La lutte contre l’urgence climatique est en panne au Québec. Loin de diminuer, nos émissions de gaz à effet de serre augmentent. Si bien que même le ministre de l’Environnement ne croit plus à notre cible de réduction pour 2030 ! Renverser la vapeur, pourtant, est possible. Voici dix propositions pour y arriver.

Une cible, 10 flèches

Dans les années 1960, le Québec s’est transformé de fond en comble.

En l’espace de quelques années, nous avons complètement réinventé notre système d’éducation, nationalisé l’électricité et créé la Caisse de dépôt et placement du Québec. Nous avons réformé le Code du travail, modifié le statut juridique des femmes et créé plusieurs nouveaux ministères.

En 1966, 20 stations du métro de Montréal ont été inaugurées. D’un coup, quatre ans après le début des travaux.

Aujourd’hui, la province est engagée dans une autre transformation majeure : devenir une société à faibles émissions de carbone.

Il y a toutefois un problème. Celui qui devrait être le principal porteur de ballon de cette métamorphose, le ministre de l’Environnement Benoit Charette, affirme être allé au bout de ses possibilités.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Benoit Charette, ministre de l’Environnement du Québec

Le Québec émet actuellement 84,3 mégatonnes d’équivalent CO2 par année. Il s’est engagé à ramener ce chiffre à 54 mégatonnes d’ici 2030.

« On pense plutôt qu’on va être à 71 mégatonnes », a lancé le ministre le mois dernier à notre journaliste Charles Lecavalier1.

L’aveu d’échec est d’autant plus étonnant qu’il y a 18 mois à peine, le ministre avait lui-même fait inscrire cette cible dans une loi.

Jeudi dernier, le gouvernement Legault a dévoilé sa plus récente stratégie pour atteindre les objectifs de son Plan pour une économie verte. Le message a été recadré. On n’a toujours identifié que la moitié des réductions pour atteindre la cible de 2030. Mais plutôt que de dire que l’objectif est inatteignable, on dit garder espoir de dénicher des mesures additionnelles au cours des prochaines années pour l’atteindre.

C’est évidemment hypothétique. Surtout que les réductions déjà prévues sont loin d’être dans la poche. Une analyse de HEC Montréal a montré qu’elles reposent en grande partie sur des mesures qui se sont avérées inefficaces par le passé2.

Il est vrai que le ministre – et l’ensemble de la société – affronte un défi colossal. Comme notre production d’électricité n’émet déjà presque rien, le Québec ne peut aller chercher des gains faciles de ce côté. Et l’inaction des gouvernements précédents rend la tâche particulièrement complexe.

Depuis 2014, nos émissions montent au lieu de descendre. Pire : que ce soient les transports, l’industrie, le bâtiment, l’agriculture ou les déchets, aucun secteur ne génère aujourd’hui de réductions.

Si bien que le gouvernement Legault a renoncé à aligner les efforts sur les objectifs.

Facile, donc, d’être cynique et découragé.

Des idées pour décarboner le Québec, il n’en manque pourtant pas. Le Sommet climat Montréal, qui se tient cette semaine, promet d’accoucher de propositions concrètes. Dans les universités, les idées foisonnent. Des groupes comme le collectif G15+, qui allie tant des patrons que des syndicats, ont déjà publié de nombreuses propositions.

Le mois dernier, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est venu dire la même chose : les réductions sont possibles, sur les plans tant technologique qu’économique.

Vrai, plusieurs mesures structurantes mettent du temps à porter leurs fruits. Et il commence effectivement à être minuit moins une pour notre cible de 2030. Mais cela devrait pousser à l’action, pas à l’inaction.

Au-delà de l’objectif de 2030, le Québec a une autre cible : atteindre la carboneutralité en 2050. Or, sans actions décisives et rapides, il la ratera, elle aussi.

Comment renverser la vapeur ? Le plan présenté cette semaine par le gouvernement Legault met beaucoup l’accent sur l’industrie, qui émet près de 30 % de nos émissions. C’est un morceau essentiel du casse-tête. Mais il reste plusieurs chantiers à lancer dans les autres secteurs.

