Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Mariana Mazza.

Le 25 février 2022. Il est 22 h 45. Je suis dans un restaurant italien de centre commercial à aire ouverte sur le bord de la route, à Fort Lauderdale. C’est mon dernier soir de vacances et je soupe avec des amis. Le vent chaud de la Floride effleure mon visage et me fait du bien. Je suis heureuse. Une femme s’assoit à côté de moi, c’est une amie d’une amie. Nous nous présentons et sans m’avertir, elle me demande si je voudrais aller visiter son église le lendemain matin. Je me suis surprise à répondre oui. Je pense que l’alcool avait son pouvoir dans cette prise de décision.

Le lendemain, je me présente à l’église Calvary Christian Church. En ouvrant la porte, je croise deux motards, lunettes sur la tête, couette peu chevelue attachée serrée et veston patché : Jesus Soldiers. Sous mon regard ahuri, ma nouvelle amie me précise que ce sont des bikers qui se promènent en gang dans les quartiers défavorisés et y distribuent des bibles. Les soldats de Jésus.

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L’église Calvary Christian Church

Je suis abasourdie par la bonté du monde. Les gens qui se promènent dans les corridors en attendant le début de la messe sont parfumés, tout sourire, arborant leurs plus beaux vêtements du dimanche. Moi qui pensais avoir des relents d’odeur de paparmane et croiser uniquement des gens qui s’apprêtent à décéder.

Des enfants cavalent entre des adultes et des adolescents amoureux.

En entrant dans la salle où le pasteur lira des vers de la Bible, une femme nous donne un petit contenant en plastique qui contient une hostie et une gorgée de jus de raisin. Le corps et le sang du Christ. Plus besoin de faire la file pour en obtenir, ça vient emballé, prêt à être consommé.

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Petit contenant en plastique qui contient une hostie et une gorgée de jus de raisin

Je m’installe sur ma chaise, entourée de 2000 croyants, devant un caméraman prêt à filmer la messe. Les lumières s’éteignent. La chorale de 40 chanteurs arrive sur scène, suivie de 2 guitaristes, 1 bassiste, 1 drummer, 3 chanteurs et 1 pianiste. Je me demande si je suis au spectacle de U2 ou dans la maison de Dieu. La chaîne audio est aussi bien calibrée que celle du Centre Bell et le spectacle commence. Deux chansons de 20 minutes sur Jésus et son arrivée sur la terre pour nous sauver. Un écran géant comme celui au cinéma affiche les paroles des chansons. Je me surprends à danser et à chanter à tue-tête ce que je ne prêche pas quotidiennement. Des gens lèvent les bras en l’air en fermant les yeux, laissant leurs larmes se frayer un chemin sur leurs visages illuminés.

Les musiciens ayant terminé leur hymne à Jésus laissent entrer sur scène le pasteur qui, ma foi, n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais. Un jeune de 30 ans, tatoué, fraîchement rasé en dégradé, d’un charisme et d’une beauté uniques, père de deux enfants, marié.

Il communique au moyen de son micro-casque, se déplaçant sur la scène avec la fougue de Michel Barrette et racontant des anecdotes sur Dieu avec le même talent que Jean-Marc Parent. Les gens autour de moi boivent ses paroles comme les disciples de Jésus boivent son sang. Il nous raconte des passages de la Bible comme des amis me racontent leur soirée de brosse.

La technologie dans cette église est tellement au goût du jour que j’ai l’impression d’assister à un évènement d’affaires qui présente un PowerPoint sur les avancées de l’entreprise. Chaque fois que notre pasteur nous récite un passage de la Bible, à l’aide de son iPad, il fait apparaître ledit passage sur le gros écran derrière lui. À aucun moment je ne sens que je ne suis pas à ma place. Ma foi n’est pas ébranlée ni forcée. Je peux vivre le moment présent dans cet endroit, à quelques heures de mon départ, ce qui d’habitude m’aurait stressée. Je prends chaque seconde qui défile devant moi pour observer, sourire, fermer les yeux. Je m’abandonne comme jamais. Jamais je ne m’abandonne. J’aime le contrôle. La lucidité. Quand tout va vite, à mon rythme. Pour une rare fois, je prends le temps d’être dans un endroit totalement hors de mon confort pour m’y blottir sans attentes.

Au bout d’une heure et demie, nous sommes invités à manger notre hostie et à boire notre jus de raisin. Le petit bruit de plastique quand nous soulevons le couvercle du contenant retentit partout, synchronisé, ce qui nous fait tous rire doucement.

Nous sommes bénis. Confessés.

Je regarde ma nouvelle amie et je lui demande si je peux repartir avec la bible. Elle me dit : « Of course. »

Je sais que j’y retournerai un jour. Juste pour arrêter le temps, quand tout ira trop vite et que je serai étourdie.

Aimez-vous les uns les autres.

Qu’ils disent.