Les modèles qui annoncent le climat futur sont sans équivoque : ça va chauffer. Pour éviter le désastre climatique d’une hausse supérieure à 2 °C, freiner les émissions de gaz à effet de serre est devenu une nécessité. Mais réussira-t-on vraiment à se passer de charbon, de pétrole, de gaz naturel ?

La carboneutralité que l’on vise sera-t-elle suffisante pour réajuster le thermostat planétaire d’ici 2050 alors que la population, les besoins alimentaires et la consommation vont aller en augmentant ? Quelle place pourraient alors prendre le solaire, l’éolien, les bioénergies, le nucléaire et l’hydrogène dans la transition énergétique et écologique qui s’impose ? [...]

La civilisation du pétrole et du moteur à combustion est un immense paquebot qui a commencé sa course il y a plus de 150 ans lorsque John D. Rockefeller a jeté les bases de l’industrie pétrolière. Il n’a pas cessé de s’alourdir avec le temps. Renverser la vapeur n’est pas une mince affaire. L’inertie est considérable. Stopper ce bateau pour passer à une autre forme de civilisation exigera beaucoup de temps et énormément de labeur. [...]

Avec le recul, on peut penser que le seuil des 2 °C proposé au siècle dernier correspondait à un objectif réaliste dans le sens où l’humanité avait suffisamment de temps pour accomplir une transition énergétique. En outre, les scénarios de transition basés sur l’utilisation de l’atome étaient documentés et acceptés par la communauté scientifique. [...]

Trois facteurs ont réduit les chances de devenir carboneutre en 2050. Premièrement, les pays industrialisés n’ont pas respecté leurs engagements de Kyoto. Deuxièmement, on n’avait pas prévu l’émergence fulgurante de la Chine à partir de l’an 2000, puis celle de l’Inde. En 2020, ces deux pays représentaient à eux seuls 36 % des émissions mondiales de CO2, et elles s’intensifient. Troisièmement, le contexte a changé. Le « pas dans ma cour » s’est imposé pour toutes les énergies renouvelables y compris l’hydroélectricité. Le gaz naturel a été classé au rang des énergies maudites et le nucléaire ne fait plus partie de l’équation. Résultat, les projections des années 1990 sont rapidement devenues caduques. Et notre mesure des 2 °C aussi.

En 2022, 25 ans plus tard, le temps commence à manquer. La hausse de température va atteindre sous peu 1,5 °C. Ainsi, l’objectif des 2 °C est désormais utopique, d’autant que les émissions de GES ne ralentissent pas du tout. [...]

L’héritage entropique du pétrole est gigantesque. [...]

C’est la raison principale qui m’amène à conclure que l’objectif des 2 °C est improbable, et l’est encore plus que celui de 1,5 °C. Une autre raison m’incite à être prudent devant un système socio-économique à zéro émission d’ici 30 ans. Certaines technologies ne sont pas commercialisées, du moins pas en quantité suffisante pour satisfaire la demande. C’est le cas des piles à hydrogène pour les poids lourds ou de l’hydrogène vert pour les procédés industriels. [...]

En doutant de la carboneutralité pour 2050, ce livre n’a pas pour but de banaliser les changements climatiques. Bien au contraire, il faut se mettre au travail et adopter un objectif plus atteignable, plus réaliste. [...]

Les modèles climatiques nous brossent un portrait très incomplet de ce qui se passera d’ici 2100. Ce sont des logiciels complexes qui ne couvrent pas encore l’ensemble des interactions terre-océans-atmosphère. Pour cette raison, nos dirigeants doivent continuer à soutenir les chercheurs qui œuvrent dans la modélisation du climat.

Ces modèles sont imparfaits pour une autre raison, qui est que les hausses de température supérieures à 1,2 °C par rapport à l’ère industrielle n’ont pas encore été expérimentées. Au fur et à mesure que de nouvelles données seront disponibles, plusieurs relations seront améliorées. En particulier, il faudra porter attention aux puits de carbone naturels que sont la terre et les océans, un volet important pour améliorer les modèles. La fonte des glaciers et du pergélisol est un autre paramètre à suivre de près. [...]

Les changements climatiques auront des impacts sérieux pour la plupart des communautés du monde. La hausse du niveau des mers, le risque accru d’inondations ou de tempêtes, les sécheresses plus fréquentes ne sont que quelques exemples de manifestations climatiques désagréables, coûteuses et dangereuses.

C’est du ressort de la sécurité publique de se préparer, de prévoir des mesures d’atténuation, de réglementer, etc. Ce champ de recherche est multidisciplinaire. Au Québec, l’atout majeur du consortium Ouranos est d’avoir intégré l’adaptation de la société aux changements climatiques dans sa programmation de recherche. Les Québécois doivent être reconnaissants envers ses fondateurs pour avoir adopté cette vision d’avant-garde.

La science du climat comporte plusieurs aspects qu’il convient de financer. Mais il faut également comprendre que la société devra modifier radicalement sa façon de vivre.

L’illusion carboneutre – Quel temps fera-t-il vraiment après 2050 ?

L’illusion carboneutre – Quel temps fera-t-il vraiment après 2050 ?

Éditions Multimondes, avril 2022

236 pages

Qui est Gaëtan Lafrance ?

Détenteur d’un doctorat en génie, Gaëtan Lafrance a fait carrière comme professeur titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique. Il est un des rares experts dans le domaine de la prévision énergétique. Grâce à ses travaux sur le couplage hydro-éolien et sur l’estimation de la ressource éolienne en milieu côtier par technique satellite, il a reçu le prix J. E. Rankin de l’Association canadienne de l’industrie éolienne. Il est notamment l’auteur de La boulimie énergétique, suicide de l’humanité ? (2002), Vivre après le pétrole – Mission impossible ? (2007) et Quel avenir pour la recherche ? (2009), aux Éditions Multimondes.