Ce dossier présente 10 pistes pour nous rapprocher de nos cibles. Évidemment, 10 mesures ne transformeront pas à elles seules le Québec en société à faibles émissions de carbone.

« Il faut une salve de flèches pour atteindre une cible », illustre François Delorme, ex-collaborateur du GIEC et chargé de cours en économie à l’Université de Sherbrooke.

Ce dossier n’a donc pas la prétention d’être un plan de réduction des GES. Il vise plutôt à montrer qu’il existe des outils inutilisés dans notre coffre.

Pour chaque action proposée, on pourra cerner des obstacles à leur implantation, dont certains sont sérieux. C’est inévitable. Personne n’a dit que c’était facile, comme le chante Coldplay.

Mais quand le gouvernement affirme qu’il est compliqué de capter les biogaz de tous les sites d’enfouissement de la province, repensons à la Révolution tranquille des années 1960 et au niveau d’ambition qui régnait à l’époque.

Même chose quand, au royaume de l’hydroélectricité, on trouve des raisons de construire de nouveaux bâtiments qui chauffent au gaz naturel.

Pour respecter notre engagement, il faut éliminer 30 mégatonnes de carbone de notre bilan annuel d’ici la fin de la décennie. C’est le projet de société qu’attendent de nombreux Québécois, notamment les jeunes.

Se donner des chances d’y parvenir commande de faire la guerre à chaque demi-mégatonne. Cela commande… une deuxième Révolution tranquille.

1. Lisez l’article « “Impossible” d’en faire plus, juge Benoit Charette » 2. Consultez l’analyse

Modérer nos transports !

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Avec 44 % des émissions, les transports sont la bête noire du Québec. À lui seul,le transport routier représente 80 % de ce bilan. Et ses émissions, loin de diminuer, sont en pleine explosion. Ici, il n’y a pas de secret : il faut décourager l’usage des véhicules polluants tout en offrant des solutions de rechange. Sinon, on ne fera qu’attaquer le portefeuille des citoyens sans générer de gains environnementaux.

Monter dans le train

Vous saviez que la CAQ avait promis une stratégie ferroviaire pour le Québec ? C’était en 2019. Depuis, un forum de concertation a été mis sur pied. Et sur le terrain, il y a un peu de mouvement. La liaison Gaspé–Matapédia, interrompue en 2013, est en voie d’être réhabilitée. Même chose pour la liaison Charny–Thetford Mines, dans Chaudière-Appalaches.

Mais on cherche encore la vision structurante qui diminuerait substantiellement l’usage du camion, de la voiture ou de l’avion. On cherche, aussi, les budgets qui permettraient de l’articuler.

Pierre-Olivier Pineau, expert en énergie à HEC Montréal, souligne que pour le même nombre de passagers ou le même nombre de tonnes transportées, le train génère 90 % moins de GES que le transport routier.

Les autres avantages d’une telle stratégie sont qu’il est beaucoup plus facile d’électrifier des trains que des véhicules routiers et que le train coûte moins cher.

Pierre-Olivier Pineau, expert en énergie à HEC Montréal

C’est sans compter que dans ce cas, il n’y a ni habitudes à bousculer ni grogne à prévoir. Connecter les villes du Québec contribuerait au contraire à unifier la province.

Le mois dernier, le gouvernement Legault a plutôt annoncé des dépenses de 261 millions de dollars pour offrir des billets d’avion à prix réduit à ceux qui souhaitent voyager à l’intérieur des frontières de la province, subventionnant ainsi le mode de transport le plus polluant qui soit.

Les bottines doivent suivre les babines

Le Plan québécois d’infrastructures 2022-2032 présenté en mars dernier par le ministre des Finances Eric Girard prévoit deux fois plus d’argent pour entretenir et bonifier le réseau routier (30,7 milliards de dollars) que pour les transports en commun (14,7 milliards).

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre des Finances Eric Girard lors de la présentation de son budget, en mars

L’Ontario, pour la même période, prévoit d’investir trois fois plus dans les transports en commun (61,6 milliards) que dans les routes (21 milliards).

