Il rigole, Paul-André Linteau, quand on lui dit croire qu’il n’y a peut-être personne qui connaît l’histoire de Montréal aussi bien que lui.

D’une simplicité désarmante, jamais cet universitaire de 76 ans n’oserait lui-même prononcer un tel jugement.

Pourtant, pendant toute la durée d’un entretien de deux heures, ses réponses nous forcent à une seule et unique conclusion : il est une véritable encyclopédie ambulante sur l’histoire de la métropole.

Il commence lui-même par nous parler de l’histoire récente – la réélection de la mairesse Valérie Plante. C’est essentiellement cet épisode qu’il a ajouté à l’édition « augmentée » de son livre Une histoire de Montréal. Et c’est la publication récente de cet ouvrage qui sert de prétexte à notre rencontre au café Cherrier, rue Saint-Denis.

Il évoque, à ce sujet, le défi « d’essayer de faire une lecture de long terme sur des évènements de court terme » lorsqu’on est historien. Par exemple, ceux qui ont cru après la première victoire de Projet Montréal en 2017 que ce n’était qu’un accident de parcours avaient tort.

Lorsqu’on demande ensuite à Paul-André Linteau son avis sur les maires qui ont eu le plus d’influence sur le développement de la ville, il se met à sauter d’une époque à l’autre avec une aisance et un soin du détail qui donnent l’impression qu’il tient à la fois de l’historien, du conteur et de l’analyste des politiques publiques.

Sa réponse ? D’abord Jean Drapeau.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Qu’on l’aime ou pas, il a contribué à démolir des quartiers, à transformer la ville, à moderniser les infrastructures.

Paul-André Linteau

L’historien cite en exemple la construction du métro de Montréal et se permet une digression pour nous expliquer qu’un coup de génie fut de le déployer en retrait des grandes artères comme Sainte-Catherine et Saint-Denis. On évitait ainsi le « désastre » vécu à Toronto, qui, pour construire le sien, avait dû fermer la rue Younge pendant trop longtemps.

Il nous parle ensuite de Jean Doré. De cet élan vers « une démocratie plus locale », un héritage qui, selon lui, ne serait pas étranger aux succès de Projet Montréal. Précis et rigoureux comme un horloger, il prend soin de préciser que le premier coup de barre en ce sens avait été donné par le « dernier président du conseil exécutif » de Jean Drapeau, Yvon Lamarre.

Il fait enfin un détour par le XIXsiècle pour nous parler du maire Raymond Préfontaine. « Malgré tous ses défauts et la corruption énorme qui entourait son administration, il a aussi été marquant en termes de développement urbain. » Notamment en présidant à l’élargissement de rues comme le boulevard Saint-Laurent.

Avertissement : nous n’avons droit qu’à 1000 mots dans cette rubrique, et il nous en faudrait beaucoup, beaucoup plus pour résumer tout ce qu’il nous a raconté.

Nous en profiterons plutôt pour vous expliquer que l’histoire est à Paul-André Linteau ce que la marmite de potion magique est à Obélix. Il est tombé dedans quand il était tout petit.

Sa « chance » a été d’avoir une bibliothèque municipale dans son quartier, qu’il a fréquentée avec sa mère dès qu’il a su lire. Alors que d’autres dévoraient les livres d’aventure de Bob Morane, il se passionnait plutôt pour d’autres publications pour jeunes de la maison Marabout : les documentaires au sujet de l’histoire.

Le voici ensuite au collège classique, où de « très bons professeurs d’histoire » l’ont « vraiment emballé » pour cette matière. De fil en aiguille, il s’inscrit en histoire à l’université. « Sans trop savoir ce que je ferais avec ça », précise-t-il.

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Mais rapidement, il trouve sa voie. En 1967, on offre pour la première fois au Québec un cours d’histoire… du Québec (créé par René Durocher). Il y assiste et, comme pour bien d'autres, un déclic se produit.

« On sortait de la Révolution tranquille. Avoir un cours qui nous permettait de comprendre ses origines, celles du Québec d’aujourd’hui, ça nous fascinait. C’est devenu clair que j’allais travailler dans ce sens-là. »

Et Montréal, dans tout ça ? Patience, on y est presque.

« Je n’acceptais pas le discours de Pierre Elliott Trudeau, qui nous décrivait comme une société arriérée, dominée par le clergé », raconte-t-il.

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Je suis parti avec l’idée de démontrer que les Canadiens français n’avaient pas tous été des porteurs d’eau. Qu’il y avait eu des hommes d’affaires parmi eux, qui avaient participé au développement économique du Québec.

Paul-André Linteau

Il décide alors d’examiner la situation de l’ancienne ville de Maisonneuve, qui prend aujourd’hui la forme du quartier du même nom et « qu’on présentait autour de 1910-1914 comme le symbole de la réussite des Canadiens français ».

