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L’exigence du bilinguisme pour les juges est présentement objet de débats en raison de l’article 133 de la Constitution. Cette soi-disant exigence est-elle impérative dans toutes les provinces ou seulement au Québec ? Et qu’en est-il du Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue du Canada ? Merci pour l’info.

Gaston Côté, Longueuil

Monsieur Côté,

La réponse à votre question est loin d’être simple. Pour y voir clair, nous avons demandé les lumières des professeurs Jean Leclair et Benoît Pelletier, respectivement de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa.

L’article 133 de la Constitution du Canada ne précise pas que les juges doivent être bilingues. Il dit plutôt que chaque personne qui s’adresse à un tribunal – accusé, témoin, avocat, juge – peut utiliser le français ou l’anglais, selon sa préférence.

Attention : ce ne sont toutefois pas tous les tribunaux du pays qui sont concernés. L’article s’applique à « toutes les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature du Québec ».

Au fédéral, cela veut dire la Cour suprême, la Cour fédérale et les tribunaux administratifs. Au Québec, il s’agit de la Cour du Québec, de la Cour d’appel, de la Cour supérieure et des tribunaux administratifs (comme le tribunal administratif du travail).

Pourquoi le Québec figure-t-il dans le texte et pas les autres provinces ?

« Le Québec était mentionné, car l’article 133 est un compromis historique entre le Canada et le Québec », explique Jean Leclair.

En 1870, la loi qui a créé la province du Manitoba a intégré un article similaire. Cela s’explique par le fait qu’il y avait alors une grande proportion de francophones dans la région.

L’équivalent s’applique également au Nouveau-Brunswick, cette fois grâce à la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982. L’article 19 (2) stipule que « chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent. »

« Le Nouveau-Brunswick est la seule province qui a accepté de se soumettre à ce compromis linguistique », explique le professeur Benoît Pelletier.

Cela ne veut pas dire qu’aucun droit linguistique n’existe devant les tribunaux des autres provinces. D’abord, le Code criminel du Canada permet à tout accusé de choisir la langue officielle (français ou anglais) dans laquelle se déroule son procès et même d’avoir un juge ou un jury qui parle la même langue que lui. Cela s’applique à toutes les causes criminelles au Canada, peu importe la province.

Ensuite, une règle de « justice naturelle », qui n’est inscrite dans aucune loi, fait aussi en sorte que toute personne qui s’adresse à un tribunal a le droit d’être comprise du juge, peu importe la langue qu’il parle. Ceci garantit en fait le droit à un interprète.

Il n’est donc inscrit dans aucune loi qu’un juge doit être bilingue. Un tribunal doit simplement s’assurer de pouvoir respecter les droits des gens qui se présentent devant lui.

Au Québec, un conflit ouvert oppose le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette à la juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau. Cette dernière a demandé que des juges nommés à Longueuil et Saint-Jérôme soient bilingues pour faciliter le respect des droits dont nous avons fait mention. Le ministre s’y est opposé. Récemment, la Cour supérieure a donné raison à la juge Rondeau, estimant que le ministre n’a « aucun mot à dire » sur les besoins identifiés par la juge.