Si on veut inverser les tendances des déplacements, il faut impérativement en inverser le financement. Comme le disent les anglophones, il faut que l’argent suive le discours (put your money where your mouth is).

Sus aux VUS

Quelle la principale cause de l’augmentation de GES au Québec depuis 2014 ?

Selon la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, ce sont les VUS qui ont pris nos routes d’assaut.

Le problème est archiconnu : le nombre de véhicules augmente trois fois plus vite que la population, et ces véhicules sont de plus en plus gros. On n’a aucune chance d’atteindre nos cibles si on ne s’y attaque pas.

La stratégie actuelle mise presque uniquement sur les mesures incitatives pour les voitures électriques.

Le hic : chaque fois qu’il se vend une voiture électrique, il se vend aussi 15 camions légers. On marche sur un tapis roulant qui recule.

François Delorme, chargé de cours à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, explique qu’il y a une gradation dans les mesures qu’un gouvernement peut prendre pour modifier des comportements. D’abord la sensibilisation et les mesures incitatives, puis la taxation, et enfin la réglementation.

Dans le cas des véhicules, l’échec de l’approche actuelle montre qu’il est plus que temps de passer à l’étape suivante. « En économie comportementale, on sait qu’une taxe est plus efficace qu’une incitation », souligne par ailleurs François Delorme.

PHOTO CHRIS HELGREN, ARCHIVES REUTERS

Le cabinet du ministre Benoit Charette réplique que même si on troquait tous les VUS de la province contre des voitures, on retirerait moins d’une mégatonne de GES par année. Et que, de toute façon, le problème se réglera entre 2027 et 2035 avec l’électrification du parc de véhicules.

Mais il faut rappeler que chaque VUS vendu aujourd’hui polluera encore dans 10 ans. Et que celui vendu dans 10 ans polluera jusqu’en 2042 et même au-delà. Le manque d’action actuel plombe donc notre bilan à long terme.

Il faut par ailleurs voir la taxe sur les véhicules énergivores comme l’un des ingrédients d’une salade de mesures (développement des transports en commun, promotion de l’autopartage, densification des milieux urbains) qui doit être déployée afin de réduire à la fois le nombre et la taille des véhicules.

Dans des trajectoires vers la carboneutralité qui seront bientôt publiées, l’Institut de l’énergie Trottier mise sur une réduction de 12 à 18 % dans le secteur des transports d’ici 2030. Pour ça, il faudra atteindre la nouvelle cible de 1,6 million de véhicules électriques sur nos routes d’ici 2030, annoncée par Québec jeudi dernier.

Mais les calculs des chercheurs montrent qu’il faudra aussi plafonner le nombre de véhicules et diminuer « significativement » leur taille pour y arriver.

Taxer les véhicules énergivores n’est par ailleurs pas une hérésie sociale puisqu’il existe des solutions de rechange moins onéreuses, tant à l’achat qu’à la pompe.

Donner un coup de fil à Sture Portvik

Sture Portvik est directeur de la mobilité électrique pour la ville d’Oslo, en Norvège. Le mois dernier, l’organisme Vivre en ville l’a invité à donner une conférence virtuelle.

La Norvège retient l’attention du monde entier parce que plus de 90 % des nouvelles voitures vendues y sont électriques. Mais la ville d’Oslo ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, 
ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Voitures électriques en recharge à Oslo, 
capitale de la Norvège

En une diapositive, M. Portvik a montré à quel point le niveau d’ambition qui anime la capitale scandinave est à des années-lumière de celui qui règne chez nous. On y indique que les objectifs de la ville sont d’électrifier…

  • 100 % des nouvelles voitures vendues d’ici 2025 ;
  • 100 % des nouveaux camions légers d’ici 2025 ;
  • 100 % des camions lourds d’ici 2030 ;
  • 100 % des taxis d’ici 2024 ;
  • 100 % des autobus d’ici 2025 ;
  • 100 % des transports publics d’ici 2028, y compris les traversiers.