Le reste fait partie de l’histoire. Du moins, de son histoire !

On poursuit l’entrevue en évoquant Winston Churchill, qui disait que plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. Il approuve. Alors on lui demande de nous dire ce qu’il pense, dans une perspective historique, de la situation actuelle de la métropole, dont on se plaint souvent, à commencer par l’état de ses rues !

« Je pense que Montréal va très bien maintenant », dit-il.

« On est capable de le démontrer collectivement, avec des statistiques, mais au niveau individuel, beaucoup de gens pensent parfois que les choses sont moins belles qu’elles étaient. C’est le phénomène de la mémoire, les gens ne retiennent que ce qu’ils veulent du passé et ils ont tendance à l’idéaliser. »

La solution pour éviter de sombrer dans le pessimisme culturel ou dans la glorification d’un passé où l’on ne voudrait probablement pas retourner si on nous donnait le choix ? Pour Paul-André Linteau, elle s’impose d’emblée. C’est l’histoire.

« Il y a beaucoup de gens qui ont tendance à déformer un peu le passé pour analyser le présent. D’où l’intérêt de s’informer, de lire sur le passé, de découvrir différents aspects pour situer notre perception du présent », dit-il.

Se pourrait-il aussi qu’un phénomène similaire soit à l’œuvre lorsqu’on entend dire qu’un Québécois francophone ne se sent plus chez lui à Montréal ?

C’est absolument farfelu, dire une chose comme ça ! C’est sûr que les personnes issues de l’immigration, maintenant, maîtrisent beaucoup plus le français qu’il y a 70 ans et que la communication est certainement plus aisée qu’elle pouvait l’être.

Paul-André Linteau

Dire une chose comme ça va carrément, en fait, à l’opposé de sa perception de Montréal. Une ville qu’il décrit dans son ouvrage comme « un carrefour de populations où de nombreux peuples ayant des racines différentes se rencontrent, échangent et sont même en conflit, mais parviennent à trouver des voies de convergence ».

Et que pense-t-il, par ailleurs, des controverses entourant les statues de personnages historiques qu’on cherche à déboulonner ? Par-dessus tout celles du premier ministre canadien John A. Macdonald.

« Je ne pense pas que la solution soit de détruire, mais plutôt d’expliquer », affirme l’historien, qui prône l’installation de panneaux explicatifs pour ne plus passer sous silence le côté sombre de personnages historiques comme Macdonald.

« Éliminer des témoignages » en tentant d’effacer le passé de cette façon s’apparente à « vouloir brûler les livres avec lesquels nous ne sommes pas d’accord », estime-t-il.

« Le passé nous aide à définir ce qu’on ne veut plus. Il nous aide à définir un avenir différent. En ce sens, l’analyse historique est importante parce qu’elle aide à comprendre, à prendre position, à se situer, dit-il. On ne peut pas nier le passé. Il est là ! »

Et s’il est là pour nous éclairer, le passé, c’est en bonne partie grâce à des historiens comme Paul-André Linteau.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je prends du café le matin. Deux ou trois gros gobelets de café, avec beaucoup de lait, d’une petite cafetière espresso traditionnelle.

Les gens que j’aimerais réunir à un souper, morts ou vivants : Raoul Dandurand et Joséphine Marchand, Thérèse Forget Casgrain, Jean Doré, Guy Rocher, Phyllis Lambert.

Un évènement auquel j’aurais aimé assister : L’assemblée du Champ de Mars du 22 novembre 1885 pour dénoncer la pendaison de Louis Riel.

La rue que je préfère : La rue Sainte-Catherine, dont j’ai écrit l’histoire, et dont le long parcours reflète tant de facettes différentes des forces et des influences qui ont façonné Montréal.

Les romans montréalais par excellence : Bonheur d’occasion, de Gabrielle Roy, L’apprentissage de Duddy Kravitz, de Mordecai Richler, et Ce qu’il reste de moi, de Monique Proulx

Les Montréalais que j’affectionne : Une liste non exhaustive : Jeanne Mance, Jacques Viger, John Young, Marie Lacoste Gérin-Lajoie, Oscar et Marius Dufresne, Adrien Hébert, La Bolduc, Sam Steinberg, Judith Jasmin, Lucien Saulnier.

Qui est Paul-André Linteau

  • Né en 1946, à Montréal
  • A commencé à enseigner l’histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1969, ce qu’il a fait jusqu’en 2017. Professeur émérite, il demeure codirecteur du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal au sein de cette université.
  • Parmi ses projets actuels : la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire de l’immigration au Québec, de la Nouvelle-France à nos jours.