

PHOTO KENNETH FERRIERA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Donald Trump, à Greenwood, au Nebraska, le 1er mai

En 2020, pour la première fois depuis sa création, un président américain – Trump – a eu recours à cette disposition légale, dans le but de prévenir la transmission de la COVID-19. Anthony Fauci, conseiller médical en chef du président des États-Unis, s’y était opposé, mais l’administration républicaine avait justifié sa nécessité pour éviter des éclosions dans les centres de détention migratoires.

Le droit des réfugiés bafoué

Deux ans après sa mise en œuvre, les autorités américaines ont révélé avoir utilisé le titre 42 près de 1,8 million de fois, notamment pour freiner l’arrivée de demandeurs d’asile se présentant à la frontière sud. En accord avec les autorités mexicaines, les Salvadoriens, les Guatémaltèques, les Honduriens et les Mexicains, tout comme certains Haïtiens, sont systématiquement refoulés. Environ 130 000 familles et enfants ont été renvoyés du côté mexicain de la zone frontalière. Les autres sont emprisonnés temporairement dans des centres de détention migratoires (malgré le risque d’éclosion) avant d’être expulsés vers leur pays d’origine, nonobstant les risques de persécution qu’ils y courent.

En septembre 2021, malgré les contestations aux États-Unis et à l’international, 7000 Haïtiens ont été renvoyés dans leur pays. Seuls 272 individus en deux ans ont été soustraits à l’application du titre 42 et ont pu demander l’asile en raison d’un risque imminent de torture dans leur pays d’origine. Autre aspect inquiétant : la Customs and Border Protection a collecté les données biométriques et les informations de contact des personnes refoulées sous le titre 42, sans que l’on sache comment ces données vont être utilisées à l’avenir, et si cela affectera la capacité des individus concernés de demander l’asile aux États-Unis.

En renvoyant des demandeurs d’asile dans leur pays d’origine malgré le risque de persécution, et en en refoulant d’autres au Mexique dans une région frontalière réputée dangereuse – surtout pour la population vulnérable que sont les demandeurs d’asile –, les États-Unis contreviennent à leurs obligations internationales en matière de droit des réfugiés.

Selon le principe de non-refoulement, toute personne souhaitant déposer une demande d’asile ne doit pas être renvoyée dans un territoire où l’on risque de porter atteinte à sa vie, à sa liberté ou de la persécuter. Un principe largement bafoué puisque, refoulés au Mexique sans savoir s’il leur sera possible (ni quand) de présenter une demande d’asile formelle aux États-Unis, les demandeurs d’asile se heurtent aux cartels. Des chercheurs ont recensé pas moins de 6300 cas de violence sur des personnes refoulées au nom du titre 42 en deux ans. L’application de cette provision a remis en cause les engagements internationaux des États-Unis auprès des personnes en quête de protection, à une époque où les crises humanitaires et le nombre de réfugiés dans le monde se multiplient.

Et maintenant ?

Après une longue année, pendant laquelle la Maison-Blanche a requis la « patience » des demandeurs d’asile, arguant du besoin de préalablement restaurer un système d’asile efficace et ordonné, elle a finalement obtempéré : l’administration a tenu compte de la recommandation des CDC qui estiment que les conditions sanitaires actuelles et les nouveaux moyens de lutte contre la COVID-19 permettent de mettre un terme au titre 42. Cette mesure « d’urgence » sera donc abolie le 23 mai. Pour un temps au moins, puisque le président américain se heurte à de multiples oppositions tant au Congrès que devant les tribunaux, plusieurs États poursuivant en justice l’administration démocrate dans le but de maintenir la politique. La question fait grand bruit aux États-Unis, et force est de constater qu’elle participe surtout à la théâtralisation de la frontière.

Si cette loi est reléguée aux oubliettes, les États-Unis reviendraient à la pratique prépandémie, basée sur les Migrant Protection Protocols, qui ont été instaurés par la présidence Trump et imposés par la Cour suprême sous l’administration Biden. Selon ce programme, les demandeurs d’asile de la plupart des pays d’Amérique latine se présentant à la frontière sud doivent également attendre au Mexique que leur demande soit traitée par les autorités américaines et sont toujours exposés à la violence des cartels – mais leur demande d’asile est prise en compte et ils pourront plaider leur cause devant un juge en immigration.

Ainsi, plus d’un an après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président, l’empreinte du mandat de Donald Trump sur le système d’immigration américain est loin de s’être effacée.

Plus près qu’on pense

De mars 2020 à novembre 2021, une situation similaire s’est déroulée à la frontière canado-américaine, également fermée aux demandeurs d’asile. Ceux-ci devaient patienter aux États-Unis jusqu’à ce que les processus de traitement des arrivées au Canada soient de nouveau opérationnels. Le gouvernement canadien avait réagi en quelques semaines, contrairement à son homologue américain, et mis en place des dérogations à cette fermeture exceptionnelle pour les mineurs non accompagnés ou ceux ayant de la famille au Canada. Néanmoins, le système d’immigration a été durement touché par la pandémie, ce qui entraîne aujourd’hui des délais supplémentaires pour le traitement des demandes d’asile et des visas temporaires qui leur sont associés.

Pour aller plus loin

  • La balado Homeland Insecurity, par RAICES
  • La balado Migrations en questions, de l’ERIQA
  • Les livres Empire of Borders et Build Bridges, Not Walls de Todd Miller