Ajoutons que 100 % des livraisons effectuées en ville devront être carboneutres d’ici 2025 à 2030. Et que malgré les généreuses mesures incitatives à l’achat de véhicules électriques, les déplacements en voiture ont diminué de 19 % à Oslo.

On peut choisir de trouver toutes sortes de raisons de ne pas faire la même chose. Ou reconnaître que certains agissent beaucoup plus fermement que nous et nous en inspirer.

Nos bâtiments, nos modes de vie

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Nos bâtiments, notre alimentation, nos ordures et la façon dont on construit nos villes et nos villages influencent nos émissions de GES. Et il reste des pierres à retourner dans tous ces secteurs.

Interdire les combustibles fossiles dans les nouveaux bâtiments

Au Québec, royaume de l’hydroélectricité, le chauffage des bâtiments par le mazout et le gaz naturel génère 10 % de nos émissions. Et le bilan, malheureusement, s’alourdit. C’est une pièce essentielle du casse-tête.

Le gouvernement prévoit pouvoir réduire les émissions des bâtiments de 36 % d’ici 2030 en encourageant la conversion des systèmes de chauffage et l’efficacité énergétique. Ce n’est pas rien.

Mais dans ses trajectoires de carboneutralité pour le Québec, l’Institut de l’énergie Trottier compte sur des réductions beaucoup plus massives pour la même période : 85 % pour les bâtiments institutionnels et gouvernementaux, 60 % pour les bâtiments résidentiels et 40 % pour les bâtiments commerciaux d’ici 2030.

C’est tout un contrat.

Le premier défi est que les efforts sont éparpillés sur des centaines de milliers de bâtiments.

Le deuxième est que faire passer tous ces bâtiments à l’électricité mettrait une pression importante sur le réseau d’Hydro-Québec, particulièrement en période de pointe hivernale.

Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier, fait toutefois remarquer que si on veut atteindre la carboneutralité en 2050, il faudra tôt ou tard apprendre à gérer la fameuse pointe de consommation sans s’appuyer sur la béquille des combustibles fossiles.

La solution passe inévitablement par une bonification du réseau d’Hydro-Québec. Par des efforts d’efficacité énergétique pour ne pas gaspiller notre précieuse électricité, bien que la pénurie de main-d’œuvre risque de limiter les gains possibles. Rénover des millions de bâtiments, ça demande des bras qu’on n’a pas nécessairement.

Les solutions technologiques auront aussi un rôle à jouer. Des experts comme Normand Mousseau et Bernard Saulnier, ingénieur retraité de l’Institut de recherche en électricité du Québec, évoquent des systèmes de stockage thermique.

Une première étape serait en tout cas d’arrêter d’empirer le problème. Selon Énergir, encore 10 % des nouveaux bâtiments construits au Québec sont dotés de systèmes de chauffage au gaz naturel.

En parallèle, l’Institut de l’énergie Trottier propose d’adopter un nouveau code du bâtiment pour s’assurer que tout ce qui se construit désormais utilise le moins d’énergie possible.

Taxer la viande rouge

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Peu importe l’endroit où les réductions se produiraient, modifier nos habitudes alimentaires réduirait les GES émis sur la planète.

On entend déjà les carnivores s’étouffer dans leur filet mignon et les aficionados du bacon s’étouffer dans leur tartare. La proposition est dans l’air depuis un moment, notamment soutenue par la fiscaliste Florence Lavoie-Deraspe et l’économiste François Delorme.

Il est vrai que puisque 85 % de notre production de porc est exportée et que les trois quarts du bœuf que nous consommons sont importés, ces efforts ne se refléteraient pas directement dans notre bilan de GES.

Mais peu importe l’endroit où les réductions se produiraient, modifier nos habitudes alimentaires réduirait les GES émis sur la planète. Ultimement, c’est ce qui compte.

On verrait aussi bel et bien un effet sur notre bilan. L’agriculture représente 9 % de nos émissions. Du lot, ce qu’on appelle la « fermentation entérique » (les gaz et les rots des vaches) et la gestion du fumier comptent pour 64 % du total.

Socialement, une telle taxe est justifiable. Il existe des solutions de rechange moins chères au bœuf et au porc, par exemple les légumineuses et le tofu. En plus, elles sont meilleures pour la santé. Il faudrait accompagner la taxe d’efforts d’éducation.

