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Les gens savent-ils que les enseignants risquent des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement s’ils révèlent au grand public les lacunes et les dérapages de leur école ou de leur centre de services (CSS) ?

Sonia Bahl, enseignante

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’un grand nombre d’enseignants a été piqué au vif par les propos de Gregory Charles publiés dans nos pages la semaine dernière.

M. Charles accordait une entrevue à notre collègue Alexandre Pratt, qui voulait lui parler des différences entre ses différentes cohortes d’élèves en musique et en chant au fil des ans. Chroniqueur aux sports, Alexandre Pratt avait fait le même exercice avec des coachs sportifs. Durant la discussion, Gregory Charles a partagé quelques-unes de ses propositions pour notre système d’éducation.

Cette entrevue a provoqué un véritable raz-de-marée de réactions. Une des plus fréquentes : « Laissons aux experts, les enseignants, le soin de trouver des solutions aux maux du système d’éducation. Ce sont eux qui connaissent la réalité des écoles. Or, on ne les écoute jamais assez. »

Cette critique, on l’entend souvent de la part des enseignants. Ces derniers ont l’impression que leur expertise n’est pas considérée à sa juste valeur. Que leur voix n’est pas entendue. Et c’est d’autant plus vrai, disent-ils, depuis l’adoption du projet de loi 40 (Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaire) qui a été adoptée sous bâillon en février 2020, sans que les enseignants soient consultés.

Mme Bahl nous écrit que les enseignants n’ont pas le droit de s’exprimer publiquement. Pourtant, dans les pages des journaux, à La Presse et ailleurs, on donne souvent la parole aux enseignants. On raconte leurs bons coups dans des reportages, on les interviewe, on présente leurs points de vue et ceux de leurs syndicats. Alors qu’est-ce qui ne va pas ?

En fait, il semble que leur liberté de parole soit à géométrie variable.

Prenons le cas de Sylvain Dancause, un enseignant de mathématiques et de sciences de la région de Québec. M. Dancause tient un blogue en plus de signer une chronique dans les pages du Journal de Montréal et du Journal de Québec. On peut également l’entendre sur QUB Radio. Il n’a pas eu à obtenir la permission de ses supérieurs pour exprimer ses opinions, mais il reconnaît que tous ses collègues ne jouissent pas de la même liberté.

Dans les faits, la plupart des enseignants demeurent très prudents lorsqu’ils s’expriment publiquement. Certains hésitent même à « liker » un statut sur Facebook de peur de représailles. On dit que certains centres de services scolaires (CSS) ainsi que des directions d’école sont particulièrement contrôlants, d’autres moins.

Il n’y a pas de règlement qui empêche les enseignants de prendre la parole pour parler d’éducation. Par contre, il en existe un qui leur impose un devoir de loyauté envers leur employeur.

Est-ce excessif comme règlement ? On pourrait faire remarquer que c’est ainsi dans la plupart des entreprises, qu’on ne peut pas aller dénoncer ce qui s’y passe à l’interne sur la place publique. Mais les enseignants, eux, sont des employés de l’État au service de la population. Certains d’entre eux acceptent donc très mal de ne pas pouvoir alerter l’opinion publique quand quelque chose ne tourne pas rond dans leur milieu de travail.

Avant la COVID, Sonia Bahl avait donc lancé une pétition en faveur de la liberté d’expression des enseignants, une démarche non partisane, insiste-telle, née dans la foulée de l’adoption du projet de loi 40. Deux ans plus tard, alors que nous sortons doucement de la pandémie, l’enseignante a repris le flambeau. En gros, elle demande que le devoir de loyauté exigé des enseignants n’entrave pas leur droit de parole lorsqu’il est exercé dans l’intérêt du public. La pétition, marrainée par la députée de Joliette, Véronique Hivon, sera en circulation jusqu’au 21 mai prochain.

De son côté, l’enseignant Sylvain Dancause et un groupe de collègues travaillent à la mise sur pied d’une association professionnelle d’enseignants qui viendrait leur donner une voix en tant que pédagogues. « Nous avons les syndicats pour nous représenter comme travailleurs, mais nous souhaitons nous exprimer comme professionnels de l’éducation sur des enjeux pédagogiques », explique-t-il.

On le voit, les profs ont des choses à dire et aimeraient pouvoir les dire librement. C’est ce qui explique, en partie, leur vive réaction aux propos des Gregory Charles. Ils ne remettent pas en question son droit de parole. Mais ils aimeraient pouvoir s’exprimer eux aussi. Avec raison. En 2018, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, s’était engagé à « briser la loi du silence » dans le milieu de l’Éducation. Les enseignants attendent toujours.

Lisez « Le cri du cœur de Gregory Charles »