Karel Mayrand, PDG de la Fondation du Grand Montréal, souligne qu’un premier effort pourrait être fait dans les cafétérias des écoles, des hôpitaux et des CHSLD publics. La suite logique est de discuter d’une taxe sur les produits laitiers, dont la production génère aussi beaucoup de GES.

Cesser de dormir au gaz

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

D’ici 2030, il serait possible de réduire de 90 % les émissions polluantes des déchets en captant les biogaz qui s’échappent des sites d’enfouissement, comme ici dans le parc Frédéric-Back à Montréal. Ces sphères protègent les puits de captation de biogaz.

Voilà un gain relativement facile pour le Québec. Nos déchets génèrent 6,7 mégatonnes de GES par année. Selon l’Institut de l’énergie Trottier, il serait possible de réduire ces émissions de 90 % d’ici 2030.

Comment ? En captant les biogaz qui s’échappent des sites d’enfouissement.

Ici, il n’y a rien à inventer. Le gouvernement impose déjà le captage des biogaz sur les plus grands sites d’enfouissement, où se retrouvent 85 % des matières résiduelles du Québec. À Montréal, par exemple, les curieuses sphères blanches du parc Frédéric-Back captent le méthane de l’ancien site d’enfouissement de la carrière Miron et l’acheminent à la centrale Biomont pour le transformer en électricité.

Il reste à équiper les plus petits sites, y compris ceux qui ne sont plus en activité. Bref, à traquer les déchets partout où ils se trouvent.

« Ces technologies sont très peu coûteuses, bien maîtrisées et ne demandent qu’à être déployées », souligne l’Institut de l’énergie Trottier dans son document à paraître.

Une autre avenue est de dévier la matière organique vers des biodigesteurs plutôt que vers les sites d’enfouissement – en les récupérant avec le fameux bac brun, par exemple.

En janvier dernier, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement a montré à quel point nous dormons au (bio)gaz à ce chapitre.

À peine 27 % de la matière organique est recyclée au Québec, à des années-lumière de notre objectif de 60 % qui avait été fixé… pour 2015. Québec a récemment répondu en injectant 1,2 milliard pour une stratégie qui vise à récupérer 100 % de la matière organique, une initiative à saluer.

Réduire la pollution générée par nos ordures pourrait empêcher l’émission de 6 mégatonnes de GES par année, sans même bousculer nos habitudes. C’est tout de même 20 % des 30 mégatonnes à trouver d’ici 2030.

Adopter l’étalement zéro

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pourquoi abattre des forêts pour faire du lotissement quand les espaces situés dans les zones habitées sont déjà suffisants pour accueillir la croissance démographique ?

Il n’y a aucun besoin au Québec de défricher des champs et d’abattre des arbres pour construire des maisons, des bibliothèques, des centres commerciaux ou des usines. Les espaces situés dans les zones habitées sont déjà suffisants pour accueillir la croissance démographique.

C’est pourquoi l’organisme Vivre en ville propose une politique d’« étalement zéro ». L’idée : utiliser les « friches industrielles, terrains vacants, stationnements de surface, bâtiments désuets et parcelles déjà construites, mais pouvant être densifiées de façon douce ou marquante », résume Christian Savard, directeur général de l’organisme.

En plus de préserver la biodiversité et les terres agricoles, l’avantage est que l’on construit ainsi des habitations et des lieux de travail moins excentrés, qui n’exigent pas l’utilisation de l’automobile.

Utopique ? La France a un objectif « zéro artificialisation nette » qui vise exactement cela.

Gérer le carbone

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

D’autres leviers peuvent être déployés pour limiter nos émissions de GES. Des leviers aussi différents que le marché financier… et les forêts. Mais ces outils doivent être optimisés afin de servir nos objectifs.

Réparer le marché du carbone

Le marché du carbone établi entre le Québec et la Californie est censé être au cœur de notre stratégie de lutte contre les GES. Malheureusement, il est brisé.

Dans ce marché, les pollueurs doivent acheter des droits de polluer pour compenser les tonnes de carbone qu’ils émettent. Cela revient à fixer un prix sur le carbone.

Un exemple : chaque fois que la tonne de carbone augmente de 10 $, le prix du litre d’essence grimpe d’un peu plus de 2 cents.

Le problème est que le prix reste désespérément bas sur le marché québéco-californien. Aux dernières enchères, la tonne de carbone s’y est vendue 37,14 $.

Dans les provinces où c’est le fédéral qui impose sa taxe carbone, comme en Ontario et en Alberta, le prix est plutôt de 50 $ la tonne. Sur le marché du carbone de l’Union européenne, la tonne s’échange autour de 82 euros, soit environ 112 $ CAN. La Suède a une taxe qui équivaut à 155 $ CAN.

Et la tendance n’est pas près de se renverser. Québec a révélé jeudi qu’il anticipe un prix de 97 $ la tonne sur son marché en 2030, alors que la taxe fédérale sera alors de 170 $.

Cette situation est gênante pour le Québec. Pour entraîner des changements, le prix sur le carbone doit être assez élevé. L’objectif n’est pas de faire payer les pollueurs, mais de les pousser à moins polluer.

Pourquoi le prix du carbone ne décolle-t-il pas au Québec ? Comme dans tout marché, c’est parce que l’offre est trop élevée par rapport à la demande. Il y a trop de droits de polluer qui circulent.

Pour réduire l’offre, Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, propose de retirer les droits de polluer du passé qui n’ont pas été utilisés. Et pour augmenter la demande, il recommande d’obliger davantage de secteurs à présenter des droits de pollution. Québec prétend que 80 % des émetteurs sont assujettis au marché du carbone, mais l’expert calcule que cette proportion est plutôt de 72 %.

Transformer nos forêts en puits de carbone

Le Québec sera bientôt confronté à un problème. Il vise la carboneutralité en 2050, mais il ne parviendra jamais à éliminer complètement ses émissions.

Pour atteindre zéro, il faudra donc générer des émissions… négatives. En clair, capter du carbone au lieu d’en émettre.

Pour ça, la nature a un outil imbattable : les arbres. Ces machines à retirer du carbone de l’atmosphère fonctionnent en plus à l’énergie solaire, une source non polluante.

Le Québec est riche de ses forêts. Et il pourrait mieux en profiter.

La foresterie doit changer de paradigme pour devenir un outil de gestion du carbone. On doit transformer nos forêts en puits de carbone.

Claude Villeneuve, professeur de sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Chicoutimi

Ça ne veut pas dire d’arrêter de couper les arbres. Ça veut de dire bien suivre le bois sur l’ensemble de son cycle de vie. Le professeur Claude Villeneuve, qui est aussi directeur de Carbone boréal, un programme de compensation de GES, explique que lorsqu’on coupe un arbre et qu’on le débite en planches, le carbone capté par l’arbre au cours de sa vie reste emprisonné dans ces planches tant qu’elles ne sont pas envoyées au dépotoir pour s’y dégrader.

Dans le meilleur des mondes, c’est-à-dire avec une gestion durable des forêts, un nouvel arbre prend la place de l’ancien et capte du carbone à son tour.

M. Villeneuve propose de suivre et de documenter ces activités dans nos forêts publiques. Si c’était bien fait et que le Québec pouvait démontrer un bilan négatif de carbone, il pourrait en tirer des crédits (dits « compensatoires ») qu’il pourrait vendre sur le marché du carbone ou appliquer à son propre bilan pour atteindre ses cibles.

Autre avenue : les résidus forestiers (copeaux, écorce, branches) peuvent être utilisés comme source d’énergie. Ça s’appelle la biomasse et ça se fait déjà au Québec. En utilisant cette biomasse pour faire fonctionner une cimenterie, par exemple, puis en captant le CO2 émis pour l’emprisonner dans le béton, on pourrait aussi générer des émissions négatives.

Les technologies de captage et de séquestration qui permettent cela sont encore en développement, mais le Québec ferait bien de s’y intéresser dès maintenant.